16 Mai 2017
Cette semaine, j'ai reçu un charmant message comportant tout plein de questions que voici. J'ai, bien sûr, retiré les éléments biographiques de l'auteure, tout en gardant les compliments qui me sont faits (parce qu'il y en a qui en doute …et que cela fait du bien).
« Bonjour La Maçonne, je m'adresse à vous presque au hasard, parce que le ton que vous employez m'a plu, qu' il me semble assez libre et décomplexé et que j'espère m'y reconnaître. Je suis une prof [...] voyageuse, curieuse du monde, sceptique aussi, mais intéressée par la maçonnerie. Alors, une loge est-elle un lieu de parole libre ou un lieu où on pense savoir ce qui est bien pour le reste du monde? En quoi cette parole est-elle constructive? En quoi la structure est-elle sclérosée? Est-ce bien autre chose qu'un club de personnes qui se pensent? En somme, puis-je lui apporter quelque chose et m'y retrouver? Voilà, merci de votre lecture et possiblement de votre réponse. »
Répondre à ces questions en un seul courriel m'a semblé périlleux. C'est surtout un coup pour faire un machin indigeste, incompréhensible et forcément mal écrit, avec pleins de fautes d'orthographe – et de fait ne plus mériter les charmants compliments qui me sont faits … Ce qui, vous en conviendrez, serait dommage étant devenus plutôt rares surtout par ces temps qui marchent au pas les deux doigts sur la couture du pantalon.
Je vais devoir me surpasser pour répondre à cette jeune femme dont j'imagine évidement qu'elle ne pourra qu'apporter à une loge … simplement parce que, même avant d'y être reçue, elle se pose des questions et doute déjà de mes réponses (voir même que l'on puisse lui répondre ici et maintenant).
C'est ma question préférée et, cela tombe bien, c'est la première. Ce n'est pas une sœur qui me demande ce que je pense d'une loge et de son utilité mais bien une profane. Le monde extérieur, sans être anti-maçonnique, n'est pas plus dupe des effets de manches de certains comme de certaines d'entre nous, maçonnes et maçons, au même titre qu'il ne l'est pas de ceux des politiques. Cela m'a toujours semblé évident. C'est néanmoins bon de le rappeler.
Hormis quelques cas particuliers au sein de nos loges, la plupart des francs-maçons et maçonnes sont généreux, curieux, sincères dans leur démarche, qu'ils mènent avec sérieux et ne sont certainement pas ces « donneurs de leçon » qui énervent.
L'image que les obédiences donnent d'elles-mêmes est tronquées. Grossièrement, je limiterais l'analyse à un problème de communication massif. Elles ne souhaitent pas tromper. Elles se trompent. Elles ne souhaitent pas cacher. Elles ne savent pas parler. Bien sûr, ce propos est modéré par les réalités sur le terrain que j'explore sur mon blog et qui fait tout son charme. Il se pourrait que certaines souhaitent tromper, mais cela tient plus à la personnalité de ses dignitaires qu'à l'obédience elle-même.
Pourtant, les obédiences ont tout ce qu'il faut : des travaux nombreux, souvent de qualités, prolixes – certains pleins d'humour, d'autres pleins de gravité – de belles plumes aussi – des intelligences brillantes et mieux encore des femmes et des hommes utilisant bien plus leurs intelligences de cœur. Pourquoi ne savent-elles pas le transmettre ? Tout simplement, parce qu'elles ni – elles le désirent – ni elles ne sauraient le faire …
Elles utilisent une méthode qui m'a toujours laissé dans l'embarras intellectuellement parlant. Elles « compilent » les travaux de toutes les loges avec un goût méritoire pour l'insipide y reprenant uniquement les lieux communs comme étant « vérité » (puisque dit par la majorité).
Les dignitaires qui sont élus (par exemple, à la grande maîtrise) ne le sont pas pour la qualité de leurs travaux, la singularité de leurs idées ou leur fond idéologique. En fait, avant leurs élections, c'étaient des parfaits inconnus et certains, comme certaines, le restent ou seront vite oubliés leur mandat terminé.
La grande faiblesse des francs-maçons et maçonnes est qu'ils prennent pour acquis leurs grandes déclarations de principe sans la confronter à la réalité des loges et de leurs vécus au sein des obédiences. Ils se disent « frères » ou « sœurs » - or, la fraternité comme toute relation d'amour est une relation qui se travaille, qui se mérite, qui demande un certain effort.
Alors oui – bien de nos idéaux ne sont pas des acquis dans le monde, il ne l'est pas non plus au sein de nos obédiences comme dans nos loges.
Critiquer une obédience est considéré par beaucoup de sœurs et de frères comme étant un crime. Il y a confusion entre franc-maçonnerie, porteuse d'une méthode, d'idéaux, d'un symbolisme, de rituels, d'histoire, et les obédiences qui ne sont que des structures administratives, tant et si bien qu'en fêtant les « 3000 ans de la franc-maçonnerie » ce n'est pas elle que l'on fête mais la fondation (supposée) de la première obédience au monde.
Quant à la communication même, dans le fond, c'est parfois quelque peu stupéfiant de contradictions. « La-franc-maçonnerie-discrète-qui-n'a-pas-de-secret-mais-que-l'on-ne-dévoile-pas-tout-en-voulant- démystifier-parce-qu'il-n'y-a-que-le-vécu-qui-compte ». Franchement ? Est-ce sérieux ?
Bref, ce tout fait que les obédiences paraissent se comporter comme des Miss Monde qui minaudent en maillot de bain pour « la paix du monde » avec un sourire digne d'une publicité pour une marque de dentifrice. C'est superficiel et téléphoné.
Autrement dit, les loges sembleraient être « un lieu où on pense savoir ce qui est bien pour le reste du monde », c'est-à-dire un peu pathétique et inutile.
Cela ne donne pas envie. Ce qui me plaît dans cette question est justement que ce « pas envie », cette absence de désir est présent … et que malgré tout, y'a un petit quelque chose qui ferait penser que ce n'est pas tout à fait ce que cela semble être.
Ce petit truc qui fait que cela pourrait être bien, la franc-maçonnerie. Que cela peut être même éveillant, passionnant, passionné, toujours régénérant … une aventure, un tas de surprise, des rencontres formidables avec des gens étonnants … Oui, cela peut être cela. Pour que cela puisse l'être, il y a, bien sûr, un vrai secret – LE secret - se connaître soi-même, être en accord avec soi-même c'est-à-dire avec son socle de valeurs. Être clair avec lui … et savoir ce que l'on veut (ou ne veut pas). A partir de là, tout est possible ou presque.
Virée de la loge Dionysos alias-Chiboulette, en lutte depuis un an et demi avec un conseil fédéral et surtout sa grande maîtresse, je montre aussi que l'on peut effectivement connaître l'ostracisme et autres chasses aux sorcières. Il existe, comme partout, des médiocres, des petits, des méchants, des frustrés, des envieux et quelques ventres mous (et cela peut se mettre au féminin).
Je montre un double paradoxe et c'est toute l'importance de ma réponse. Je montre que l'on peut être franc-maçonne, parler et écrire sur la franc-maçonnerie, aimer son obédience (sans naïveté) tout en étant ni dans une loge, ni dans une obédience … et même après en avoir été virée !
Je montre aussi que ce n'est ni une loge, ni un conseil fédéral, ni une obédience, qui « font la franc-maçonnerie » mais les francs-maçons et les francs-maçonnes qui composent ces loges, ces obédiences et voir même ces conseils fédéraux. « On peut être déçu bien souvent par des francs-maçons et des francs-maçonnes, mais jamais de la franc-maçonnerie. » Ce n'est pas de moi, mais de l'ancienne grande maîtresse de la GLFF, Catherine Jeannin-Naltet.
Je montre que les engagements à nos idéaux sont de la responsabilité personnelle de toutes et de tous. Qu'être franc-maçon, c'est aussi exiger de soi des prises de position claires et de défendre des valeurs. C'est exiger le respect de soi comme des autres.
Tout est l'occasion d'apprendre. Au final, c'est toujours soi-même que l'on trouve au bout du chemin. La loge peut permettre une parole libre. Elle peut aussi être un enfermement de plus. Or, ce n'est pas la loge qui importe – c'est soi-même. Ne peuvent être enfermés que celles et ceux qui cherchent une prison qu'ils appellent pompeusement « refuge ». Ne peuvent qu'être vaniteux que ceux qui cherchent un public. Ne peuvent qu'être "donneurs de leçon" que ceux qui n'ont aucune leçon à donner. Une loge peut leur donner l'illusion qu'ils ont trouvé tout cela. En dehors de la loge, cependant, ils restent dans la grisaille de leur vie.
Ce n'est pas être « en loge » qui est important, mais être « en vie ».
Tous les francs-maçons et maçonnes se posent cette question. Elle m'est devenue constructive qu'une fois que je me suis obligée à bosser. Je ne crois pas qu'il faut attendre de la franc-maçonnerie que notre parole devienne constructive pour les autres avant de passer par soi. Si elle peut être constructive pour les francs-maçons et les francs-maçonnes, elle ne l'est pas obligatoirement pour le reste du monde. A mes yeux, dans sa propre parole, il y a une forme d'acceptation : celle qu'elle ne soit jamais constructive et de ne pas s'en inquiéter. Certes, la tendance actuelle est de vouloir donner à une franc-maçonnerie une utilité, qu'elle soit porteuse d'une parole, qu'elle puisse faire avancer les choses, changer le monde … Or, les obédiences n'arrivent même pas à se changer elles-mêmes. La franc-maçonnerie est, pour moi, porteuse d'une émotion. Il y a rien de moins constructif qu'une émotion. Pourtant, ce sont bien nos émotions qui nous guident bien plus souvent que notre raison. La franc-maçonnerie nous apprend à aimer l'humanité au sens très large du terme. Elle nous apprend à faire de ses émotions, une pensée et par la suite une parole.
Quant à nos structures, elles sont bien sclérosées. Nous en mourrons de cette mort silencieuse et tragique, avec plus ou moins de dignité, que ne l'on raconte que dans les grands romans. Or, cela ne signifie pas la mort de la franc-maçonnerie ...