5 Avril 2015
Je me suis inquiétée des hommes féministes depuis finalement peu de temps, en tombant sur le livre de Benoîte Groult « le féminisme au masculin » publié en 1977, qui déclarait en substance dans son introduction : « Il n'y a qu'une manière d'être féministe aujourd'hui pour un homme, c'est de se taire enfin sur la féminité. C'est de laisser parler les femmes. ». Ce livre fait l'apologie de plusieurs « grands » hommes féministes, tout en retraçant brièvement l'histoire du féminisme, lorsque le mot n'existait pas.
Jusqu'alors, des hommes féministes, je m'en fichais féministement. Lors de mes recherches sur le sujet « féminisme », j'ai découvert une thèse de Alban Jacquemart, pour l'obtention du Doctorat de l’École des Hautes Études en Sciences-Sociales, en date de juin 2011, ayant pour titre « les hommes dans les mouvements féministes françaises (1870-2010) - sociologie d'un engagement ». Bien sûr, de nombreux éléments sont issus de ma réflexion personnelle quant à la présence des hommes dans les mouvements féministes et leur militantisme (sujet essentiel de la thèse) et des hommes qui se disent féministes (nullement abordé dans la thèse).
Jean-Pierre Bacot, historien spécialiste de l'histoire de l'initiation des femmes et de la fondation des obédiences mixtes et féminines, constate régulièrement que ces hommes féministes, engagés, étaient (sont ?) minoritaires.
Le féminisme (ou les féminismes), lutte pour les femmes au nom des femmes, apparaît exclusivement féminin. L'a priori veut que les hommes ne puissent dire « je suis féministe », soit parce qu'il s'agit d'un interdit sémantique, soit parce que l'expression revêt, de nos jours, un relent ringard, dépassé ou pire une « guerre des sexes ».
La question qui se pose est pourquoi, voir même comment, des hommes se sont engagés dans des mouvements féministes, même s'ils étaient minoritaires. Ils n'avaient, en effet, aucun intérêt à défendre les femmes et leurs droits, alors qu'ils possédaient (et possèdent encore) une place privilégiée dans la société.
A contrario, on peut aussi se demander pourquoi des femmes, elles-mêmes ne bénéficiant pas des mêmes droits que les hommes, se sont affichées et s'affichent encore ouvertement « non-féministes », sinon contre le féminisme, soutenant et aidant le masculinisme d'aujourd'hui comme le sexisme d'autrefois. Là aussi, on pourra modérer le propos en soulignant l'ignorance de ces femmes « contre le féminisme » qui suivent volontairement les clichés patriarcaux sur le thème.
Le « père du féminisme » - féminisme qui se trouve, pour le coup, orphelin de mère - est nul autre que Léon Richer que j'ai déjà évoqué dans un article dédié à Maria Deraismes. Né en 1824, initié en 1850, il publie une chronique anticléricale à partir de 1865, dans « l'opinion nationale ». Dès 1866, il débute des conférences sur l'émancipation des femmes, plus exactement « l'émancipation morale, intellectuelle et civile des femmes ». En 1870, il fonde « l'Association pour le Droits des femmes », qui compta dès 1872, 150 membres. Cette association, qui changea de nom, sera dissoute par le ministère de l'intérieur en 1876. Puis permise par décret en 1878, elle sera dirigée par Maria Deraismes. Il reste néanmoins sa revue « le Droit des Femmes », fondée en 1869. En 1882, il fonda « la ligue française pour les Droits des Femmes », qu'il quitta en 1891 pour des raisons de maladie. Il meurt en 1911.
Simone de Beauvoir en fit le « véritable fondateur du féminisme ». Réellement, il a défini les stratégies du mouvement féministe de ce que nous appelons la 1ère vague, désirant s'appuyer sur son réseau relationnel. Il organisa le mouvement en revue et association. Rappelons qu'un décret de 1868, interdisait à toutes personnes n'ayant pas de droits civils de tenir un journal. Les femmes étaient, donc, de fait interdites de presse. La présence des hommes étaient indispensables, seuls dépositaires des droits nécessaires et des moyens financiers. Ils rendaient aussi une crédibilité au mouvement, d'où le souhait d'adjoindre des noms prestigieux, comme Victor Hugo, à la cause.
Pour cette partie du 19ème siècle et le début du 20ème siècle, les hommes féministes avaient structurellement du temps pour conduire une vie politique active, étant déchargé des tâches dévolues aux femmes (éducation des enfants, tâches ménagères, ….). Ces premiers militants féministes étaient essentiellement, des avocats, des universitaires ou des journalistes, ayant majoritairement un doctorat. Si ces hommes avaient plus de temps, encore faut-il, qu'ils puissent avoir une disponibilité pour conduire un combat féministe.
Ainsi, on peut être surpris de découvrir que plusieurs d'entre eux sont entrés à la fin de leur vie. Jules Allix, né en1818 s'engagea qu'en 1887, à 70 ans. Jean-Claude Colfavru, né en 1820, député en 1885, découvre certes le féminisme au côté d'André Léo en 1869, mais ne s'y engage qu'en 1888, militant jusqu'à sa mort à la Ligue Française pour les Droits des Femme. René Viviani s'engage, quant à lui, au début de sa vie d'homme, à 25 ans, avant de démarrer une carrière politique.
Niveau d'études, situation sociale privilégiée, temps et disponibilité, ne sont pas des explications suffisantes. Nous oublions que, dans le cas de Léon Richer, il y avait une Joséphine Richer qui s'est engagée en même temps que lui. De nombreux hommes de cette première vague s'engage avec leurs épouses. René Viviani n'est autre que le fils de Hélène Barrière, adhérente à la Ligue Française pour les droits des femmes dès 1889. Le militant Francis de Pressensé (du début du 20ème siècle) a pour mère la pionnière du féminisme protestant Elise de Pressensé, proche d'André Léo. D'autres encore rencontrent simplement une féministe, ainsi Georges Lhermite ne devient féministe qu'après sa rencontre avec Maria Vérone. Hubertine Auclert, du courant radical, milite depuis 1872, alors que son mari, Antoine Levrier s'engage qu'en 1877. Ainsi, ces hommes sont devenus féministes suite à des circonstances personnelles, une mère, une relation amoureuse, et un niveau d'étude suffisant. Cependant, sur la période considérée, leur présence et leur soutien s'avèrent irréguliers.
Les mouvements initiés par Léon Richer s'avèrent être un échec. En 1891, sa revue n'est plus publiée, bien qu'il fit appel aux femmes. Cet échec a plusieurs origines.
La stratégie même de Léon Richer, celle appelée du « petit pas », présentant la femme comme un objet politique au sens républicain. Sa position ambigüe sur le droit de vote des femmes : les femmes ne peuvent l'obtenir, puisque soumises au clergé, qui n'a pas permis d'entamer le débat, par les féministes eux-mêmes. Son ambition personnelle a ajouté au problème : il voulait être au centre du mouvement féministe. Journaliste, il était connu pour son anticléricalisme. Son journal « le Droit des femmes » est présenté comme un journal politique, dans lequel il rédige les premiers articles, dans lequel il traite rarement des droits des femmes. Il conduit son association à prendre exemple sur la « Ligue de l'enseignement » de son ami Jean Macé. Il traite ainsi les droits des femmes comme un sujet politique et social, sans remettre en cause et même réfléchir à la place des femmes dans la société, à leurs rôles assignés et s'éloignant de fait des questions liées à la sexualité et, donc, à la maternité.
Très rapidement, les féministes (femmes) considèrent que leurs stratégies et leurs revendications doivent être définies par les femmes.
Dès 1872, Maria Deraismes et Angélique Arnaud, lors d'un banquet, évoquent la place des hommes, leur assignant un second rôle de soutien (financier) et d'aide.
Maria Deraismes, que nous connaissons comme la grande prêtresse de la mixité, reprenant l'association de Léon Richer, organisera une direction exclusivement féminine, dès 1881, tout en acceptant les hommes comme membres. Les statuts modifiés souligneront que les postes de direction ne seront réservés qu'aux femmes. En 1889, Maria Deraismes menace Léon Richer d'organiser un congrès parallèle, si la présence des femmes n'est pas effective quant à la direction de ce congrès. Même si à l'époque, il était difficile pour ces premières femmes féministes d'exclure les hommes de leurs associations, n'ayant elles-mêmes aucun droit civique, elles organisèrent cette exclusion peu à peu dans leurs associations, prévoyant pour les hommes un traitement particulier (interdiction d'accéder à un poste de direction, cotisations plus élevées, …).
Leur crainte est la prise de contrôle de leurs mouvements par des hommes. A croire que Léon Richer les avait passablement énervées. Cette féminisation du mouvement féministe aboutit à la création du premier journal entièrement féminin « La Fronde » par Marguerite Durant, en 1897. Les femmes durant la décennie de 1890 travaillèrent et gagnèrent en autonomie.
En 1901, suite à l'éclatement en petit groupe, un rassemblement s'opère sous le nom du Conseil National des Femmes Française (CNFF) qui sera entièrement féminin. Il deviendra, rapidement, l'interlocuteur privilégié pour l'Etat, par son attachement à la République. Il n'empêchera pas l'éclosion de mouvements et les initiatives plus radicaux.
Une dernière expérience, quant à elle, exclusivement masculine est à souligner : la Ligue des électeurs pour le suffrage des femmes, fondé en 1911, par Ferdinand Buisson, Louis Marin, Léon Brunschwig, et Albert Chenevrier. On retrouve un comité d'honneur de 27 membres. Cette nouvelle ligue entièrement masculine visait à obtenir les droits politiques des femmes par « étapes successives », en mettant en place une propagande pour le suffrage des femmes, d'organiser des meetings et diffuser des affiches « la femme doit voter ». Dans un premier temps, cette ligue composée d'hommes appartenant à l'élite intellectuelle et politique, apparaît être une aide précieuse pour les suffragettes. Elle est, cependant, un échec. Tout d'abord, elle n'arrive pas à mobiliser assez d'hommes. Ces hommes, plusieurs décennies après Léon Richer, appartenaient à cette même minorité d'hommes. L'échec a une autre raison : elle remettait en cause la capacité des femmes à définir autant leurs revendications et leurs stratégies. Au nom de « l'universalisme », cette ligue présentait les femmes comme « être universel et asexué ». Ce n'était pas « en tant que femmes » qu'elles devaient demander des droits politiques, estimaient-ils. Or, c'est « en tant que femmes » qu'elles les réclamaient, car « c'est en tant que femmes » que ceux-ci leur étaient refusés. Cette ligue, constituée exclusivement d'hommes, niait la qualité politique de la non-mixité des mouvements féministes.
Durant cette période « de mise en place » des mouvements féministes, d'expérimentation, autant que de négociation, les femmes ont appris que l'indépendance leur était nécessaire. Elles oscillèrent entre deux positions : accepter les hommes car apportant une crédibilité que leur époque et position sociale ne pouvait pas leur donner, ou les exclurent par crainte d'une prise de pouvoir des hommes sur leur mouvement.
Les femmes, tour à tour : simple objet politique et social pour Léon Richer, êtres universels et asexués pour les républicains, sont devenues pour ces premières féministes, peu à peu, des femmes. Simplement.
C'est la seule chose qu'elles ont gagné et qui servira à la deuxième vague ...
Condescendants, paternalistes sont aussi les caractères de ces premiers hommes féministes, qui d'autorité définissait « les femmes », la Femme, uniquement dans un univers familial – entre l'objet décoratif et le robot-ménager qui n'avait pas été encore inventé. La première guerre mondiale arrêta, du fait de l'effort de guerre, les revendications féministes. Les femmes, suite à l'appel de René Viviani, alors Président du Conseil, s'illustrèrent dans toutes les activités professionnelles. Le féminisme radical se réveilla, cependant, à partir de 1917. L'espoir semblait, pourtant, revenir … Malheureusement rapidement déçu. Les femmes sont renvoyées à leur foyer. Les gouvernements conduisirent une politique nataliste.
Pourtant, c'est encore un homme qui écrivait ceci :
La satisfaction ne serait pas méprisable, puisque le droit d'élire, et naturellement l'éligibilité, sont devenus comme les symboles de leur affranchissement. Mais ces deux droits sont des symboles qui se peuvent aussi traduire par des réalités. Chacun sait que, non seulement les femmes, mais des auteurs dramatiques du sexe masculin, ont reproché à la loi faite par l'homme d'être un peu trop rigoureusement "la loi de l'homme".
Lilithement vôtre,
Notes :
"Si Maria Deraismes m'était contée ..." http://lamaconne.over-blog.com/2015/02/si-maria-deraismes-m-etait-contee.html
André Léo, née Victoire Léodile Béra (1824-1900) est une romancière, journaliste et féministe, très certainement « la mère » du féminisme que l'on se cherche (ou pas). Mariée en 1853, veuve en 1863, issus d'une famille bourgeoise, elle élève seule ses deux fils en Suisse. C'est depuis la Suisse qu'elle publie son premier roman « la vieille fille » et c'est ainsi qu'elle gagna sa vie.Revenue à Paris, elle collabore à « l'Opinion National ». Elle créa en 1869 la « Société (mixte) de revendication des Droits des femmes ».
Vous trouverez une biographie officielle de Ferdinand Buisson, qui entre autre reçu en 1924 le prix Nobel de la Paix sur le site de l'Assemblée Nationale. On soulignera, non sans ironie, que son implication (réelle et sérieuse) pour le vote des droits des femmes y est à peine mentionné. http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=1306
Jules Allix, ami de Victor Hugo, communard, régulièrement interné http://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Allix
Jean-Claude Colfavru, http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=7925
René Viviani, http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=7368