7 Décembre 2013
J'étais alors au grade de compagnon – et faisait lire une de mes planches à mon vieux maçon de père. Il lève soudain le nez des feuillets et me dit : « ce passage n'est pas de ton grade, il faut que tu le supprimes ». Surprise, mais bien campée dans mes pantoufles synthétiques, je constate non sans consternation que le passage mentionné est un extrait strictement biblique accessible à n'importe qui possède une bible, passage que j'avais sommairement développé. Heureusement, la fille de mon père est athée, me suis-je dit – elle risquait de le prendre mal face à son mécréant de père, qui ledit homme croit autant à Dieu qu'à la résurrection d'une paire de chaussettes. Je grommelle : « Tu ne vas quand même pas interdire la lecture de la Bible ! »
Comme je suis une fille obéissante, j'ai gardé le passage en question et j'ai amélioré son développement. Certains diraient que « tuer Hiram » n'était pas de mon grade non plus, mais allez le dire aux milliards d'adolescentes et jeunes femmes dont c'est le sport préféré.
Quelques années plus tard, un frère, ayant passé l'âge de 10 ans d'être le fils de mon père, me raconte les qualités d'écoute, la disponibilité, et l'ouverture d'esprit du maçon qu'est mon père. Je n'ai jamais rapporté ce discours à ma mère qui venait de s'en séparer ! Je raconte, donc, à ce frère un peu naïf, ce passage biblique. Il rétorque : « il est le premier à protester contre ces méthodes ! » Tiens ? Aurais-je sauvé toute une génération de maçons du sectarisme paternel?
Il m'arrive souvent d'entendre des récits similaires : des apprentis et des compagnons, sœurs et frères, se faisant rappeler à l'ordre pour « dépassement de grade » par des maîtres. Elles et ils ne le comprennent pas. La franc-maçonnerie n'est-elle pas l'école de la pensée et de la liberté ? Oui. Alors comment expliquer cet interdit ? Parce qu'eux-mêmes quelques soient leur degré non pas compris que la franc-maçonnerie était une école de pensée et de liberté. Ils semblent être nombreux dans ce cas. Voir même, il semblerait qu'ils se reproduisent passé le 4ème degré (mais cela est une opinion toute personnelle).
Mettons de côté les raisons psychologiques de ce comportement et structurelles liée à l'obédience, regardons plutôt les arguments qui peuvent être opposés à cette pratique d'interdit.
Un apprenti n'a pas le temps de lire tous les livres sur tous les degrés – du premier au dernier – pour savoir de lui-même ce qui « serait de son grade » ou non. Il peut le faire et, ainsi, contenter les maîtres et maîtresses qui confondent « degrés symboliques » avec des sas étanches. Je ne suis pas certaine, mais cela n'engage finalement que moi, que ces mêmes maîtres et maîtresses apprécient réellement que les apprentis lisent la totalité des œuvres d'Irène Manguy, tous degrés dès leur première année. C'est néanmoins une solution qui peut être proposée.
Les apprentis et compagnons ne sont pas doués de dons paranormaux particuliers, qui pourraient leur faire deviner que tel passage de la bible est un symbole d'un degré dit « supérieur », bien que commenter par bon nombre de profanes et que le passage biblique en question n'est même pas censuré par le Vatican. Autant le préciser de suite, ce qui est accessible au profane peut être utilisé par n'importe qui, c'est un peu cela le sens de l'égalité de raison promise dans les Droits Universelles de l'être humain qu'il soit femme, homme, apprenti ou maître. Peut-être qu'il faudrait interdire au monde profane de parler de la mort, LE symbole du grade de maître ?
Par conséquent, l'apprenti ou le compagnon – puisque c'est généralement à eux que s'adressent l'interdit – ne savent pas (ou ne sont pas censés savoir) ce qui est de tel degré ou non.
C'est un peu le même problème que l'engagement de ne pas dévoiler le « secret » de la maçonnerie : il n'y a pas de liste des secrets à ne pas communiquer, comme il n'existe pas de liste de symboles à ne pas étudier.
En dehors de mon père, qui a joué l'empêcheur de tourner en rond, j'ai eu la chance d'avoir passé mes années dans une loge qui s'amusait plutôt de mes écarts, sans que je le comprenne d'ailleurs (personne ne me dit jamais rien, à moi!). J'ai donc vécu en toute innocence mes premières années. J'ai été une petite sœur heureuse et tranquille. Comme les ouvrages « maçonniques » ne sont pas mes lectures préférées, je vivais même dans un aveuglement permanent, une ignorance crasse des symboles à ne pas toucher. Je continue à vivre ainsi, puisant une démarche symbolique ailleurs.
Lorsque l'apprenti et/ou le compagnon se trouve (nt) face à cet interdit, ils ont pour réflexe de taper une lettre de démission bien pesée. Je leur conseillerais d'enfoncer le clou, plutôt que de choisir la fuite ou le profil bas – et donc de lire les œuvres complètes d'Irène Manguy, pendant qu'ils y sont autant qu'ils sachent de quoi ils parlent, de présenter un travail sur un vieux rituel d'avant 1768 – immanquablement c'est jamais du « bon grade », de passer en boucle le « Cantique des Cantiques » version Bashung, de hausser les épaules et de ne pas obéir. Car l'obéissance ici conduit à la petite mort. Pas à la grande qui est celle de l'initié.
Lilithement vôtre,