7 Octobre 2017
L'agnostique considère que dieu ou l'idée-dieu est inconnaissable. Au sens stricte, là où les croyants considèrent que dieu a une définition (donc est connaissable), l'agnostique refuse de trancher, alors que les athées au mieux ne se posent pas de questions, ne croyant pas à son existence.
Cependant, tout comme pour les déistes, se cache derrière l'agnostique plusieurs agnosticisme & plusieurs manières d'appréhender cette méconnaissance.
Au plus pragmatique, l'agnostique considère que n'ayant pas de preuve de l'existence de dieu, il ne peut se prononcer non seulement quant à son existence mais aussi quant à sa croyance – Il serait celui qui ne sait pas « s'il croit en dieu ». Il serait en somme celui qui ne sait pas se définir lui-même.
Au plus mystique, Même s'il considère que l'univers est la création de dieu - ce qui le classe parmi les déistes - ce dernier agit suivant une logique qui n'est pas accessible ou compréhensible par l'être humain, étant sur une autre dimension.
Au cœur du débat, l'agnostique, toujours face à un dieu-créateur, estime que l'humanité est une des ses créations les plus infime face à l'univers entier. Elle n'est ainsi pas destinée à comprendre le dessein divin et à en comprendre toutes ses arcanes.
L'agnostique est celui qui refuse de trancher, mais surtout c'est celui qui doute … de tout, autant de la capacité humaine à comprendre, que de l'existence de dieu, que de l'assurance de son existence, que de sa représentation …
Maintenant que je vous ai tout embrouillé, passons tout de suite à une réflexion maçonnique. Après tout, c'est cela qui nous concerne ici.
L'intérêt de l'agnostique est qu'il est est au cœur, finalement, de la franc-maçonnerie et de différents ésotérismes (si toutefois on considère que la franc-maçonnerie est fondamentalement ésotérique). Les croyants qu'ils soient théistes ou déistes, les athées aussi de leur côté, ont une approche du sujet-dieu agnostique, si cette approche est ésotérique, c'est-à-dire une quête perpétuelle vers la Connaissance.
En effet, si l'agnostique estime que dieu est méconnaissable, cela ne signifie pas qu'il n'entame pas lui-aussi cette même quête.
Les religions – hélas, il faut en parler – définissent un dogme, qui donne des caractères et des attributs à dieu. Il est donc connaissable, c'est-à-dire à la portée de l'imagination et de la compréhension humaine. Or, cette connaissance n'est pas complète.
Si dieu était connu en sa totalité et donc « accessible » à l'humanité, les religions n'auraient pas développé la théologie et une étude biblique ne nécessiterait pas toute une vie.
Voir chez l'agnostique un danger pour les religions et un déni de celles-ci, alors qu'elles sont tout autant confrontées aux mêmes questionnements à divers degrés, est erroné. Néanmoins, les plus grands agnostiques étaient considérés par des bulles papales comme hérétiques et surtout par le reste du monde comme des ésotéristes.
En effet, les différents ésotérismes se sont engouffrés, sinon se sont perdus dans le même questionnement que les agnostiques. Variation sur le thème de l'inaccessibilité à l'être humain de cette idée-dieu : seuls les initiés ont accès à la Connaissance, à la Gnose. Il faut que l'être humain deviennent « autre » pour comprendre.
« Le premier de ses états, qui brille par sous le signe de la Loi et de la circoncision, fut instauré par Adam ; le second qui brilla sous le signe de l'Evangile fut instauré par Ozias ; le troisième, dont le calcul des générations nous permet de fixer la date de préparation a été instauré par Saint Benoît, dont l'excellence ne sera parfaitement comprise qu'aux environs de la fin des temps, lorsque Elie réapparaîtra, et que l'incrédule peuple juif reviendra à Dieu. »
Abbé Joachim de Flore (1254) – L'Evangile Eternel. (in L'Esotérisme de Pierre A. Riffard)
L'athée – qui est, rappelons-le « celui qui ne croit pas en dieu » – peut aussi estimer que les sciences ne permettront pas de comprendre la création. Il s'éloigne cependant de l'agnostique, ici. L'athée (devrais-je dire « je »?) estime que c'est l'humanité qui a inventé dieu. C'est la pensée humaine qui est infinie, méconnaissable, n'ayant ni début, ni fin, et ni motivation connue. L'intérêt de l'idée-dieu est qu'elle représente cette pensée infinie, tout autant que ce paradoxe humain de la lui faire croire comme provenant d'ailleurs, d'une autre dimension, alors qu'il en est le seul créateur, voir responsable, et qu'elle est la mieux documentée et la moins comprise.
L'agnostique a toute sa place – et je dirais même ne peut être contesté – parmi le club ouvert aux quatre vents des déistes. Ces déistes, qui font face à un dieu absent/mort/créateur/pluriel et tout au moins silencieux. Peut-on dire que l'agnostique est celui qui s'interroge sur son silence, quittant alors le dogme de la parole divine , contestant sa révélation devenant un infini inconnu ?
Nous voyons bien que la frontière chez l'agnostique entre le théisme et le déisme est fragile sinon à géométrie variable. Discuter de la parole divine est aussi un exercice cher aux religieux, elle-même demeurant insondable.
« Au contraire, que nos doctrines soient inestimables et qu'elles méritent d'être crues, les Grecs le reconnaîtront par un examen plus attentif de la « parole » à l'aide de ce qui suit ; car nous apprenons le semblable par le semblable. En effet, « réponds au fou selon sa folie », dit Salomon. »
Clément d'Alexandrie.
Le déiste cherche dans la création une représentation (inconnue?) de dieu, tout autant que ses motivations et trace de sa parole. Le déiste qui ne serait pas agnostique (certains fustigent même le mot), serait alors celui qui s'est trouvé, forgé, une représentation figée, avec nom et attributs de dieu, bref une croyance affirmée et une connaissance acquise dès le berceau.
Voilà cependant bien une confrontation à faire : le polythéisme. Ceux là avaient des dieux, magnifiques, mythiques et largement représentés, que l'on pouvait nommer, appeler et avec qui la discussion était facile. Bref, pour le quidam, ces dieux capricieux ne représentaient aucune question... C'est, malgré tout, dans ces religions polythéistes qui ont créé – à croire que la complication soit de la nature humaine – les premiers ésotérismes, permettant à l'initié d'accéder à une connaissance des dieux. Car s'ils avaient à l'instar des dieux égyptiens une face connue, ils avaient une toute autant inconnue, que ce soit un nom caché, secret, … imprononçable et méconnaissable, tout autant qu'ils détenaient toujours dans leur Olympe le Secret de la création.
« Oui, par celui qui a transmis à notre âme la Tétrade,
Source de la Nature éternelle. Mais applique toi à la tâche,
Après avoir prié le dieux de l'achever. En possession de ces enseignements,
Tu connaîtras la nature des dieux immortels et des hommes mortels,
en quoi les êtres sont séparés et en quoi ils sont unis. »
les Vers d'or de Pythagore (extraits).
L'agnosticisme sommeille, à divers degrés, dans chaque croyance. L'athée, quant à lui, ne fait que le croiser. L'agnosticisme peut être tout autant source d'un grand mysticisme – mais ne dit-on pas que « l'athée est un mystique raté » ? - ou d'un grand ésotérisme.
L'agnostique, celui qui s'affirme l'être, réveille finalement une peur, celle que toute connaissance durement accumulée soit perdue dans les méandres de sa propre pensée. Il est celui qui nous questionne continuellement sur ce que nous sommes. Il est celui qui doute aussi de nos paroles. Il est celui qui ne sait pas.
On trouvera donc un comique de situation – et elle est bien contemporaine – chez une franc-maçonnerie qui se veut être « de tradition & humaniste », dans ce refus de voir en l'agnosticisme un réveil justement de nos traditions, dont les origines sont ésotériques. Il est un encouragement aux doutes, doutes nécessaires qui conduit vers la recherche de la vérité et de la Connaissance, amélioration de soi et de l'humanité.
L'athée, qui leur est confondu, y voit ce que justement il ne trouve pas chez les religieux, une ouverture à l'humain, suivant finalement un même chemin, réfutant que la Gnose soit de nature divine alors que l'agnostique en doutera toujours.
Pour conclure, je reprendrais la conclusion qu'à faite Roland Clément dans son livre : « la Franc-maçonnerie, entre les chantiers de l'humanisme et les mythes nourriciers », qui lui sera son dernier écrit publié, cherchant à accorder les contraires :
« Les voisinages maçonniques insolites rappellent deux évidences : d'abord, la contradiction est dans la nature même des choses et qu'il convient de la penser, non de prétendre de la détruire : l'ordre se fait à partir du chaos ; ensuite que ce voisinage même recèle un sens symbolique profond : l'initiation maçonnique ne se situe pas « dans le monde » même si elle en suit ou accompagne les combats ; elle suppose la recherche permanente d'une vérité perçue comme relative, recherche qui viole tant les idées toutes faites et qui ne se laisse jamais épuiser.
Mais le mobile de cette recherche ? Avec géométrie, mais aussi génie, génération, gravitation, (et il aurait beaucoup à dire de cette étonnante configuration), GNOSE s'inscrit parmi les significations toujours attribuées à la fameuse lettre G, que le 2ème degré a placée au cœur de l'étoile flamboyante qui guidera les compagnons. GNOSIS ou cette connaissance qui pourrait être le secret des secrets. Y a-t-il un lien, même oublié, entre l'action des Francs-Maçons et l'idée d'un principe, caché au fond de l'Homme, séculairement nié par une création perverse, ou pervertie, et qu'il s'agirait de réveiller ? »
On n'en a jamais fini avec les mythes … »
Voir aussi :
Théisme & Athéisme: - Déisme : vers un dieu tout nu? - Athéisme & franc-maçonnerie :- Je suis athée :