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La Maçonne

Betsaléel : le mythe d’une transmission avortée.

Plaque céramique «Moïse présentant les tables de la Loi au peuple juif», partie centrale Castelli, seconde moitié du XVIIIe siècle

Dans ses constitutions de 1726, Anderson ignorait que Hiram avait été (lâchement) assassiné. Il apparait, d’après, les textes qui nous sont parvenus plus tardivement. Le manuscrit Graham raconte trois mythes : celui de Noé, qui est le plus souvent présenté, celui de Hiram et de Salomon, mais aussi et pour ce qui concerne cet article celui de Betsaléel. Je dois avouer que lorsque je découvris ce mythe, je fus dans l’embarras : mes connaissances bibliques étant réduite à la page de garde (ou presque). J’ignorais tout de ce Betsaléel qui, pourtant, parmi les « constructeurs » de la bible tient une place prépondérante, étant l’architecte – plus exactement le maître d’œuvre – de la Tente de la Rencontre, premier « temple » en version nomade avant celui de Salomon.

Betsaléel : le mythe de 1726

Voici quelques extraits du mythe de Betsaléel :

« Lors du règne du roi Alban, naquit Betsaléel qui fut appelé ainsi par Dieu, avant d’être conçu dans le sein de sa mère. Ce saint homme savait, parce qu’il était inspiré, que les noms secrets de Dieu et ses attributs premiers étaient des protections. Il bâtit tellement en s’appuyant sur eux, de sorte qu’aucun esprit infernal et destructeur n’osa prétendre renverser son remarquable travail. Ses travaux devinrent si connus que les deux jeunes frères du roi Alban voulurent qu’il leur enseigne sa noble manière de construire. Il y consentit, à condition qu’ils ne la dévoilent pas, à moins qu’il y ait quelqu’un d’autre avec eux pour former une triple voix. Ils prêtèrent serment, et il leur enseigna la partie théorique et la partie pratique de la maçonnerie. Et ils travaillèrent. Les salaires des maçons augmentaient dans ce royaume, et l’on compta des maçons chez les princes et les rois.

Lorsqu’il fut près de mourir, Betsaléel demanda qu’on l’enterre dans la vallée de Josaphat, été qu’on grave l’épitaphe qu’il méritait. Ceci fut réalisé par les deux princes. On grava ce qui suit : « Ci-gît le fleuron de la maçonnerie, supérieur à beaucoup, compagnon d’un roi et, de deux princes le frères. Ci-gît le cœur qui pouvait garder tous les secrets. Ci-gît la langue qui n’a jamais rien révélé. »

Après sa mort, les habitants alentours crurent réellement que les secrets de la maçonnerie avait été complétement perdus parce qu’on en entendait plus parler. Personne ne les connaissait, à part deux princes, qui avaient lors de leur réception, juré si fermement de ne pas les révéler, à moins qu’un troisième ne fût présent pour former une triple voix. […]

 

Tout cela fait référence a l’époque de Salomon, son fils, qui commença à construire la Maison du Seigneur. J’espère que tout le monde sera d’accord que rien de ce qui était nécessaire pour mener à bien cette construction sacrée ne fut refuse à ce roi plein de sagesse. Nous devons tous l’admettre, sans quoi nous devrions accuser Dieu d’injustice, et aucun faible mortel n’oserait accuser Dieu. Sa divine bonté ne saurait non plus en être coupable. On lit, au 13e verset du 7e chapitre du Premier Livre des Rois, que Salomon envoya chercher Hiram, de Tyr : ≪ C’était le fils d’une veuve de la tribu de Nephtali et d’un père Tyrien, qui travaillait le bronze. Il était rempli de sagesse, et de connaissance pour faire toutes sortes d’ouvrages de bronze. Il arriva auprès du roi Salomon, et il fit tous ses ouvrages pour lui ≫. L’explication de ces versets est la suivante : le mot ≪ connaissance ≫ signifie ≪ ingéniosité ≫ car, lorsque la sagesse et l’intelligence se trouvent réunies dans une même personne, il ne lui manque rien. Ainsi, par le présent extrait de l’Ecriture, on doit admettre que le fils de la veuve, appelé Hiram, était autant inspire de Dieu que le sage Salomon ou encore que le glorieux Betsaléel. »

 

 

Enki
Betsaléel dans la bible (1).

Ce récit fut inventé par des francs-maçons ( ?) ou par des hommes pour servir d’outil à une réflexion qui dépasse son sens littéral. Avant de tenter de comprendre ce qu’il pourrait signifier, il est néanmoins nécessaire de se référer à la bible afin d’en savoir plus sur ce personnage – histoire de vous rafraîchir la mémoire –

Durant les chapitres 19 à 24 (Exode), Moïse et son peuple reçoivent ce que nous appelons les 10 commandements et les différentes lois censées régir un nouveau modèle de société. Symboliquement, il s’agit d’une alliance entre l’humanité et Dieu. Suite à cela, Dieu indique à Moise les plans et diverses consignes pour préserver le témoignage de cette alliance, afin que son peuple puisse le « rencontrer ».

Du coffre, du chandelier à 7 branches, de la table du pain offert, et bien sûr la demeure sacrée , c’est-à-dire la fameuse « Tente de Rencontre », en passant par les vêtements des prêtres, l’huile et sa fabrication, l’encens et même un impôt pour l’entretien de tout cela, tout est décrit.

Voici, pour exemple, un extrait « Tu feras un voile de pourpre violette et rouge, d’écarlate et de fin lin retors, avec des keroubim ; ce sera un ouvrage d’artisans. | Tu le mettras sur quatre colonnes d’acacia couvertes d’or, posées sur quatre socles d’argent. Tu mettras le voile au dessous des agrafes ; c’est là, à l’intérieur, au-delà du voile, que tu feras entrer le coffre du Témoignage ; le voile constituera pour vous la séparation entre le Sacré et le Très-Sacrè. ».

Pour un peuple en plein exode, on ne peut pas dire qu’ils voyageaient « léger ».

Après quelques péripéties qu’il est inutile de discuter ici suite à l’apparition du « veau d’or », enfin Moïse peut faire fabriquer les ustensiles nécessaires comme construire la demeure sacrée.

Entre en scène Betsaléel.

Exode, 35-30 – « Moïse dit aux Israélites : Regardez : le Seigneur a appelé par son nom Betsaléel, fils d’Ouri, fils de Hour, de la tribu de Juda. Il l’a rempli du souffle de dieu, de sagesse, d’intelligence et de connaissance pour toutes sortes de travaux, | pour concevoir des ouvrages, pour travailler l’or, l’argent, le bronze, […] Il lui a aussi accordé le don d’enseigner, de même qu’à Oholiab, fils d’Ahisamak, de la tribu de Dan. »

Exode, 36-1 « Betsaléel, Oholiab et tous les hommes habiles, en qui le Seigneur avait mis de la sagesse et de l’intelligence pour qu’ils sachent faire tous les travaux pour le service du sanctuaire, se mirent au travail exactement comme le Seigneur le leur avait ordonné. »

 

 

 

 

(1)  Ces extraits sont tirés de « la Nouvelle Bible Segond » - édition d'étude - alliance biblique universelle. 

Entre secret & transmission.

Une simple lecture fait remarquer de nombreuses différences entre les deux textes. Les rédacteurs du récit de Betsaléel maçonniques ont pris des libertés assez larges avec le récit biblique.

Betsaléel n’est pas le seul à avoir été oint par dieu. Ils furent même plusieurs – toute une équipe – Il s’agit d’une génération spontanée d’artisans. Ceci aurait pour objectif d’expliquer, non pas comment certains savoirs techniques et artisanaux sont parvenus aux humains, mais de leur octroyer un caractère sacré. Je serais presque tentée de dire d’expliquer ce pourquoi l’être humain serait capable de créer, d’inventer des œuvres d’art.

Un parallèle peut être fait avec le Ea/Enki sumérien. En effet, ce dernier était le dieu de la sagesse, des artisans, des artistes, des savants … mais aussi de la magie. C’est lui qui donna à l’humanité les connaissances nécessaires. D’autres mythes – comme ceux de l’Athéna grecque qui ne fut pas que déesse de la guerre, mais aussi de la sagesse, protectrice des artisans et des artistes, fut la bâtisseuse de l’Argo – font des dieux et des déesses des professeurs, des bâtisseurs ou des donateurs précieux de connaissances et de savoirs. Je préfère pourtant un autre mythe sumérien qui appartient aux mythes dit de la création. Un beau jour, les dieux supérieurs se sont trouvés affamés, leurs ménages et leurs lessives non faits. Leurs serviteurs – des dieux inférieurs – avaient décidé de faire une grève générale sans préavis. Voyant que les siens s’affaiblissaient de jour en jour, Enki eut l’idée de créer une nouvelle race d’être: les humains. Ainsi, les uns ou les autres modelèrent 7 hommes et 7 femmes dans de l’argile. Ils tuèrent l’un d’entre eux afin de leur insuffler le « Wé » - c’est-à-dire l’esprit d’un dieu. C’est grâce à ce « Wê » que l’être humain connait la notion d’infini. Si divers mythes racontent que les connaissances des artisans et des artistes proviennent de divers dieux – comme d’ailleurs l’écriture – c’est certainement plus sûrement pour souligner l’inexplicable que de l’expliquer : la capacité de l’être humain à créer, à construire, à écrire … et à courir après l’infini, c’est-à-dire à penser.

L’Exode, deuxième livre de la bible, est le récit fondateur d’une civilisation entière, présentant une législation, des règles de vie, l’apport de connaissances techniques permettant la sédentarisation des populations, comme d’une religion et des croyances communes à tous.

Le personnage de Betsaléel prend ainsi toute sa place dans le corpus symbolique de la franc-maçonnerie. Etre le maître d’œuvre d’une demeure sacrée, le fait que ces connaissances lui soient tombées littéralement du ciel, même si cela n’est fait que pour souligner l’incroyable capacité humaine, ne font pas de lui un personnage suffisamment important. Ce qu’il y a d’important est qu’il appartient à la fondation de ce premier noyau civilisateur. Il est la légende.

En cela, Betsaléel est proche de Noé et de ses fils, c’est-à-dire du mythe de Noé. Noé représente une humanité ancienne et perdue. Ses fils sont les représentants d’une humanité post diluvienne, fondateurs de celle-ci.

Rappelons-nous de ce mythe, présenté aussi dans le manuscrit Graham, les fils de Noé, en cherchant le cadavre de Noé, sont, en quelque sorte, en quête de cette humanité antédiluvienne et de ses connaissances, que leur père représentait.

Pour Betsaléel et Noé, il y a un « avant » et un « après », une humanité défunte et une nouvelle qui se reconstruit ailleurs. Ce que ne sont ni Hiram, ni Salomon, dont le seul souci est de préserver une société existante et de la moderniser en la dotant d’un temple en pierre. Hiram et Salomon sont, certes les héritiers, mais surtout des conservateurs.

Si Betsaléel et d’autres ont reçu une somme de connaissances et de savoirs par un courant d’air divin, il a aussi en charge sa transmission. Betsaléel est, en effet, aussi doté des capacités d’enseigner. Les hommes qui suivront ses traces devront s’en contenter. Salomon et Hiram sont ceux qui "suivent".

Les caractéristiques de Betsaléel et de Noé sont possiblement un écho de ce que ressentaient les rédacteurs francs-maçons, comme leurs contemporains, fondateurs eux-mêmes d’une nouvelle société : la franc-maçonnerie.

Peut-être rêvaient-ils à un autre monde, à changer l'humanité, à entrer dans la légende eux-mêmes comme « sages » sortis de leurs ignorances par quelques souffles divins ...

Le Betsaléel de la bible a acquis la capacité d’enseigner. Le Betsaléel maçon a effectivement transmis ses connaissances mais uniquement à deux princes, en leur faisant prêter le serment de la « triple voix ». Betsaléel est mort. Il ne reste que les deux princes devenus bien inutiles. Les connaissances sont perdues de manière plutôt définitive.

Betsaléel n’a pas mené à bien sa mission de transmission, pourrions-nous dire. Mais est-ce que la morale de l’histoire est vraiment là ?

C’est Salomon et Hiram qui viennent sauver l’affaire. Ils ont, en effet, construit – toujours suivant des plans divins – le temple pour remplacer la tente de Betsaléel. Hiram possédait – admettent les rédacteurs francs-maçons – les connaissances nécessaires, pourtant précédemment perdues et ô combien d’origine exclusivement divine. Le Secret fut pourtant bien gardé, peut-on affirmer, jusqu’à la tombe. Sa transmission est bien inutile, puisque deux hommes (voir plusieurs) possèdent aussi ces mêmes secrets "naturellement", sans intervention d'aucune sorte, sans transmission

« L’explication de ces versets est la suivante : le mot ≪ connaissance ≫ signifie ≪ ingéniosité ≫ car, lorsque la sagesse et l’intelligence se trouvent réunies dans une même personne, il ne lui manque rien. » Nous explique les rédacteurs francs-maçons du début du 18ème siècle.

Cette explication se suffit à elle-même.Non?

Betsaléel : le mythe d’une transmission avortée.
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C
Merci pour ce beau morceau.<br /> Le Ms Graham est d'inspiration presbytérienne (calviniste), et dès lors l'allégorie biblique est forcément omniprésente. Pour des hommes de foi, tel que ceux-là, une telle succession allégorique, par trois, avaient certainement beaucoup de sens, était beaucoup plus riche (cela permettait de multiple association allégorique biblique), bien plus sans doute que l'histoire d'Hiram assassiné qui est non biblique.<br /> Une question qui ne semble n'avoir jamais été abordé (en tout cas je n'ai rien lu à ce sujet), c'est le pourquoi d'une telle réduction symbolique ? <br /> Cela demanderait sans doute une exégèse biblique probablement très approfondie (que je n'ai pas), mise en parallèle avec la philosophie (surtout Locke) de l'époque, les avancée scientifiques (Newton), et le latitudinarisme qui avait envahi la "bonne" société ?
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L
J'avais lu un texte sur une condamnation d'une corporation d'un métier (je crois des cordonniers) qui dans leur rituel avait fait un simulacre de baptème (pain, vin, eau) et qui était accusé d'hérésie. <br /> J'imagine que les francs-maçons ont souhaité ne pas se faire passer pour des hérétiques (ce qui étaient dangereux pour eux) ou une religion concurrente (à celle officielle), d'où la suppression peu à peu de références bibliques trop "marquées".
S
Archimède, l'inventeur du "mais c'est bien sur" de l'antiquité (c'est une plaisanterie... je préfère le préciser), disait les choses autrement:<br /> <br /> ""Donnez moi un point d'appui et un levier, et je soulèverai le monde"""<br /> <br /> L'intelligence, la Connaissance, comme bras de levier, et la sagesse comme point d'appui, peuvent faire bouger le monde, le repositionner...<br /> <br /> "
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