30 Août 2016
Geneviève Fraisse, en 1987, tentait une définition de « l'individu féministe » dans un article que j'ai retrouvé. Elle y déclare : « Le féminisme et l'individu féministe portent ainsi en eux l'utopie de la femme nouvelle ».
Il y a interaction entre l'expérience de vie de la femme, « individu féministe », et ses revendications. Pour être plus explicite, il suffit de regarder les biographies des féministes du 19ème siècle. Maria Deraisme comme Madeleine Pelletier ont vécu, toutes les deux, comme « la femme nouvelle ». Est-ce que leurs choix de vie ont été fait en fonction de leurs revendications ou est-ce que leurs revendications ont trouvées une origine dans leurs mode de vie ?
La lutte contre l'esclavage puis par la suite celles pour les droits civils des noirs américains ont été menés, bien sûr, par des noirs américains, mais aussi par des blancs. La question du modèle de « l'homme libre », de « l'homme nouveau », ne se posait pas. La question du modèle de « la femme nouvelle », de la « femme libre », se pose. Pour les premières féministes, il y en avait pas.
Geneviève Fraisse reprend, dans ce même article, la notion « d'inventeur social », c'est-à-dire de l'individu qui se dégage de la multitude.
« Les féministes sont définitivement marquées par l'avant-garde et par la marginalité, par une prise de conscience radicale et par le rejet, subi et revendiqué, d'une normalité » explique-t-elle.
Il est, en effet, impossible que toutes les femmes soient féministes, alors que l'on peu pré-supposer que tous les esclaves ont rêvé à l'abolition de l'esclavage, devenant de facto abolitionniste avant d'être simplement victimes. Ainsi, lorsque je pose la question « pourquoi le féminisme ? » et même « pourquoi être féministe ? », je viens de démontrer que si le féminisme a une utilité, « être féministe » n'est possible que si l'on sait se réinventer soi-même.
Toutes les femmes occidentales peuvent considérer que le féminisme est une lutte d'arrière-garde, comme d'ailleurs des hommes considèrent que c'est être anti-homme, sans pour autant que les unes et les autres sachent expliquer les différences sociales et économiques de leurs contemporaines par rapport aux hommes et/ou proposer des solutions (qui ne soient pas féministes) pour y remédier. Ces femmes et ces hommes appartiennent à la multitude, se conformant à la norme.
Lorsque la contestation devient une norme, n'est plus supportable, que l'injustice est à ce point plus négociable, que l'avancée juridique et la modification des mentalités deviennent possibles. On peut ainsi relire autrement les contestations féministes des années 70, en tant que norme contestataire sans avoir été avant-gardiste, ne réinventant pas (ou très peu) la « femme nouvelle » se contentant de devenir celles qui fut rêvée par d'autres.
Pourquoi être féministe ? La question au final revient à se demander : comment voulez-vous vivre vous-mêmes ? Qu'elle est la « femme nouvelle » que vous voulez être ? Qu'est-ce qui vous en empêche ? Les questions ne sont pas très compliquées. Elles peuvent aussi se poser pour les hommes. Grâce à ses questions, on a fini par parler de l'école, des études, des métiers, comme de notre rôle social, qu'il a fallu accordé au féminin.
Le féminisme a toujours partie liée avec la franc-maçonnerie. La « femme nouvelle » a un sens symbolique. La démarche maçonnique de « construction de soi » allant vers une « amélioration de l'humanité » s'accommode plutôt bien de la démarche féministe. C'est être à la fois sujet et cause, à la fois individu et penser multitude. Se ré-inventer comme sujet social. Le féminisme est, de fait, foncièrement humaniste : il ne peut exister sans envisager aussi "l'homme nouveau" comme une société nouvelle.
Pourquoi le féminisme ? Très certainement parce que la multitude des individus, trop occupée de rester dans la norme, ne sait répondre et solutionner les inégalités entre les femmes et les hommes que ce soit dans nos sociétés occidentales choyées comme dans d'autres pays.
Fraisse Geneviève. Du bon usage de l’individu féministe. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°14, avril-juin 1987. Dossier : Masses et individus. pp. 45-54;