28 Avril 2015
Depuis l'annonce sur ce blog d'une conférence ayant pour thème « Initiation & féminité » présentée par Bruno Pinchard, de la loge de recherche Villard de Honnecourt (GLNF), il s'en est passé des choses. Tout d'abord, l'article de « ma contribution », que les lectrices et lecteurs les plus assidus de « la Maçonne » pour l'avoir déjà lu, publié sur le blog Myosotis du Dauphiné Savoie de notre frère Emmanuel – Fidèle d'amour (GLNF). « Ma contribution » est, bien sûr, un frère de la GLNF.
Ensuite, Roger Dachez, historien reconnu au point où je ne vous ferais pas l'affront de vous le présenter, sur son blog « Pierres Vivantes » nous propose, de son côté, des précisions historiques nécessaires.
Roger Dachez rappelle l'existence de trois obédiences, une mixte et deux féminines, qui ont été déclarées « régulières » mais non « reconnues » par la Grande Loge Unie d'Angleterre en 1999, en réponse à « ma contribution » qui, sous son clavier, imaginait la fondation d'une maçonnerie féminine théiste en France, par la GLNF.
Astride Mandos, mon Docteur Watson, m'avait signalée que cette idée (qui paraît-il m'était adressée) tournait sur les réseaux sociaux.
Que sont ces obédiences anglaises qui seraient devenue des modèles maçonniques ?
A lire :
Dans le cadre des Tribunes Libres que le Myosotis du Dauphiné-Savoie met à la disposition des Frères (ET Sœurs, pourquoi pas ?) qui souhaitent s'exprimer librement, voici la réflexion d'un de ...
L'article de Emmanuel - Fidèle d'amour
Des Frères et ... des Soeurs "réguliers" !...
J'interromps un moment la poursuite de ma chronique sur les origines de la légende d'Hiram - j'y reviendrai très vite -, pour envisager un sujet qu'un blog maçonnique a récemment abordé, et pr...
http://pierresvivantes.hautetfort.com/archive/2015/04/22/des-freres-et-des-soeurs-reguliers.html
L'article de Roger Dachez
La Grand Lodge of Freemasonry for Men and Women compte 11 loges en Angleterre, 13 en Bulgarie et 1 en Grèce. Elle explique assez longuement sur son site son histoire. A priori, elle serait fondée en 2001 (bien que l'UGLE en parle dès 1999). Elle souligne qu'elle refuse l'expression « Co-masonry » utilisée en anglais pour désigner la franc-maçonnerie mixte. Elle impose à ses membres la croyance en un être suprême. Elle fait remonter son histoire à Annie Besant. Cette obédience mixte anglaise a des accords avec d'autres obédiences, bien que rares, dont pour la dernière en date, la GLEFU – que nous connaissons – qui elle aussi est présentée comme imposant une croyance en un être suprême, un dieu révélé, garantissant sa régularité.
Cette obédience est une scission du Droit Humain, lors d'une crise de dernier, qui se trouvait confronté au courant déiste se référant à la théosophe Annie Besant. Ce courant voulait interdire tout sujet de société, imposer effectivement une vision doctrinale de la franc-maçonnerie, substitut religieux.
Surtout – c'est l'essentielle caractéristique de cette obédience – remettre en place la pratique du rite Dharma, appelé aussi Lauderdale. Il s'agit d'un rite qui fut rédigé dès 1904 et révisé en 1916 par Annie Besant.
Annie Wood Besant (1947-1933) adhéra à la théosophie en 1899, après un passé tumultueux de militante socialiste et féministe. Entre autre chose, elle fut propriétaire de son propre journal, adhéra à la Fabian Society … Libre penseuse, elle considérait que l'athéisme était une libération.
Dans son livre « Pourquoi je suis devenue théosophe », traduit en français en 1911 (selon sa 14ème édition!), elle écrivait : « En somme, la libre pensée est un état intellectuel, une attitude mentale et non un credo ni une série de dogmes. » Plus loin, elle ajoute aussi : « Le second point à inculper à l'étudiant, c'est la négation d'un Dieu personnel. De là, vient (Madame Blavatsky l'a fait observer) que les agnostiques et les athées s'assimilent plus facilement les enseignements théosophiques que peuvent le faire les hommes qui croient à des dogmes formels. La théologie théosophique est panthéiste. « Dieu est tout et tout est Dieu ».
et elle cite ensuite Helena Bravasky : « Ce qui est dissous c'est cela, c'est le double et illusoire aspect de Céla, dont l'essence est éternellement Une, ce que nous appelons la Matière éternelle ou la Substance, sans forme, sans sexe, inconcevable même […] et dans lequel, par conséquent, nous refusons de voir ce que les Monothéistes appellent un Dieu personnel ou anthropomorphe. »
La théosophie telle que présentée ainsi propose une doctrine, se substituant aux religions, interdisant effectivement l'athéisme, ayant défini une idée du divin et par conséquent de l'être humain, mais faisant renoncer aux religions monothéistes. Son adhésion à la théosophie et, par la suite, à la franc-maçonnerie, ne lui interdisait nullement de participer aux luttes sociales. On la retrouve en Inde aux côté de Gandhi. Mais là, c'est une autre histoire.
Annie Besant, toute théosophe qu'elle fut, n'imposait nullement à une croyance en un dieu au sens monothéiste, mais à une connaissance divine déiste. Ce principe divin est en chaque individu, ne pouvant être ni vu , ni entendu, à moins de développer des dons particuliers . Ces dons particuliers sont les résultats de l'évolution humaine, par les réincarnations. Dans son livre « les lois fondamentales de la théosophie : conférences d'Adyar 1910 », publié et traduit en Français en 1911, elle y explique assez longuement le principe de réincarnation, qui seul améliore l'humanité et l'individu en assimilant la conscience et les leçons de sa vie antérieure. Le kharma, quant à lui, est un forme de justice supérieure régit par la loi de causalité : une mauvaise action doit être suivie par une bonne action pour éviter à l'individu un déséquilibre.
Il ne s'agit donc pas de parler en théosophie des religions monothéiste, bien que la théosophie ne les considère pas incompatibles, mais estime qu'autant que la science (matérialisme), elle se trompe.
Ainsi lorsque l'on rapporte ce qui constituerait les bases de l'accord Annie Besant, pour le Droit Humain, il s'agira de lire entre les lignes et de retrouver l'origine des propos.
If (Masonry) is really anything, it is a presentment by symbol and by legend of the great fundamental truths of human life and human evolution; and therefore, just as in the great Mysteries – of which its forms are really the vessels surviving – no distinction of sex is permitted; and because of that act in what we call Co-Masonry, it came into the position of being a possible instrument for helping in the evolution of mankind …. into the really Universal Brotherhood which it proclaims. The difficulty in the French Masonry, where this movement, Le Droit Humain originated, was that they left out that universal landmark of Masonry, the recognition of the Great Architect of the Universe. But when some of us here, Theosophists, became Masons, taking our Initiations, as we had to, from France, we said quite frankly that we could do nothing (with Freemasonry ) in England unless that great landmark was restored, as we believed in the Existence (of God). As they were willing to accept us believing in Him, it was necessary that we should be given perfect freedom to use His name in our Rituals and to acknowledge His Power in our workings. So that, in this respect, English Freemasonry differs from the French – certainly so far as we are concerned, we follow the English usage and not that of the French’
http://freemasoninformation.com/2011/04/theosophy-and-freemasonry/
L'idée qu'une militante socialiste, libre penseuse et féministe soit devenue une grenouille de bénitier peut plaire.
Ayant constituée un empire théosophique autant que maçonnique, Annie Besant n'a pas quitté le Droit Humain. Elle avait, cependant, toute possibilité pour fonder une obédience complétement indépendante de la France.
Il apparaît, dans les quelques recherches que j'ai effectué sur cette personnalité pour le moins complexe, qu'elle a beaucoup écrit. On trouve des livres sur tous sujets (340 livres), des informations sur ses combats qu'ils soient en Angleterre ou en Inde, mais rien sur son implication à la Franc-maçonnerie.
Certes, elle était devenue une mystique, pratiquant au choix magie et occultisme, s'étant mise en tête d'avoir trouvé chez un jeune hindoue qu'elle a adopté une sorte de grand initié. Elle fut très certainement sectaire vu le nombre de scissions qu'elle a produit de son vivant au sein de la Société Théosophique comme en franc-maçonnerie au sein du Droit Humain.
Elle a fait d'elle un mythe, à en lire sa biographie d'une centaine de pages publié en 1918 en France. La parfaite enfant, douce et rêveuse, ayant une parfaite éducation de jeune fille, sans trop de mathématiques et de sciences, alors qu'à l'âge adulte, elle poursuivit des études scientifiques et qu'elle le rappelle aussi dans son livre « Pourquoi je suis devenue théosophe ». Une vie de souffrance – elle était née, y explique t'on, pour être martyre.
La théosophie est une doctrine « clef en main ». A ce titre, elle ne peut pas constituer les fondements d'une obédience maçonnique, puisque la franc-maçonnerie se refuse à imposer toute doctrine religieuse ou philosophie. Ce que les français, tout francs-maçons du Droit Humain qu'ils soient, ont parfaitement compris.
L'Order of Freemasonry for Women est issue d'une première scission, maintenant historique, du Droit Humain.
Son (très beau) site présente l'histoire de l'obédience. J'ai noté dans les nouvelles de l'obédience qu'elle a fêté les 60 ans de la franc-maçonnerie féminine au Canada, qui ne compte que 3 loges. Pour tout dire, la GLFF n'a pas fait mieux, avec une seule loge (mais pas en 60 ans). Il faut cependant prendre le temps de parcourir les biographies des Grandes Maîtresses de l'obédience pour apercevoir les grandes lignes de l'histoire de cette obédience.
Adélaïde Litten (1873-1951) fut « Grand Maitre » (suivant la traduction du masculin choisi par les sœurs) de 1928 à 1938, ce que l'on peut appeler les années cruciales pour le développement de cette obédience – comme en général le développement des obédiences mixtes et féminine. Initiée en 1909, dans la loge n°2 « Emulation », c'est sous son mandat que l'OWF décida de devenir exclusivement féminine. Marion Lindsay Halsey (1861-1927), initiée aussi en 1909, fut par son 2nd mariage en 1910 l'épouse de Réginald Halsey, Grand Maître adjoint de la Grande Loge Unie d'Angletterre. Elle fut Grand Maître de l'OWF de 1912 à 1927. Sous son impulsion, l'OWF demanda à la Grande Loge Unie d'Angleterre d'être reconnue (1919). Ce qui leur fut refusée en 1920. L'OWF était alors mixte.
Elle reprenait la charge de la grande maîtrise après Cobb. Le Révérend William Frederick Cobb (1854 – 1941) fut Grand Maître de l'obédience de 1908 à 1912. Il fut initié en 1902, inspiré par Annie Besant. Il souhaitait ainsi une maçonnerie où les femmes seraient sur un même pied d'égalité que les hommes. Rapidement, il désapprouva la doctrine théosophique et, avec quelques autres sœurs et frères, décidèrent d'une scission. Il souhaitait fonder une obédience mixte sous le modèle de l'UGLE.
En 1920, les hommes étaient encore reçus comme visiteurs, mais n'étaient plus initiés dans l'obédience. En 1930, les hommes furent refusés comme visiteurs. Il y avait cependant encore des frères dans l'obédience. Il fut décidé qu'une obédience féminine avait plus de chance d'être reconnu par l'UGLE. En 1935, les frères n'eurent aucun mandat et fonction dans l'obédience. Lors du mandat d'Adélaïde Litten, les effectifs ont doublé. L'obédience est passée de 9 loges à 20.
L'obédience a continué à s'organiser, avec en 1950, la fondation de la loge « Voyagers » n°40, dont l'objectif est d'initier des femmes étrangères. La fondation d'une loge de recherche en 1978, la loge « Doris Jones Memorial Lodge No. 300 ». En 1964, l'obédience comptait déjà 173 loges. Le développement s'est avéré même fulgurant durant le mandat de Mildred Rhoda Low (1899 – 1976) entre les années 1964 – 1976, avec la fondation de 13 nouvelles loges par an.
Welcome to the Order of Women Freemasons
Welcome to the Order of Women Freemasons
Pour cette troisième obédience, the Hounorable Fraternity of Ancient Freemansons est une scission de la précédence en 1914. On n'y apprend pas grand chose de plus. Le motif de la scission de 1908 est présentée comme étant lié à des décisions parisiennes incompatibles avec la tradition maçonnique. L'imprégnation théosophique des loges anglaises, d'alors, n'est pas mentionnée. On imagine que la scission de 1908 trouvent ses motifs dans un peu des deux récits . Le terme « Soeur » a été supprimé en 1908, peut-on aussi lire, parce que jugé inconvenant pour une maçonnerie qui se veut universelle. Cette obédience a ouvert récemment une loge « universitaire », comprendre qu'elle est destinée aux étudiantes qui y seront initiées, proposant par ailleurs des cotisations réduites.
HFAF mentionne sur un onglet spécifique sa « régularité » par rapport à l'UGLE. Elle est aussi la seule qui mentionne l'existence d'une maçonnerie féminine continentale : la GLFF et la fondation des autres obédiences.
The Honourable Fraternity of Ancient Freemasons (HFAF) is a fraternity for women and organised by women. It was founded in 1913 and membership is open to women of any race or religion, who are able
Ces différents points d'histoire relatés sur le site d'OWF essentiellement, amènent deux constats :
le choix de constituer une obédience exclusivement féminine a été faite dans l'espoir que l'obédience soit reconnue plus facilement par l'UGLE. Ce qui n'est pas le cas de la maçonnerie féminine en France qui a été fondée dans le désir de permettre aux femmes d'être initiées et donc d'intégrer la franc-maçonnerie,
les choix inhérents aux orientations théistes de l'obédience est autant lié à la nature mixte de l'obédience à son origine, lors de sa scission avec le Droit Humain, avec un pasteur anglican comme Grand Maître, que le désir d'être reconnue par la même UGLE.
Avant de jeter la pierre sur ces sœurs, pionnières, un autre aspect est à souligner, vrai autant en France qu'en Angleterre. Si le but était la reconnaissance avec l'obédience masculine locale – car l'UGLE est avant toute chose une obédience anglaise – il était aussi de ne pas être isolé de mouvement maçonnique et d'obtenir pour leur avenir une sorte d'assurance qualité.
Le résultat n'est pas folichon et guère enviable. Ces obédiences ne sont pas plus reconnues en 2015 qu'en 1915. Elles demeurent isolées, s'interdisant par ailleurs des relations avec les obédiences qu'elles soient mixtes ou féminines dites « irrégulières », copiant leurs comportements sur l'obédience masculine dominante. Leur développement, paradoxalement, même si on peut considérer que 6000 sœurs pour l'OWF et 4000 sœurs pour HFAF en un siècle d'existence est peu au regard des effectifs de la Grande Loge Féminine de France et du Droit Humain, a été malgré tout assuré sans aucune reconnaissance et sans même avoir reçu l'estampille magique de « régularité ».
Les photographies qui illustrent cet article, provenant des sites de nos sœurs anglaises, montrent un autre aspect absent en France. Ce type de photographies montrant des sœurs en décors maçonniques, posant en groupe, sont très rares. Elles n'ornent d'ailleurs pas le site de la GLFF. Aucune autre obédience continentale d'ailleurs affiche ses membres. Il faut avouer que nos sœurs anglaires ont une belle et fière allure. Ce qui paraît être accessoire ne l'est pas : il y a une différence culturelle notable entre les deux courants maçonniques français et anglais, que note Roger Dachez dans son article.
De même, si les obédiences féminines et mixtes, comme d'ailleurs les obédiences libérales dans leur ensemble, montrent un intérêt pour leur société, les questions de droits, les commémorations constituant les passages obligés à notre démarche de citoyennes et de citoyens, les sites des obédiences féminines anglaises sont muettes.
Elles présentent une maçonnerie de décorum, charitable certes, demandant à leurs futures membres de croire en dieu, mais une franc-maçonnerie qui s'est éloignée des préoccupations du monde et de leur société, comme des droits des femmes en Angleterre.
N'oublions pas non plus de préciser que la franc-maçonnerie française est une maçonnerie « de planche », c'est-à-dire de travaux partagés en loge. Rien n'est spécifié sur leur site à ce sujet, pas même de mention particulière sur les rites pratiqués alors qu'elles ont hérité du rite Dharma autant du REAA "à la française".
Les loges universitaires, initiant des étudiants, est aussi une autre particularité que l'on imagine plutôt mal reproduire en France. Il s'agirait, selon un site consacré au sujet de l'UGLE, d'une coutume remontant à Newton. L'UGLE a fondé ainsi 55 loges, qui au vu des informations ressemblent plus exactement à des clubs sélects d'étudiants (organisation de bals, de dîners, …). L'objectif est de rajeunir les effectifs de l'UGLE, vieillissante et dont les effectifs seraient à en croire un site étudiant de 250 000 frères. http://www.universitiesscheme.com/web/events.html
Une obédience féminine théiste sous la forme anglaise en France? Pour récompense : un vague texte de l'UGLE pour les féliciter de leur "régularité" au bout de 90 ans d'existence ? Croyez-le ou non, cela fait bondir.
C'est bien peu promettre aux femmes lorsqu'il existe en France plusieurs modèles d'obédiences mixtes et féminines, leur permettant tout.
Il est oublié, bien souvent de préciser, que si la franc-maçonnerie régulière se résume à juste une affaire de croyance en un Dieu monothéiste, les obédiences libérales ne l'interdisent pas.
Astride Mandos aura le mot de la fin : les femmes aujourd'hui seraient tout à fait capable d'en fonder une sans l'aide d'une obédience masculine. J'ajouterai même si cette obédience féminine théiste n'existe toujours pas, c'est peut-être que les femmes n'en ont pas besoin.
Lilithement vôtre,