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La Maçonne

La « régularité » des obédiences féminines anglaises.

Un frère, lecteur et critique assidu du blog « la Maçonne », m'a interpellé suite à l'évocation des dernières événements GLAMFiques dans un précédent article.

Il m'écrit ainsi :

« Depuis mars 1999, les sœurs ne sont plus « biologiquement irrégulières » ! La GLUA a déclaré et voté la parfaite sincérité et régularité de l'Order of Women freemasons à Londres. D'ailleurs, pour l'anglais, les sœurs sont des frères comme les autres. Aussi, le propos de dire que les femmes sont forcément irrégulières est une ânerie. C'est capital et personne n'a eu l'intelligence d'exploiter ce ballon d'essai des anglais … même la GLFF … ou alors cela arrange tout le monde de l'ignorer ce qui est un acte politique », m'explique-t-il.

Zut ! ce lecteur assidu est vraisemblablement un frère « régulier ». Zut et zut ! La GLUA a un point commun avec le GODF !

Là, le GODF et moi-même avons le droit de nous porter en faux. Si pour la GLUA, « les sœurs sont des frères comme les autres », les sœurs en France seraient reçues dans les tenues de la GLNF et les anglaises dans celles de la GLUA.

(illustration : Maria Deraismes, fondatrice du Droit Humain)

Quant à moi, je me contenterais de tenir un blog, gentillet et plein de douceur, évoquant partage et échange entre loges … des tenues communes par ci, des visites par là, … rédigerait des articles dithyrambiques sur la qualité des traités de reconnaissance entre la GLUA et l'Order of Women Freemasons, la GLDF et la GLFF, le Droit Humain et la GLNF avec des vieilles photographies en noir et blanc des augustes signataires décédés depuis des lustres – voir même des portraits au cas où certains de ces traités dateraient d'avant l'invention de la photographie … Ben non. Tout simplement que ces traités, ces rencontres, ces partages, ces visites, n'existent pas … Et, dites-moi, à qui la faute ?

Il est vrai que la GLUA considère que l'Order of Women Freemasons comme « régulière » (mais non reconnue).

Là où ce frère se trompe, c'est qu'il n'existe pas qu'une obédience féminine anglaise en Angleterre, mais deux. La première fondée en 1908, The Order of Women Freemasons, est issus de la première scission historique du Droit Humain. Quant à la seconde, The Honourable Fraternity of Ancient Freemasons fut fondée en 1912 (1913) suite à une scission avec la première obédience féminine – du fait d'une histoire de rites. Cette dernière a mis en ligne la « Déclaration de la Grande Loge Unie d'Angleterre » sur son site

Elle précise à ce sujet :

« There exist in England and Wales at least two Grand Lodges solely for women. Except that these bodies admit women, they are, so far as can be ascertained, otherwise regular in their practice. There is also one which admits both men and women to membership. They are not recognised by this Grand Lodge and intervisitation may not take place. »

Ce qui signifie (en français) que ces deux obédiences qui initient que des femmes, dont la GLUA se garde bien de citer les noms, auraient une « pratique régulière » mais ne sont nullement reconnues et les intervisites parfaitement proscrites.

Si c'est cela, la révolution que nous propose la GLUA, j'en fais une comme cela toutes les semaines sur mon blog !

Il est vrai aussi que cela ne touche nullement les françaises qu'elles soient ou non à la GLFF. Il est vrai que personne, jusqu'à présent, n'en a fait une analyse – du-moins n'a posé les premières pierres de celle-ci du point de vue des femmes.

Parce qu'il en faut bien une qui s'y colle, je me sens dans l'obligation de remédier à cette lacune … Il faut bien que quelqu'un explique à nos frères « réguliers » qu'ils soient français ou d'ailleurs, pourquoi cette déclaration de la GLUA (UGLE pour les intimes) de 1999 ne concerne pas les françaises, c'est-à-dire les obédiences mixtes et féminines adogmatiques.

Si les françaises n'en parlent pas, c'est qu'il y a des deuils que l'on évoque pas.

La « régularité » des anglaises nous a fait perdre des sœurs, nos sœurs - et avec elles une partie de notre histoire commune, nos liens passés. Ces deux obédiences anglaises ont, l'une et l'autre, comptées pour nous. The Order Of Women Freemansons est issus, quand même la première scission du Droit Humain. Même si elle a évoluée vers une démarche « mono-genre », elle a gardé une partie du passé du Droit Humain, dont le manteau blanc que l'on voit porter par Annie Besant. Quant à l'autre, c'est à elles que la GLFF doit les hauts grades du REAA grâce à la sœur Marjorie Debenham, Grand Commandeur (qui est oubliée mais que Roger Dachez évoque brièvement dans cet article que vous pouvez trouver ici

Aujourd'hui, The Honourable Fraternity of Ancient Freemasons a suivi les traces de la Grande Loge Unie d'Angleterre, fondant à ses côtés des loges « universitaires » dont, d'ailleurs, les français ne comprennent pas vraiment l'intérêt.

Du point de vue des françaises, cette « régularité », un peu forcée, leur a fait perdre des sœurs, une relation ancienne, une histoire commune.

Ces deux obédiences anglaises ont fait comme la GLUA avec le GODF en 1877. Elles ont décidé, du fait d'un interdit lié à leur « régularité », interdit imposé d'ailleurs par la GLUA, qu'elles ne pouvaient poursuivre des relations maçonniques avec les sœurs françaises qu'elles soient du Droit Humain ou de la GLFF.

La GLUA n'a pas que, sur sa conscience (si elle en a une), que les conflits et les ruptures entre frères, durant plus d'un siècle voir même peut-être trois siècles.  Elle a aussi séparé des sœurs. Il y a des deuils que l'on n'aime pas évoquer. Cette séparation est l'un de ceux-là. Il est bien féroce leur « être suprême » pour avoir séparé tant de frères, mais aussi des sœurs. On se demande, maintenant, si la GLUA s'en porte mieux. 

Ce statut d'obédience « régulière », que ce frère semble tant estimer, interdit à ces obédiences féminines d'avoir des relations avec d'autres sœurs dans le monde, sans leur permettre d'avoir des relations avec la GLUA et d'autres obédiences masculines « régulières ».

La situation des anglaises (et leurs positions) prouvent que la sainte-régularité sépare, mais surtout isole. Les femmes en franc-maçonnerie ne sont, d'ors et déjà, pas nombreuses dans le monde (100 000 à peine et je compte très large !). Si c'est pour qu'en plus, elles soient séparées à cause d'une obédience qui, durant plusieurs siècles, a rejeté la seule idée que les femmes pouvaient être initiées, autant dire que personne n'a envie de promouvoir l'idée !

Que cherchait à prouver la GLUA ? Qu'attendait-elle ? Que l'on tombe toutes en pâmoison devant la régularité, que l'on adopte un dieu et une religion ? Il n'en est rien. Il n'en sera rien.

 

Illustration : The Sapienta Lodge of Research (Droit Humain, fédération américaine)

Les Constitutions d'Anderson ont interdit l'initiation aux femmes. Cet interdit n'est toujours par remis en cause, même si la GLUA a décidé de considérer que deux obédiences féminines pouvaient être « régulière ». Il a juste subi une légère mutation.

Cette décision, en réalité, n'a rien modifié dans la conception rétrograde de la GLUA et des obédiences régulières en général sur l'initiation des femmes. Cette décision n'a absolument pas modifié le paysage maçonnique mondial. 

Ces anglaises se sont sacrifiées pour rien, s'il s'agit d'un sacrifice. Ce sont fermées des portes pour rien. Elles n'ont pas été plus aidées par les obédiences masculines « régulières » pour exporter une maçonnerie féminine en dehors de leur île.

La GLUA, après avoir lancé son ballon d'essai, s'est félicitée et s'en est arrêtée là. Si les françaises ont perdu des sœurs, les obédiences « régulières » n'en ont pas gagné voir, même, la plupart ignorent même l'existence de ces quelques 10000 sœurs anglaises « régulières », comme d'ailleurs ils ignorent Prince Hall.

Les suivre elles, ce serait nous perdre nous. Cela interdirait l'initiation de femmes, du fait de leur incroyance, du fait de leur désir de laïcité, du fait de leur souhait de construire un monde où les femmes seraient les égales des hommes, même en franc-maçonnerie.

Sacrifier cet avenir, s'interdire la présence de ces femmes, ces rencontres et ces échanges avec d'autres obédiences – où se trouvent (malheur ! ) des frères – juste pour une étiquette de « régulier » - c'est bien trop cher payer pour peu de chose.

 

Illustration 1924 - Convention Nationale du Droit Humain (Fédération américaine, Chicago)

Comme le dit si bien mon interlocuteur, il s'agit d'un ballon d'essai. C'est bien ainsi, d'ailleurs, que toutes les femmes l'ont compris – sauf les anglaises. Je m'excuse d'être présomptueuse, mais la maçonnerie féminine n'est pas un sujet d'expérience pour les frères avec lequel ils peuvent jouer au ballon. Les femmes ne se sont pas battues pour fonder leurs obédiences pour le bon plaisir des frères et qu'ils y fassent des « expériences ».

En 1999, c'est à dire la même année, Alain Pozarnik nous sortait une mirifique analyse expliquant aux frères de la GLDF comment il fallait veiller à savoir si les sœurs de la GLFF faisaient correctement un parcours maçonnique. Le même Alain Pozarnik, alors grand maître de la GLDF, théorisait sur les problèmes hormonaux des frères de la GLDF, problèmes si conséquents qu'ils ne pouvaient recevoir des sœurs en visite. Leur présence risque de nuire à leur capacité de raisonnement.

Les françaises avaient assez des inventions sexistes des français, de leurs ballons d'essai, pour ne pas ajouter à leurs préoccupations, déjà nombreuses, celles des anglais dont elles ne risquaient pas de croiser le bout de l'ombre d'un tablier dans un couloir menant à leur temple.

Elles avaient leur dose d'âneries masculines. Elles ne souhaitaient guère que des frères, même membres de la GLUA, dont capacités intellectuelles sont soumises à des flux hormonaux au même titre que les français, puissent déterminer leur niveau d'initiabilité. 

En gros, les soeurs, en France, ont les mêmes chez elles. 

 

 

 

 

La dernière raison pour laquelle, cette décision fut un coup d'épée dans l'eau et n'apporte rien aux françaises tient aux principes mêmes de la régularité. Comme je l'ai expliqué dans un de mes articles, la « régularité » consiste à respecter un certain nombre de règles définies par la GLUA.

Une obédience a le droit de choisir de les respecter mais elle a aussi le droit de n'en avoir rien à faire. Les obédiences féminines et mixtes ont fait le second choix. Elles ont fait le choix d'être libres, indépendantes et souveraines – de ne se soumettre à aucune autre juridiction maçonnique –

Or, que l'on se mette bien d'accord et que la vérité soit faite sur ce point, les règles de la GLUA, toutes les femmes s'en contrefichent. Je suis, très certainement, la seule à les connaître. Non seulement, nous n'interdisons pas la croyance en un dieu (voir même une religion), voir même à quoi que ce soit qui y ressemble, mais en plus nous trouvons cela surfait de nous en inquiéter – pour ne pas dire même parfaitement impoli et indélicat.

(illustration : Marie Bonnevial, Droit Humain)

La franc-maçonnerie française a opté (contre son plein gré) pour l'initiation des femmes, il y a plus d'un siècle, après avoir tué dieu (de son plein gré).

La franc-maçonnerie française a choisi un courant – une modélisation – tant bien que mal – qui lui permet d'évoluer avec son époque, qui lui a permis de s'adapter, de rester vivace, tout en préservant toutes les démarches initiatiques existantes et d'être encore capable d'en inventer des nouvelles.

Mon interlocuteur accuse les soeurs françaises de faire un choix "politique" en refusant d'analyser la décision de la GLUA. Oublie-t-il (mais certainement qu'il l'ignore) que les doux principes de régularité et de reconnaissance de la GLUA est exclusivement une hégémonie sur d'autres obédiences. On peut, en France, pratiquer la maçonnerie que l'on souhaite (ou presque): un privilège que peu de pays connaisse. 

Pour information, ces loges du Droit Humain, qui ont fait scission, en 1908, espéraient se rapprocher de la GLUA. Elles ont fait leur première demande en 1920. Elles comptaient encore des frères. Le dernier est mort en 1935.  Presqu'un siècle pour en arriver-là ! Pas de quoi applaudir. 

Les obédiences féminines anglaises ont lié leur destin à celui de la GLUA. Elles disparaîtront avec elle, ne laissant derrière elles aucune héritière. Je doute fort qu'elles ont, toutes les deux, encore un siècle devant elles. Des françaises, traverseront alors la Manche, comme elles l'ont fait pour obtenir les "hauts grades", mais cette fois ce sera pour refonder une loge anglaise. Il suffit qu'elles nous donnent son nom.

 

 

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P
"Elles avaient leur dose d'âneries masculines."<br /> Ma S.:, aurais-tu lu la pièce de théâtre "Toutes ces âneries sur les femmes?" (Elle est sur Internet.)<br /> <br /> "Elles ne souhaitaient guère que des frères, même membres de la GLUA, dont capacités intellectuelles sont soumises à des flux hormonaux au même titre que les français, puissent déterminer leur niveau d'initiabilité."<br /> Chère Anne, crois-tu vraiment que les "capacités intellectuelles" des femmes ne "sont (pas) soumises à des flux hormonaux", elles aussi? Pas la peine de nier la puissance de la sexualité.<br /> Je ne suis pas gêné par la présence des soeurs sur les colonnes des loges masculines et vice versa, mais je respecte l'opinion contraire. Cette question ne se limite pas à l’égalité des sexes. Si tu veux connaître mes réflexions sur ce sujet, merci de lire http://call-of-bratislava.com/fr/reflexions.html?id=46:linitiation-des-femmes-et-la-mixite&catid=9:reflexions
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O
"There exist in England and Wales at least two Grand Lodges solely for women. Except that these bodies admit women, they are, so far as can be ascertained, otherwise regular in their practice."<br /> Il existe en Angleterre et au Pays de Galles au moins deux Grandes Loges féminines.<br /> A part le fait que ces entités soient composées de femmes (admettent) elles sont pour autant que nous l'avons constaté, régulières dans leur pratique. <br /> Traduction maison, donc approximative!<br /> <br /> Cela veut donc dire que ces obédiences féminines travaillent de façon régulière... mais pas du tout qu'elles... sont... régulières.<br /> La régularité, pour environ 95% des FM du monde, se détermine par le respect de la totalité des 8 basic Principles de la GLUA et il y en a au moins un, le N°4 qui ne l'est pas et ne peut pas l'être par ces obédiences. On pourrait parler également du N°1 !<br /> Une GL féminine ne peut donc pas être régulière, par essence, puisque cette même FM régulière indique clairement dans ses règles... qu'elle est réservée aux hommes.<br /> Désolé, ma chère sœur Maçonne...mais bien évidement, cette régularité n'implique aucun sentiment de supériorité, les Maçonnes travaillent aussi bien que les hommes et probablement souvent mieux.<br /> Quant à Brumaire, non ma sœur les réguliers, comme tu dis, ne veulent subordonner personne et ne considèrent personne comme de la valetaille.<br /> En tous cas pas à la GLNF !
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B
Chère Maçonne tu as raison de dire que les obédiences "régulières" ailleurs qu'en France veulent tout simplement subordonner tout le monde à leurs principes rétrogrades et à leurs pratiques, sous prétexte qu'elles sont Puissantes!!!le reste n'étant que la valetaille.<br /> C'est pourquoi, en Am latine, les "réguliers" font tout ce qu'ils peuvent pour dénigrer les obédiences mixtes ou/et féminines, essayant d'attirer les hommes par des moyens bien loin des principes que nous défendons;heureusement,il y en a aussi des bons, par exemple à Cuba: ouverts, accueillants, fraternels.<br /> Comme quoi, tout dépend (toujours) des personnes.
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