5 Avril 2014
« Les premières franc-maçonnes au siècle des Lumières » de Janet Burke et Margaret Jacob, Presses Universitaires de Bordeaux, 2ème édition (préfacé par Cécile Révauger, et introduit pas Jean-Pierre Bacot et Laure Caille), présente une une série d'articles concernant la franc-maçonnerie d'adoption.
Cet ouvrage présente et publie les études de deux auteures américaines Janet Burke et Margaret Jacob, publié il y a 10 ans et traduit seulement depuis peu en français.
Comme le souligne l’avant-propos, des études antérieures ont été publiées sur ce que l’on appelle « les loges d’adoption ». Nous pouvons citer celles de Françoise Jupeau-Réquillard (l’Initiation des femmes en 2000 et sa thèse de doctorat : la Grande Loge Symbolique Ecossaise en 1989), les travaux de Gisèle et Yves Hivert-Messeca (Comment la franc-maçonnerie vint aux femmes, deux siècles de franc-maçonnerie et d’adoption, 1997), et enfin citons aussi Jean-Pierre Bacot pour plusieurs essais, dont « les filles du pasteur d’Anderson, deux siècles de franc-maçonnerie mixte et féminine » en 1988.
Pour une première fois, ces deux auteures américaines démontrent la démarche féministe et décrivent les différentes formes de ces loges. François Jupeau-Réquillard l’avait, elle-même, soupçonnée. Elle mentionne dès les premières pages de son livre « L’Initiation des Femmes », des différences dans les rituels. Si parfois la présence des femmes est en marge, d’autres fois les femmes sont mises en situation d’égalité dans des loges qui apparaissent avoir un fonctionnement mixte. Ainsi, le « Livre contenant tous les grades de la Véritable maçonnerie depuis l’apprenti maçon libre jusques au Rose-Croix et parfaits maçons : maçonnerie des Dames ou de la Maçonne d’adoption », par le Prince de Clermont, Grand Maître des Orients de France (décédé en 1771), utilise autant le féminin et le masculin dans les rituels « le frère ou la sœur terrible va chercher la récipiendaire ». Les archives sont certes rares, mais surtout guère utilisées. La franc-maçonnerie d'adoption demeure en marge des recherches historiques.
Les travaux des deux historiennes américaines, loin des enjeux de la franc-maçonnerie en France et guère touchées par les arguties symbolico-initiatico-maçonniques habituels – présentent les premières loges d'adoption avec un regard neuf, pour ne pas dire novateur.
A travers les exemples de loges comme celle de la Haye, en 1751 – la loge de Juste – fondée par le baron Juste Gérard van Wassenaer, la loge de Bordeaux en 1740 (qui est la seule étude basée sur les archives russes) pour une intéressante étude sur le paradoxe du Secret, la personnalité de la Princesse de Lamballe, et une critique féministe de ces loges – en se basant autant sur leur fonctionnement que sur les rituels. Nous parvenons à avoir une image plus contrastée de la franc-maçonnerie en France au 18ème siècle et surtout de la place des femmes dans celle-ci. Vous trouverez, de même, une étude signée Janet Burke sur la franc-maçonnerie féminine après la Révolution de 1789. Nous parvenons à avoir une image plus contrastée de la franc-maçonnerie en France au 18ème siècle et surtout de la place des femmes dans celle-ci.
En effet, nous pourrions être surpris par plusieurs éléments :
le côté précurseur de ces loges, de part la personnalité des femmes initiées,
le place des femmes dans ces loges indiquant une nette autonomie de celles-ci, d'autant plus après la Révolution,
le langage : il s'agissait de loges mixtes qui étaient cependant appelées « loges des Dames », « maçonnerie des Dames » ou « franc-maçonnerie féminine », la féminisation des noms dans les rituels (apprentisse, compagnonne, maîtresse, pour ne citer que ceux-là), et la réflexion sur le rôle des femmes dans la société soulignant une remise en cause féministe de leur situation sociale. Ces revendications apparaîtrons, d'ailleurs, un siècle plus tard dans un contexte maçonnique similaire.
L’état de nos connaissances était finalement victime d’un préjugé négatif vis-à-vis de ses loges – présentées comme une sorte de futilité, adressées à des femmes appartenant à l’aristocratie (comme d’ailleurs toute la franc-maçonnerie de l’époque) et réduite à ses actions caritatives, sorte de « dames patronnesses ». Les maçonneries mixte et féminine se sont détournées de ces modèles et n’ont guère tenté de les analyser, comme étant à la fois leur précurseur et événement originel de leur propre maçonnerie.
Laure Caille, dans son article de présentation de cette série d'études et de travaux sur la maçonnerie féminine, dont je ne me ferais pas l'économie d'omettre les notes de bas de page jointes, va plus loin :
"Il est de même compréhensible, sinon louable, que les grands précurseurs de l’historiographie maçonnique anglo saxons, tels William Preston ou William Hutchinson aient superbement ignoré cet étrange et so French phénomène3 . En effet, même si, récemment, quelques chercheurs ont la conviction que la franc-maçonnerie féminine existait aussi dans les îles britanniques, dès le XVIIIe, voire le XVIIe siècle, au-delà de l’anecdote ressassée d’Elizabeth de Saint Léger*, il leur reste à étayer leur thèse de documents directs et non d’intuitions, essentiellement fondées sur des parentés de rituels.
Plus étonnant est le sort réservé à la maçonnerie féminine dans la littérature maçonnique **du pays qui l’a vu naître et qui se targue par ailleurs volontiers de l’exception culturelle qu’elle représente : un jus soli – droit du sol- qui s’opposerait au jus sanguini –le droit du sang- en quelque sorte, auquel il faudrait peut être ajouter, si l’on en croit J.P. Bacot, un « jus religio » et un « jus linguistico ».*** Les rares classiques qui accordent quelques lignes à la franc-maçonnerie féminine n’y voient guère que phénomène marginal, folklorique et déviant. Claude-Antoine Thory n’hésite ainsi pas à affirmer : « La Maçonnerie d’adoption n’a aucun fondateur connu ; elle n’a ni corps représentatif, ni correspondance ; ses fastes ne peuvent donc offrir une suite de ces faits qui, liés ensemble, seraient susceptibles de composer une histoire.****. »
Plus récemment, Daniel LIGOU consacre, quant à lui, un chapitre aux « maçonneries féminines et parallèles», où il écrit: «Il n'est pas lieu ici de juger de la validité de l'initiation féminine, problème délicat qui ne peut être résolu que subjectivement.»8 La «validité» de l'initiation masculine n'est évidemment pas examinée. Elle va de soi."
En effet, si la maçonnerie féminine et mixte du 18ème siècle telle qu'elle était pratiquée est autant niée et oubliée, il apparaît rétrospectivement que sa seule existence remettrais en cause les discours du 19ème siècle et encore actuels sur l'initiabilité des femmes, tout autant que sur le poids de la Tradition maçonnique, un poids bien lourd, qui durant 150 années a permis aux obédiences masculines de soit ne pas reconnaître les obédiences nées fin du 19ème siècle et au 20ème siècle, soit de vouloir encore imposer – sinon réformer – ces mêmes maçonneries, en leur niant leurs spécificités.
Il y aurait encore aujourd'hui qu'une manière d'être « reçue franc-maçonne » et cette seule manière est encore définie directement ou indirectement par les obédiences masculines.Il apparaît donc presque intolérable de consentir aux « maçonnerie des Dames » une qualité initiatique, mais encore moins de penser que le siècle des Lumières et les valeurs maçonniques, dont on aime nous rabattre les oreilles, se sont construites aussi grâce à elles.
Ces loges mixtes du 18ème siècle avaient pour socle et liens : la fraternité mais aussi comme tremplin l'égalité entre les femmes et les hommes. Un programme qui a toujours son sens aujourd'hui.
Lilithement vôtre,
* Dont il faut remarquer que l’admission est purement accidentelle, dans des circonstances qui ne font que conforter la réputation de curiosité et d’indiscrétion prêtée à la gent féminine et censée justifier leur exclusion.
**Jan Snoeke. «The Adoption Rite, its Origins, Opening up for Women, and its ‘Craft’ Rituals »
Presentation for the Conference Women and Freemasonry since the Enlightenment, 17 juin 2010, Université de Bordeaux.
*** J.P. Bacot, dans Les Femmes, la franc-maçonnerie et l’Europe, Une Histoire d’inégalité, Dervy
(Paris, 2008), avance l’idée que la franc-maçonnerie féminine s’est implantée très majoritairement dans des pays latins et catholiques, et, en cas de bilinguisme national, dans les zones francophones.
****Cf. également l’introduction du numéro 31 de la revue Dix-Huitième Siècle, où il présente, presque comme à regret, les articles de C. Bertrand et F. Vigni sur des loges féminines : » « Sous la forme, au demeurant peu satisfaisante, des loges d’Adoption, la maçonnerie ‘ des dames’ a existé au 18e siècle. C. Bertrand et F. Vigni ont raison de nous le rappeler ».
Elisabetta de Gambarini est une musicienne anglaise née à Londres le 7 septembre 1731 d'un père musicien italien (Charles Gambarini) : elle fut cantatrice, organiste, claveciniste, compositrice, chef d'orchestre. Elle disparut le 9 février 1765, à l'âge de 33 ans.
Les premières franc-maçonnes au siècle des Lumières, 2e édition revue et corrigée
Les premières franc-maçonnes au siècle des Lumières. Depuis le début du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie a le plus souvent été associée au monde masculin. Il en est de même aujourd'hui...
Lire aussi :
"A l'Ombre de la République" de Jean-Pierre Bacot : http://lamaconne.over-blog.com/2014/02/a-l-ombre-de-la-r%C3%A9publique-j-pierre-bacot-livre.html
L'article signé par Laure Caille au sujet du livre "Les femmes et la franc-maçonnerie des lumières à nos jours" http://lamaconne.over-blog.com/2014/02/les-femmes-et-la-franc-ma%C3%A7onnerie-des-lumi%C3%A8res-%C3%A0-nos-jours-livre.html