28 Mars 2014
Il était marié, a 3 enfants, avait une vie et a intégré la GLDF il y a plusieurs années.
Puis quelque chose a pris forme. ..
Des femmes et des hommes, peu importe le lieu et le temps, ont interpellé, comme lui, l’être qui sommeillait en eux. Ont déconstruit l’image qu’elles et ils avaient d’eux-mêmes, qu’une société et des circonstances avaient forgés. Se sont reconstruit, transformés, devenant lucides à eux-mêmes.
Parfois, il s’agit d’une libération, la perte de quelques certitudes, l’arrivée de nouveaux rêves, un claque à l’égo. Nous ne sommes pas tout à fait ce que nous croyons de nous-même. La maçonnerie nous l’apprend. Ce travail est finalement nécessaire pour l’apprenti et le compagnon.
Seulement, pour lui ce fut d’être elle.
Illustration : ~~"I Like Him I Like Her" de Shurooq Amin. Dans sa série "It's a Man's world", ... m2jc.fr
« Personne ne peut savoir à l’avance ce que cette merveilleuse aventure nous réserve, parfois la surprise est de taille, la pierre à tailler est de nature ingrate, et l’on se souvient du breuvage d’amertume que nous bûmes jusqu’à la lie.
La révélation de sa transidentité est de cette nature, amère et merveilleuse.
[….]
Que dire alors d’un esprit conscient de sa féminité incarné dans un corps d’homme ? Comme une prison que l’on emmène partout avec soi, cette prison que l’œil d’autrui identifie comme étant ce que tu es.
Tu en es les murs, les barreaux, la serrure ; la norme est ton garde-chiourme, mais ce que tu ignores encore, c’est que tu en es aussi la clef.
Et cette clef ouvrira la porte d’un monde où le cheminement est le but, où il n’est d’autre but que celui qui te mènera vers Toi. »
(Illustration : http://style.lesinrocks.com/)
Lui et elle – Elle et lui – pas tout à fait lui, pas tout à fait elle – un entre-deux – ou les deux à la fois. Il lui a fallu trouver un équilibre entre ce que la société lui a imposé, ces 40 années derrière lui et ce qu’il était. Mais qu’est-ce exactement ?
La définition donnée par le GEsT (Groupe d’Etudes sur la Transidentité) explique ainsi : « La transidentité résulte d’un décalage vécu entre le sexe physiologique et le genre psychosocial. Elle peut s’affirmer à tout âge et génère le plus souvent un conflit intérieur mais surtout un malaise social, la personne concernée ne pouvant se reconnaître dans les rôles et apparences traditionnellement attribués aux hommes et aux femmes. Ce questionnement identitaire n’est ni un choix, ni une orientation sexuelle, ni une pathologie. Il s’exprime de façons diverses : transgendérisme, transvestisme, transsexualisme… » (http://www.transidentite.fr/medic.html)
Soit. Mais une telle définition ne permet pas – vraiment – de comprendre. Un conflit entre un rôle social attribué à son sexe ne conduit pas nécessairement à une transformation physique de l’individu. Je suis en conflit avec le rôle social que l’on m’attribue, je n’ai pour autant pas de difficulté à accepter mon image de femme, de même de le revendiquer.
Des femmes comme des hommes, en franc-maçonnerie, travaillent aussi chacun de leur côté à ce qui est – à la fois dans leur choix de vie, dans leur identité sexuée et sexuelle – du fait de la société, la part innée et celle acquise.
Ce corps que nous avons, que nous en apprécions toutes ses courbes, tous ses défauts et que nous nous émerveillons de ses qualités – nous nous sommes résignés à le garder et à le maintenir en état (ou presque).
« Les contraires s’opposent, se confrontent, s’affrontent tant qu’ils ne sont pas parvenus à se compléter
[...]
L’être est face à lui-même, face à ce miroir qui lui fut tendu lors de l’initiation dans lequel il reconnait son pire ennemi.
Car l’ennemi c’est le corps, son corps, son image, le regard sur soi et celui que les autres posent sur celui-ci.
A ce titre et pour faire tomber une idée fausse, il me semble important de préciser ici que la transition d’un genre à l’autre n’a rien à voir avec l’orientation, il s’agit d’une question identitaire et non pas sexuelle, le terme « transsexuelle » ne concerne que les personnes ayant subi une opération de réassignation.
Par ailleurs, ce n’est pas un état choisi, mais un état subi, qui choisirait de vivre une telle vie ? »
La transidentité est la transformation de ce corps, ne pas le garder tel qu’il est – qu’il soit à l’image de ce que l’on est – Cela dépasse le simple caprice, les complexes que notre société entretient : cette quête du corps parfait ou de l’éternelle jeunesse.
Ce n’est pas juste la détestation de son corps, c’est qu’il n’est pas ce qu’elle est. Qu’il l’a poursuivi comme une ombre fatiguée dans chaque geste du quotidien.
Il faut être lui pour comprendre elle.
« La transidentité est une double voir triple peine : punition d’un corps non désiré, punition d’une vie sociale compliquée et punition administrative d’une non reconnaissance de l’être.
Et c’est aussi une expérience extraordinaire où le dépassement de la dualité ouvre un champ de compréhension insoupçonné, une vision nouvelle, une chance incroyable de ressentir en soi son unicité et de la vivre dans son cœur et dans son quotidien, dans la vie profane et sacrée comme une complétude, source d’un bonheur sans nom où je me re-connais… Enfin.»
Avant ce bonheur trouvé, cet équilibre découvert, il y a l’enfer. Il a été un homme. Un homme qui s’est construit et dont la naissance s’est faite dans une cour d’école.
Petit garçon perdu, lors d’un premier jour de classe, bousculé et frappé par une bande de gosses qui ont perçu sa différence, il a pris à son tour les attitudes et les postures masculines pour s’intégrer, être comme les autres. Il a grandi, s’est marié. Est devenu l’homme qu’il fut.
« Le genre est la toute première construction identitaire de l’être humain et cette construction est culturelle, car si l’on se penche un peu sur le sujet, quel intérêt y a-t-il a déterminer le genre ? Si ce n’est de stigmatiser l’individu dès la naissance à partir d’un étiquetage arbitrairement imposé par une administration toujours plus avide de catégoriser sans se poser de questions sur le bien-fondé de ses pratiques.
Il s’agit en fait de faire perdurer une société patriarcale qui légifère sur cette question pour préserver un semblant de pouvoir illusoire mais rassurant.
Dès lors, celui ou celle qui aura fait l’objet d’une erreur de casting sera stigmatisé dès la naissance et parfois pour très longtemps.
Le rôle est distribué sans que le principal intéressé soit consulté et il vaut mieux ne pas faire un pas de coté car les acteurs en seraient désorientés.
Seulement voilà, sur 50 à 100 000 naissances, il en est une pour qui ce ne sera pas si simple.
Il lui faudra transgresser la norme, faire face à l’incompréhension ambiante et, pour un jour parvenir au bonheur et à la sérénité, il lui faudra transcender la dualité pour conquérir son unicité.
Certaines n’y survivront pas, un tiers des jeunes trans mettent ainsi fin à leurs jours. »
(Illustration Bambi, 1955 - http://www.bambi-officiel.com/)
Ce n’est pas un fait de notre époque.
Des transidentaires, il y en a existé dans toutes les sociétés et civilisations.
Des histoires étonnantes jalonnent notre siècle. Par exemple, cette championne de sky Erick Schinegger, né en 1948, a passé une partie de sa vie identifié à la naissance comme une fille (intersexualité). En 1967, lors d’une analyse d’urine, elle découvrit qu’elle était un homme.
Bambi, née Jean-Pierre Pruvot, en 1931, devenant Marie-Pierre, qui fut une des meneuses de cabaret les plus connues et se reconvertit en qualité de professeur de français. Elle fut opérée en 1958 quelques années après son amie Coccinelle, Jacqueline, Charlotte Dufresnoy née Jacques, Charles Dufresnoy.
Camille Cabral, née en 1944, première élue transexuelle en France, est aussi la fondatrice du PASST (Groupe de prévention et d'action pour la santé et le travail des transsexuel(le)s). Marie France, dont le nom complet est Marie-France Garcia, née en 1946, actrice et chanteuse, qui débuta sa carrière dans le cabaret l’Alcalzar.
Mais pour les autres, c’est 34% de taux de suicide. Pour les très jeunes de moins de 20 ans, c’est pour 80% d’entre eux une souffrance. « Le plus grand nombre met de 1 à 10 ans entre la prise de conscience et le démarrage de la transition. Parmi les personnes qui ont pris conscience de leur transidentité entre 11 et 15 ans, et qui sont majeures aujourd’hui, 40% n’ont toujours fait aucune démarche, 55% suivent une hormonothérapie, 39% ont effectué des opérations et au total 10% seulement ont une procédure de changement d’état civil en cours ou achevée. » explique un sondage ici http://www.hes-france.org/IMG/pdf/Rapport_Prelim_Enquete_JeunesTrans_Avril2009_Vfinal.pdf
« Dès lors que je me suis autorisée à être qui je suis, dès le démarrage du traitement hormonal de substitution, j’ai intégré mon corps, j’ai enfin commencé à vivre en moi, déchirant le voile de l’illusion m’offrant le plus beau cadeau que l’on puisse se faire : le Bonheur.
Lors de la transition nous cherchons dans un premier temps à nous rendre invisible, passer inaperçues comme honteuses d’oser transgresser un tabou fondateur de notre civilisation, mais vient le moment ou la quête de reconnaissance de notre existence dans la communauté humaine nous oblige à la visibilité.
C’est pour ma part le passage le plus difficile car il demande beaucoup de confiance en soi, de courage pour affronter et aller au-delà des conventions sociales.
Puis un jour, entrant chez un commerçant on vous dit : « Bonjour Madame. »
Ce bonjour est une récompense de la vie pour votre ténacité, vos convictions intimes, la reconnaissance de la femme que vous devenez. »
Ni homme, ni femme – mais rien de neutre comme l’indique les mythes de l’androgyne primordial. « Un organisme hormonalement modifié » explique-t-elle.
« Est-ce à dire que la transidentité serait un appel désespéré de l’esprit pour vivre en soi ce que Mircea Eliade nomme la « coencidencia oppositorum » ?
C’est une question qui, pour moi, est resté en suspend jusqu’à ce que je trouve la posture me permettant de vivre ma transidentité en harmonie avec mon parcours initiatique.
Il ne s’agit donc pas d’aller du point A masculin au point B féminin ce qui ne ferait qu’engendrer des frustrations car le point B ne s’atteint jamais complètement, mais d’accepter l’état trans comme une communion des opposés et s’extraire ainsi de la question du genre.
J’émets l’hypothèse selon laquelle il est possible que l’esprit asexué éprouve le besoin de vivre l’expérience du dépassement du paradigme de la binarité pour accéder à son unicité.
Hypothèse à laquelle j’abonde volontiers car au-delà du réconfort qu’elle procure, elle m’apparait très séduisante. »
Sur ces papiers d’identité et pour la GLDF, elle est de sexe masculin. Car notre société ne permet pas de laisser la question en état. Il faut être de l’un OU l’autre genre, de l’un OU l’autre sexe. Sa loge utilise son prénom de femme, mais continue à l’appeler « mon frère ». Ses frères se sont réunis décidant de garder celle qui est à la fois leur ancien frère et leur nouvelle sœur.
Elle a commencé son traitement hormonal il y a 16 mois. Depuis, elle a présenté cette planche dont je cite de nombreux et longs passages à sa loge et ailleurs, nous interpellant sur la question du genre – le nôtre – quand une société qui continue nous enferrer dans des rôles sociaux.
« Certaines sectes gnostiques font apparaitre Adam, l’homme primordial, comme un être androgyne, Simon le Mage le nommait « arsénothèlys » (male/ femelle).
De fait, la perfection spirituelle consisterait à retrouver cette androgynie en soi à l’image du temple où l’androgynie est omniprésente et nous invite à transcender le féminin/masculin en portant son regard vers un Orient recelant en lui toutes les potentialités. »
Lilithement vôtre,