21 Septembre 2014
Voici l'article promis qui fait écho à « Je suis athée » : http://lamaconne.over-blog.com/2014/09/je-suis-athee.html . Il est écrit par ce que nous appelons « l'autre pôle », c'est-à-dire un frère de la GLNF qui signe « ma contribution » : soit une approche théiste d'un frère qui baigne depuis sa plus tendre enfance d'apprenti maçon dans une obédience théiste.
Pour éviter un débat inutile, je souhaite préciser que je ne connais pas ce frère qui est apparu en commentateur sur mon blog récemment.
Mon intuition (féminine) m'a fait pressentir qu'il pouvait présenter une réflexion construite sur sa pratique et accepter de nous en dévoiler quelques arcanes sur ce blog. Mon intuition ne m'a pas trompée … en plus, le choix musical est de lui.
Lilithement vôtre,
Quel est le sens du mot Dieu dans notre langage à une époque où l’homme se fait lui-même mesure de toutes choses. Voilà une affirmation osée certes mais très ancienne. Déjà Platon se posait cette question dans la bouche de Protagoras.
Que l’homme soit la mesure de toutes choses on peut l’accepter ou le refuser. En revanche le fait qu’il se fasse lui-même mesure de toutes choses est une constatation qui caractérise l’essence des temps moderne. Pourtant les découvertes scientifiques modernes semblent contredire ce fait. En effet depuis les lois des mouvements célestes par Copernic et Galilée l’homme a été expulsé du centre de l’univers. Pic de la Mirandole situait encore au 15ème siècle l’homme au milieu du monde, place qui lui avait été assignée par Dieu. Il écrit dans son traité « de la dignité humaine » : Dieu assigne à l’homme une existence au milieu du monde afin qu’il puisse, par une existence sans limite, se déterminer lui-même et connaitre d’autant plus facilement toutes choses qu’il les embrasse du regard à partir de ce milieu. Il doit avoir la possibilité autant de se dégénérer « in inferiora » que d’être régénérer « in superiora ».
Cette vision de l’homme au centre est pourtant mise à mal dans la modernité depuis Copernic. L’homme roule du centre vers l’X (vers l’indéterminé), pour reprendre la formule de Nietzsche. Comme la terre n’est plus le centre de l’univers, l’homme ne l’est plus non plus. Une fois sorti du centre l’homme roule vers l’X dans l’indéterminé. Mais comment alors affirmer dans cette situation qu’il se fait mesure de toutes choses, qu’il soit capable de réaliser un plan, qu’il ordonne ses idées autour d’une idée centrale et d’un centre ?
Une seule réponse s’impose : c’est précisément parce qu’il n’est plus le centre du monde que l’homme se fait mesure de toutes choses. L’homme du moyen-âge ne s’est pas promu de lui-même centre du monde. Il s’y trouve placé tout naturellement. En tant qu’image de Dieu, en tant que Temple de Dieu, il savait qu’il était au centre de l’univers en raison d’une vocation divine. Roulant désormais du centre vers l’X l’homme s’est alors mis à acquérir pour son propre compte l’héritage désormais perdu en vue de le posséder. Jusque-là il n’avait été qu’au centre. A présent il se fait centre et met en œuvre une volonté jamais égalée dans ses dimensions et dans sa force.
(Dixit Jean Brun pour les paragraphes ci-dessus)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Brun
Mais dans ces conditions Dieu est-il encore nécessaire ? Tous les Temples d’aujourd’hui, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, n’ont-ils de vocation que d’être ériger à la gloire de l’homme (ou même de la nature) ? Si Dieu n’est plus nécessaire qu’est-il encore pour l’homme et pour le monde ?
Au fond Dieu n’est pas « nécessaire », il est « plus que nécessaire » lancera le théologien allemand Eberhard Jüngel dans son remarquable « Dieu, mystère du monde ». Il n’est pas « nécessaire » parce que « non nécessaire » non pas parce que « plus que nécessaire »
http://www.editionsducerf.fr/html/fiche/fichelivre.asp?n_liv_cerf=1299
Voir aussi http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=645
Notre relation à Dieu n’est donc pas de l’ordre de la nécessité, preuve en est qu’on peut tout à fait se passer de lui et vivre bien, c’est-à-dire humainement, agir dans et pour le monde et donner un sens à son existence et à son action sans lui.
Si la relation à Dieu n’est plus de l’ordre de la nécessite de quel ordre est-elle?
Qu’est-ce donc qui peut être « plus que nécessaire » ?
On s’approche là de la gratuité et du désintérêt, de l’amour comme mystère de ce monde appelé au Bien et non au mal. La nécessité est du domaine de la mondanité et donc de la réciprocité. « Œil pour œil dent pour dent », « fais à autrui le bien que tu voudrais qu’il te fasse », sont des morales de la nécessité et de la réciprocité, mais pardonner, tendre l’autre joue, donner sa vie pour ses amis, aimer ceux qui nous méprisent… relèvent d’une signification qui sort de ce cadre.
Or le souverain Bien de ce monde est « au-delà de l’être » comme le dit Platon dans sa République, mais « c’est en vue du Bien que tout être fait ce qu’il fait ». L’être est intéressé mais il est aussi appelé à se dépasser, à autre chose que lui-même, au Bien qui est au-delà, à la Sainteté, plus que nécessaire. A par-delà la nécessité, La mondanité est mystérieusement régit par ce «plus que nécessaire ». La vie dans le monde peut être morale ou civique, mais elle n’oblige pas à la générosité, au sacrifice de soi ou la sainteté, lesquels pourtant existent dans le monde mais portés par une force d’impulsion autre que la simple réciprocité.
Cet « autrement qu’être» contient aussi des forces critiques de contestation face aux puissances de ce monde qui captent à leur profit les aspirations humaines à plus de justice, à plus de beauté, à plus de vérité, ces ressorts en l’être de l’hommes qui le tendent naturellement vers un dépassement de soi, vers un souci pour autrui plus que pour soi-même, vers une Espérance qui dépasse ce qui sépare les vivant des morts. L’argent, le pouvoir, la violence et la pornographie captent ces aspirations et les enferment dans une mondanité infernale où elles souffrent et se flétrissent de ne pouvoir sortir pour s’évader de l’être auquel elles restent rivées dans un « quant à soi » mortifère.
Cela peut donc être la Charité qui se propose, dans ma démarche maçonnique, de devenir la pierre d’angle, le centre de l’idée, du Temple intérieur que je bâtis, malgré le doute indispensable, malgré le fait que je roule du centre vers l’indéterminé. Par le travail de ma volonté à reconquérir le centre perdu, par les ponts que je cherche à lancer entre la foi et la raison, malgré les attaques intérieures et extérieures des mauvais compagnons qui me harcellent sans cesse, tant que le bon grain et l’ivraie sont entremêlés en moi et dans le monde, de la même manière que la cité de Dieu et celle des hommes décrites par St Augustin sont imbriquées, je continue à bâtir et à rebâtir.
Car il y a bien en moi et dans le monde deux amours cohabitent et édifient deux temples différents. La formulation d’Augustin est radicale mais elle a l’avantage de recentrer sa vision sur l’amour plus que sur la foi.
Deux amours ont bâtis deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu : la cité terrestre, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi : la cité céleste.
Mais les lignes de démarcation entre les deux cités ne sont pas tracées selon l’appartenance effective à l’une ou à l’autre des cités visibles, donc extérieurs, mais selon la disposition intérieure du cœur ; on peut bien être un fonctionnaire de la cité de Dieu et en réalité être animé par une volonté de pouvoir, comme on peut bien être un administrateur de la cité terrestre tout en étant mu par un désir de service et de générosité. Le bon grain et l’ivraie sont entremêlés à l’intérieur même les deux cités et en chacun d’entre nous.
L’excès préjudiciable est d’aller jusqu’au mépris de l’autre. L’universalité de notre Franc-maçonnerie est régulièrement mis à mal par des camps qui s’opposent à l’intérieur d’une même maison commune mais aussi de l’extérieur. Des camps qui s’opposent sans véritablement se comprendre tout en restant dans une posture quasi-idéologique qui considère la position de l’autre comme infamante.
Mais tout cela est vieux comme le monde.
« Détruisez ce Temple et en trois jours je le rebâtirai », avait dit celui qui est venu révéler aux hommes le pardon. Mais il parlait de sa mort et de sa résurrection, est-ce à dire de son Temple intérieur ?
Avec l’invocation au Grand Architecte à l’ouverture de nos travaux nous voulons donc signifier plusieurs choses :
Nous reconnaissons alors l’existence d’un principe supérieur qui doit guider nos actions, principe supérieur ou transcendant que nous nommons aussi Dieu dans l’ambigüité de sa signification, entre le Dieu des philosophes avec le déisme et le Dieu des religions et des spiritualités, en particulier des religions révélés, avec le théisme. Je prends acte que les deux conceptions peuvent cohabiter dans une même FM.
Le théisme vient explicitement de la tradition biblique et il s’agit d’une relation à un Dieu personnel que l’on peut connaitre et avec qui l’on peut avoir une relation (par la prière par exemple) parce qu’il se révèle aux hommes.
Le déisme est porté quant à lui par la tradition philosophique et métaphysique occidentale, des présocratiques grecs aux philosophes des lumières et est une tentative de décrire un principe ou être supérieur et transcendant. Cette tradition ne dit pas rien de Dieu car elle définit certains de ses attributs comme la gloire (que l’on retrouve dans notre invocation) mais aussi la toute-puissance ou la bonté. Attributs que l’on retrouve dans la Bible.
Théisme et Déisme ne s’opposent pas selon moi mais sont deux approches différentes et riches de sens dans un dialogue possible. Reste à se demander si les traditions orientales plus spirituelles et avec une forte intériorité du divin arrivent à se retrouver dans l’un ou l’autre terme. C’est ce débat qu’il serait intéressant de lancer un jour…
Une autre raison est que cette invocation signifie que nous ne travaillons pas à notre propre gloire. Les travaux du chantier furent commencés avant nous et serons achevés après nous. L’édification que nous cherchons à réaliser nous dépasse. Seul un « Dieu » peut en avoir une vue d’ensemble transcendant l’espace et le temps de l’universalité de la FM.
Une autre raison encore est de rappeler que nous suivons, en particulier au REAA, un chemin de spiritualisation plus que de politisation. Nous pensons que c’est d’abord en faisant grandir l’homme, la personne ou l’individu, en l’amenant à se transformer par le travail, les symboles et les outils, que nous pourrons améliorer le monde et la société, et pas le contraire.
L’invocation au GADl’U ouvre aussi d’un point de vue plus mystique ou alchimique, la relation des tous les FF avec l’orient et avec l’orient éternel, avec un au-delà du monde, de sacré ou de saint, et cela n’est pas sans poser de questions par rapport à la mentalité moderne qui a chassé Dieu ou la transcendance de ses références et de ses préoccupations. Précisons ici que la FM régulière ne peut et ne veut se considérer comme une religion ou comme étant exclusivement reliée ou soumise à une religion, église ou culte particulier et que dans son universalisme elle accueille tous les hommes vertueux, libres et de bonnes mœurs qui acceptent de travailler à la GDGADlU.
Reste aussi que nous voulons aussi la liberté comme souverain Bien. Liberté de penser, de croire et de dire ce que nous voulons. Liberté de dire que Dieu est ceci ou cela ou ne rien dire. Ne rien penser, croire ou dire est bien une possibilité de notre liberté. Liberté de refuser dogmes, tutelles et traditions. Mais le refus de doctrine peut-il s’ériger en doctrine à son tour, avec ses censeurs, telle est la question ? Tel est le danger d’un déisme dogmatique qui imposerait qu’il ne faut rien imposer… et qu’il ne faut surtout pas parler de tout cela.
Pour ma part bien entendu je n'attends pas du domaine maçonnique une bénédiction, une adhésion ou une option par rapport à un concile particulier ou à une structure ecclésiastique particulière, mais juste la possibilité, au sein de la FM, d'un véritable respect réciproque et d'une participation de chacun à un dialogue constructif, de vues de convergences pratiques du simple point de vue éthique. Les dimensions doctrinales, ecclésiales, liturgiques et hiérarchiques sont nécessaires à chacun dans son propre système conceptuel, mais la question est de savoir si ces différents systèmes, avec l'initiation maçonnique, nous conduisent vers une même finalité concernant le sens d'un "agir" au sein du monde. Ce ne sont certainement pas les questions théologiques qui nous sauveront, tous autant que nous sommes, du chaos. La vérité est là, devant nous, elle crie de détresse et attend notre secours car elle nous a investis d’une mission. Telle est, avec la possibilité de mon appartenance, comme catholique (Vatican II inclus) à la FM, l’essentiel de ma préoccupation : notre propre responsabilité face au mal ! Ou du moins la possibilité de la combattre.
"Ma contribution" - GLNF.