26 Décembre 2016
D'après Pierre A. Riffard dans son livre « L'ésotérisme »* (Robert Laffont, Collection Bouquins), une société est ésotérique – nous pourrions dire « à caractère initiatique » - si elle respecte plusieurs critères : l'Initiation, bien sûr, mais aussi le Secret, que l'auteur appelle la « Discipline de l'Arcane ».
Une autre caractéristique est mentionnée: la différenciation faite entre le Sacré et le Profane – en terme d'espace-temps (un temps sacré, un lieu profane, etc), caractéristique d'ailleurs commune aux religions. Cependant, pour les ésotérismes, la notion de Sacré a un autre rôle et est directement lié à la notion de Secret.
Une autre notion apparaît pour l'auteur, dont je ne parlerai pas ici, « la Clef Universelle ». Pour cet article, je me contenterai de situer ce qu'est le Secret, notion quelque peu ambiguë – euphémisme blindé d'assouplissant – Il est aussi le caractère commun et le plus visible de tous les ésotérismes.
L'auteur mentionne que les premières traces de cette discipline de l'Arcane remonte à 13500 ans avant J.C ! Les hommes préhistoriques aménagèrent des sanctuaires, avec des dessins (de sorciers) qui ne peut être vus que selon certains angles. Pour faire simple, cacher le Secret – qui est le principe de la discipline de l'Arcane – se fait en écartant le profane, c'est-à-dire celui qui n'est pas « initié » - et en l'occultant.
L'initié, quant à lui; fait le serment de ne rien divulguer.
Nous sommes, là encore, dans la vision traditionnelle du rapport des ésotéristes avec le Secret. Néanmoins – c'est dire qu'il doit être bien gardé – il apparaît que quelques soit la société initiatique et l'époque, il ne nous est parvenu aucun dossier estampillé « Secret »!
Il y a d'ailleurs un paradoxe avec le Secret : il est secret mais il est dit en étant occulté. Les moyens d'occultations sont divers et sont en fonction de la société ésotérique. Ils peuvent être la légende ou le mythe, l'oeuvre d'art, le texte (qui peut même être un livre), le conte, etc. Le Secret est caché sans l'être. Il est à l'entrée du temple. Il est sur les parvis. Il est à la portée autant des initiés que des profanes.
Il est "Secret" car même mis au vu de tous, il ne peut être compris - ou considéré comme tel - que par les seuls initiés. Il faut le décoder - et posséder le décodeur - pour le comprendre que, bien entendu, les initiés possèdent.
C'est l'histoire de la lettre cachée ... bien en vue sur le buffet de la cuisine. Elle ne pouvait être considérée comme celle que tout le monde cherchait car trop en évidence. Seuls, quelques initiés pouvaient comprendre - avoir l'intelligence - de voir en elle, le Secret.
L'autre aspect du secret est de dire que s'il n'est pas caché, c'est parce qu'il n'est pas connu. Les ésotéristes s'efforcent uniquement de garder le mystère secret – si vous préférez - ils gardent les pièces du puzzles intactes pour les générations suivantes, espérant que celles-ci sauront les décoder ou les rassembler.
Quitte à être tordus, les ésotéristes ont une autre particularité qui ne va pas faciliter nos prochaines relations. Ils se fichent complètement de l'authenticité du texte. L'exemple le plus intéressant est le Zohar, texte phare des Kabbalistes. Son auteur Moise de Leon vendait ses manuscrits aux érudits, entre 1270 et 1280, faisant croire qu'il avait découvert des textes signés par Rabbi Shimon bar Yohaï**
Ne croyez pas que les contemporains de Moise de Leon furent dupes. Ils menèrent une enquête du vivant de Moise qui n'aboutit qu'à sa mort en interrogeant sa femme. Celle-ci se contenta d'expliquer que son mari travaillait à ses textes pour gagner de l'argent et qu'il pensait ne pas pouvoir les vendre s'il disait qu'il en était l'auteur. Cela n'a jamais amoindri l'importance des textes.
Ce n'est pas le propos des ésotéristes de pinailler sur l'origine d'un texte, il n'est qu'une occultation du secret, pas le secret – et donc pas la Vérité – Pinailler est d'ailleurs un truc de profane.
Ils se différencie en cela aux scientifiques, religieux, philosophes, historiens. S'ils ne rejettent pas le rationnel (ce que nous pouvons appeler la pensée logique), les ésotéristes utilisent surtout un mode de pensée considérée comme irrationnelles. Plus exactement, ils utilisent tout ce que l'être humain peut être, créer et toutes les formes de pensées possibles sans jamais se limiter. Voir même, la pensée aboutit n'est pas celle qui se confirme par le biais d'une démonstration, c'est celle qui se contredit, qui se retourne, qui s'oppose. Autrement dit, la pensée doit s'opposer à elle. Les pièces du puzzle sont donc des faux parfaitement assumés.
Tout cela montre que traiter la Discipline de l'Arcane simplement (disons rationnellement) est une gageure.
Cependant, pour cette fois, on peut faire le résumé suivant : Les société ésotériques ne détenaient pas de Secret.
Elles possédaient un casse-tête sous une forme ou autre, considéré comme occultation du Secret, toujours montré ou dit, même aux yeux des profanes. Un des travaux de l'ésotériste en herbe est d'oeuvrer au décodage et/ou de conserver, voir de compléter, le puzzle pour les générations suivantes.
Les sociétés ésotériques possèdent en sus du casse-tête initial, une « Clef Universelle » - le décodeur – qui sont autant - le tarot marseillais que les signes zodiacaux – des casse-têtes à eux-seuls !
Je voudrais examiner chaque chose, en donner les causes et les propriétés, mais je considère d'autre part qu'il ne faut pas décrire les secrets de la nature de telle sorte que le premier venu puisse les entendre ; c'est aussi l'avis de Socrate et d'Aristote.
Lorsqu'on se réfère à ce que nous connaissons : la franc-maçonnerie et ce qui est considéré comme étant « le Secret », nous pouvons nous interroger.
De tout temps, il n'a pas été soutenable et imaginable qu'un groupe de personne possède un Secret qu'il refuse de transmettre au reste du monde. Du moins qu'il considère posséder ledit secret. Leur divulgation était donc nécessaire. De tout temps, aussi, il ne pouvait être accepté que des personnes se réunissent en "société secrète". Ainsi, expliquer et raconter ce qui s'y passait fut obligatoire.
Ainsi, ceux qui résument ce secret aux seuls rituels n'ont certainement pas compris que tout au long de l'histoire de la maçonnerie de nombreux livres les divulguaient.
Aujourd'hui, ces mêmes livres nous permet de garder les morceaux du puzzle – le nôtre – presque complet. Nonobstant, ils permettent aussi à certains d'entre nous – à des obédiences entières mêmes – de se battre pour prouver l'authenticité et la lignée de leurs rituels (je ne vise personne). Ils pinaillent sur l'authenticité du texte comme le ferait n'importe quel profane.
Le secret n'est pas non plus ce qui se passe en loge - ce qui s'y passe fut divulgué en même temps que les rituels - Par ailleurs, ce qui s'y passe peu être compris par n'importe quel profane.
Ce qui pose - quand même - comme problème de fond que si tout peut être compris par les profanes, il n'existe donc pas d'initiés.
Pendant que j'y suis, je souhaite aussi préciser que les ésotéristes se mêlaient de tout. Ainsi, on trouve des traités de médecine, des exposés politiques, des expériences scientifiques, … Quelques exemples : Rabelais, Paracelse, les arts martiaux, l'alchimie (ancêtre de la chimie), …
L'ésotérisme s'occupe de l'être humain. L'humanité, l'être humain est au centre du débat. Elles laissent dieu (ou les dieux) en marge. C'est en quoi, l'ésotérisme diffère des religions qui place dieu au centre de tout.
Cela n'a donc rien d'étonnant que ces mêmes, qui soient invoquaient des anges ou s'essayaient à la magie, s'inquiétaient concrètement du sort de l'être humain.
Les traditions « maçonniques », tant et tant rabâchées ses derniers temps, ont bon dos.
J'ai évité, volontairement, de poser cette question qui tue : « Mais bon sang de bonsoir, qu'est-ce que ce Secret ? ».
Pour les sœurs et les frères, même si cela est noyé au milieu d'un verbiage, cela s'énonce en une seule phrase : « les francs-maçons travaillent à la recherche de la Vérité ».
Ceci est vrai, sans mensonge, certain et très véritable,
Ce qui est inférieur est comme ce qui est supérieur, et ce
qui est supérieur est comme qui ce qui est inférieur, pour
perpétuer les miracles d'une chose unique.
Et de même que tout vint de l'un, par la méditation
d'un seul, de même tout ce qui est né vint de cette
réalité unique, par adaptation.
Son père est le Soleil, sa mère la Lune, le vent le porta
en son ventre ; la terre est sa nourrice.
Table d'Emeraude d'Hermes Trismégiste
L'écartement du profane est la façon la plus simple d'éviter tout conflit d'intérêt. Les moyens sont l'initiation, le mot de passe (ou le mot secret), le jeu de questions-réponses, etc.
Il y a, bien sûr, du côté des ésotéristes un besoin évident de séparer deux dimensions – deux domaines de pensée - celle qu'ils se construisent entre eux et celle qui est commune à tout le monde (philosophie, religion, sciences, …). Il y a aussi, bien entendu, une posture élitiste dans cette séparation. Or, si cette pensée qui est censée se construire par les seuls initiés ne différent pas de la pensée commune - on revient toujours au même point - l'initiation et donc son secret n'existe pas. Cela fait réfléchir.
Toutefois, n'oublions pas qui étaient ces femmes et ces hommes : des hérétiques à l'Eglise Catholique. Cette dernière avait le bûcher un tantinet rapide jusqu'à la Renaissance. Si ce n'était pas l'Eglise, les rois et empereurs estimaient avoir leur mot à dire. Ils avaient un sens de la justice plutôt radical.
Le désir de se protéger, tout simplement, parce que sortant du commun - sans pour autant être extraordinaire - n'est donc pas absent. L'anonymat et la protection de cet anonymat est donc un pré-requis.
Le 20ème siècle, coupée par deux guerres mondiales, n'a nullement épargné les maçons dans toute l'Europe.
L'extrême droite reprenant les thèses conspirationnistes post-révolutionnaires (je parle de la Révolution 1789), où se mêla allègrement les thèses satanistes catholiques et l'antisémitisme, le nazisme, puis le bloc soviétique et le communisme, furent autant de (bonnes) raisons pour les maçons de demeurer anonyme et de tenir à cet anonymat.
Dans les faits, prétendre qu'il n'existe pas de "secret" ne sert à rien - L'antimaçonnisme d'aujourd'hui nous le prouve. Indiquer une biographie pour expliquer ce qui se passe en loge, n'est guère plus utile. La rançon de la gloire que des francs-maçons ont payée de leur vie.
Les seuls qui souhaitent voir des listes circuler de noms ou d'informations personnelles comme adresse email et profession, hormis quelques journalistes abonnés aux marronniers, sont les descendants de l'extrême droite du 20ème siècle, les anti-maçons et autres extrémistes, fervents adeptes du complot judéo-maçonnique.
Ainsi, du secret - il n'y en a pas - mais, sachez, que nous le cherchons.
*Pierre A. Riffard est docteur en philosophie et en lettres. Son livre est composé en deux parties : la première partie propose une définition et même une classification des différents ésotérismes.
La seconde partie ne peut que plaire aux inconditionnels du genre : les grands textes de l'ésotérisme occidental y sont rassemblés.
** Pour les non-spécialistes comme moi : Rabbi Shimon bar Yohaï est un rabbin galiléen ayant vécu au 2ème siècle après JC, qui combattit, suivant la tradition talmudique, les romains. Entre autre, il a vécu 13 ans dans une grotte et n'en ressortira qu'après avoir vu un oiseau, muni d'une connaissance ésotérique et de dons particuliers.
Article de juin 2014 - mis à jour -