5 Juin 2016
En Franc-maçonnerie, lorsque l'on parle de la tradition, que l'on y met une majuscule, on arrive parfois à sentir l'encens et l'odeur unique des cierges. Le terme lui-même est enfermé par ceux-là même qui se disent « traditionalistes » à une vision doctrinale de la franc-maçonnerie. Pour sortir de ce débat stérile et – pour le coup tournant en boucle – je souhaite, dans cet article, tenté une définition de la tradition, des traditions – on verra qu'elles sont multiples – et le débat lui-même, qui ne concerne pas uniquement la franc-maçonnerie.
Le contraire de la tradition est la modernité : un opposé qui lui aussi nécessitera une définition sortant des usages habituels dont on verra aussi l'origine.
Max Weber (1864-1920) a donné au mot « tradition » l'actuelle définition. Du moins, celle qui est aujourd'hui la plus commune et la mieux comprise. Max Weber est considéré comme le père fondateur des sciences sociales et humaines, mais ses travaux furent diffusés en France à partir des années 1980. Il oppose, en effet, la société traditionnelle, qui trouve sa légitimité dans le passé et la transmission, à la société moderne, légitimée par la raison et la rationalité.
Ainsi, on place la tradition dans la passé, immuable et sacré contre la modernité construite à partir de la raison individuelle (selon Max Weber dans sa définition du charisme) qui « doit donner naissance à un monde qui serait au moins relativement, le meilleur possible grâce à la providence divine, et cela parce que l’individu est celui qui connaît le mieux ses propres intérêts », héritage des Lumières.
La tradition a plusieurs aspects : elle peut être dans l'art, l'architecture, mais aussi l'alimentation (cuisine traditionnelle), la politique (autant dans son contenu que dans sa méthode), etc.
Le Littré définit quatre aspects de la tradition :
Terme de jurisprudence et de liturgie. Action par laquelle on livre quelque chose à quelqu'un. La vente se consomme par la tradition de la chose vendue. L'ordre de portier, dans l'Église, se confère par la tradition des clefs. La tradition réelle, qui se faisait par le sceptre, constatait le fief, comme fait aujourd'hui l'hommage. [Montesquieu, L'esprit des lois]
Transmission de faits historiques, de doctrines religieuses, de légendes, etc. d'âge en âge par voie orale et sans preuve authentique et écrite. La religion juive.... dans la tradition du peuple. [Pascal, Pensées]
Les faits mêmes ainsi transmis. Beaucoup de traits d'histoire ne sont que de fausses traditions. […] La religion catholique est fondée sur l'Écriture sainte et la tradition.La tradition, c'est-à-dire la suite toujours manifeste de la doctrine laissée et continuée dans l'Église. [Bossuet, 1re instr. past. 27]
Les choses mêmes que l'on sait par la voie de la tradition. Ce point de discipline ne se trouve pas dans l'Écriture sainte, ce n'est qu'une tradition.
Tout ce que l'on sait ou pratique par tradition, c'est-à-dire par une transmission de génération en génération à l'aide de la parole ou de l'exemple. Ce jeu de scène est une tradition, est de tradition. Laissez-en la décision aux Étruriens, qui ont la tradition des plus anciens oracles, et qui sont inspirés pour être les interprètes des dieux. [Fénélon Télémaque]"
Dans cette définition, plus poétique que la première, la tradition s'oppose, non pas à la modernité, mais à la vérité. La transmission orale, qu'est la tradition, ne repose sur aucune preuve de l'existence du fait énoncé. La tradition s'oppose au savoir et, donc, oui – toujours à la raison. La tradition, pourtant, n'est pas exclusivement transmettre et conserver un héritage attaché au passé. La transmission est aussi attachée à l'expérience de celui qui transmet. Elle est, donc, paradoxalement évolutive … en évolution. Cette singularité est souvent oubliée des traditionalistes. Pour exemple, la tradition du voile dans la culture musulmane est souvent opposée à l'histoire vestimentaire et à l'écrit, n'y étant nullement prescrit dans le Coran comme une obligation. Il s'agit d'une tradition récente, si récente qu'elle tient lieu plutôt d'une innovation. Toutes les innovations ne sont pas nécessairement bonnes. Une tradition est, en somme, une innovation qui a marché et qui s'est transmise au fil des années.
Un autre exemple sont nos recettes de cuisine dite traditionnelle, qui furent généralement des plats populaires dit « du pauvre », cuit et recuit dans une marmite sur un feu. Rien d'aussi sophistiqué et « riche » qu'aujourd'hui. De la recette de grand-mère, en passant par la musique classique, ces apports perçus en leur temps comme innovants, ne sont pas à négliger. Grand-mère cuisinait au gaz de ville et non plus sur un maigre feu. La musique classique est autant le chant grégorien que Ravel.
Se pose alors la question de l'origine de la tradition vécue et transmise, au regard des différents apports et modifications qui furent faites au fil des âges, tout comme des « nouvelles » traditions se faisant jour.
Le courant traditionaliste en franc-maçonnerie ne fait pas exception. C'est Stéphane François dans le numéro spécial de Critica Masonica consacré aux ésotérismes d'extrême-droite qui en fait, très certainement, la meilleure définition. Ce traditionalisme se traduit par la peur, le refus de la modernité. Ils ont une vision désenchantée du monde moderne comme ils croient à une Tradition Primordiale (suivant la définition de Guénon) qui se cacherait dans les traditions / la tradition transmise … Ils seraient des « élus » à qui cette tradition, même tronquée, a été transmises. Ils seraient les seuls à la comprendre. Le caractère sacré – et par conséquent doctrinal - de la tradition prend ainsi toute sa place.
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Numéro spécial : " Extrême-droite et ésotérisme " - CRITICA MASONICA
Le numéro spécial de "Critica Masonica" ("Extrême-droite et ésotérisme: retour sur un couple toxique" par Stéphane François) vient de sortir. Les souscripteurs que nous remercions vivement, ...
http://criticamasonica.over-blog.com/2016/01/numero-special-extreme-droite-et-esoterisme.html