6 Juillet 2018
C'est une profane qui, me contactant, me pose cette question. La réponse est : non … et même pire encore. En effet, s'il y a bien un endroit où l'action – peu importe laquelle d'ailleurs – est juste impossible, c'est bien la franc-maçonnerie, les obédiences et les loges. Plus inactif que la franc-maçonnerie, ce serait indécent.
Pourquoi cela ?
Il y a, me semble-t-il, plusieurs raisons :
Beaucoup de sœurs et des frères expliqueront telle une ritournelle que : « la franc-maçonnerie n'est pas un lieu d'action mais un lieu de réflexion ».
Structurellement, la franc-maçonnerie est faite pour offrir quasi-exclusivement des lieux de discussion et de réflexion. Cela n'a nullement empêché des obédiences – plus souvent des loges pour leur propre compte – en particulier au 19ème siècle – d'ouvrir des « universités pour tous », des lieux d'accueils pour les personnes en difficulté et même des centres de soins, voir des hôpitaux. Pour faire cela, il faut avoir un certain sens de l'action qui n'a rien à voir avec une pseudo-réflexion spiritualiste.
Aujourd'hui, ces actions ne sont plus possibles. En effet, les obédiences, même les plus libérales et adogmatiques, sont figées dans une définition de la franc-maçonnerie qui interdirait toutes controverses politiques, religieuses – autant dire sociales –
Ainsi ouvrir un simple centre d'hébergement pour SDF, se rendre dans les écoles pour présenter la franc-maçonnerie, agir dans les quartiers défavorisés, c'est déjà ouvrir une controverse politique et sociale. De plus, pour reprendre la ritournelle si chère aux frères et aux sœurs : « Il y a des associations / partis politiques / syndicats / églises (au choix) pour ça ! Nous, on réfléchit. »
Même que cette ritournelle continue par : « Cela n'empêche nullement un frère ou une sœur d'agir à titre personnel et d'adhérer à ce qu'il ou elle souhaite.». Bref, le gars/la fille, franc-maçon ou pas, il/elle est comme les autres : tout seul face au monde et à ces nombreuses incertitudes. S'il ou elle veut agir, il ou elle n'a qu'à aller voir ailleurs. Au diable, les questions embarrassantes !
Une question subsidiaire et nullement rhétorique est à se poser : est-ce que les obédiences, voir les loges, sont capables de mener une quelconque action ? La réponse est toujours : Non. Elles ne savent déjà pas réparer une fuite dans un toit sans ouvrir un référé devant un tribunal. On ne va pas trop leur demander. En fait, j'ai longtemps soupçonné que cette jolie est une manière parfaitement astucieuse pour cacher cette triste réalité. Même si elle le voulait, une loge serait incapable d'agir dans quelque domaine que ce soit.
En admettant qu'une loge souhaite mener une action particulière dans sa cité, elle est contrainte par l'obédience de demander l'autorisation au Conseil Fédéral/National/ de l'Ordre. Ce qui n'est pas gagné !
En sus d'une incapacité structurelle de la franc-maçonnerie, il y a aussi un manque de volonté et de cohésion tout autant qu'à une définition de la franc-maçonnerie obsolète.
Cela rejoint un constat fait après la 2ème Guerre Mondiale, lors de la fondation de la GLFF (elle ne s'appelait alors pas comme cela) par la première grande maîtresse de l'obédience, que vous pouvez trouver dans cet article (veuillez cliquer ici) qui dénonce l'inaction des obédiences face au nazisme :
« […] il faut bien avouer que notre institution n'a que faiblement lutté contre cette démoralisation dont nous avons supporté et supporterons encore longtemps les conséquences. […] Que peut le franc-maçon en présence d'un tel état de choses dont le danger nous apparaît avec une certitude troublante ? Notre institution peut-elle apporter à ce danger un remède efficace ? Je le crois, fermement et sans présomption, car elle est la seule organisation qui repose sur des méthodes et des notions que n'a point touchées l'effroyable épreuve : développement de l'esprit critique, respect de la dignité humaine, solidarité des peuples et des hommes, formules qui nous sont familières et que nous transposons dans nos symboles ; ce serait gravement faillir à notre idéal que de ne pas tenter de leur donner aujourd'hui une vie nouvelle et de nous en servir pour jouer un rôle utile dans la rénovation morale de notre pays ».
Ces propos partent d'une autre définition de la franc-maçonnerie qui a été oubliée et/ou qui n'est plus considérée : la réflexion maçonnique, sa démarche, est le moyen d'action des francs-maçonnes et des maçons. Encore faut-il savoir, en toute décence, sortir des sentiers milles fois rabattues, prendre des risques (salutaires) et réfléchir.
En effet, une réflexion (et là aussi peu importe laquelle) nécessite une construction, d'être posée (par écrit par exemple) et comme cette première grande maîtresse le dit si bien afin de permettre de contribuer à la « rénovation morale du pays », mais avant cela à la défense des valeurs portées par la franc-maçonnerie.
Si cette réflexion commune ou isolée est originale, elle devrait avoir autant de force qu'une manifestation du 14 juillet dans le pire des cas et une prise de la Bastille dans le meilleur des cas. En dehors de là, elle n'existe pas. C'est d'ailleurs comme pour l'art. Un roman, un poème, ou encore un tableau planqué dans un grenier qui n'a pas été présenté à un public sont des œuvres qui n'existent pas.
Revenons avant la 2ème guerre mondiale, qu'avons-nous gardé de la réflexion des obédiences et de leurs loges ? Rien. Nous sommes incapables de citer un seul texte d'une obédience ou d'une loge, qui pourrait être prémonitoire, public, s'alarmant au sujet d'Hitler et du nazisme et qui pourrait nous servir d'exemple. Nous n'en trouvons pas plus s'inquiétant du soviétisme, d'ailleurs. Rien ne dit que si les obédiences avaient pris aux sérieux les menaces hors des frontières, les avaient dénoncés publiquement, cela aurait changé l'histoire. L'action n'est pas forcément de gagner. L'inaction, c'est perdre d'office.
La franc-maçonnerie entre 1914 et 1939, c'est à peine une ligne dans les livres spécialisés. Cette période est mentionnée exclusivement dans le cadre du développement du Droit Humain (merci Annie Besant d'être morte qu'en 1935!) et assez brièvement pour évoquer les loges dites d'adoption de la GLDF. Certes, on peut citer quelques grands hommes politiques qui furent francs-maçons, mais rien sur les prises de position des obédiences. Voilà, ce qui nous reste de cette période pourtant politiquement charnière. Voici un point Goodwin . On peut féliciter les obédiences maçonniques d'entre deux guerres d'avoir évité, avec excellence, toutes controverses politiques et religieuses.
Certes, on peut se la jouer « poète maudit », prendre des grands airs inspirés et faire tout plein de tourniquet avec les bras en évoquant « le Secret », clamer que ce n'est pas cela « la Tradition ».
Oui – mais est-ce que nous les évitons vraiment ? Je dis, non – Décidément, je suis bien contrariante aujourd'hui. En effet, la controverse existe. Ainsi, on peut trouver dans certaines loges, voir obédiences, des maçons racistes, xénophobes, sexistes. On peut trouver même un blog – officieux de la GLAMF – appelé « le blog infâme » dont l'animateur a permis des appels à voter l'extrême-droite lors des dernières élections présidentielles, blog connu pour se répandre très régulièrement dans l'ignominie et l'injure à toutes nos valeurs. Nous connaissons tous des frères et des sœurs, montés sur leur ergot, tenir des propos insupportables. Quant au débat religieux, c'est grosso-modo un foutage de gueule d'imaginer un seul instant que nous évitons quoique ce soit.
Faussement encore, nous imaginons une franc-maçonnerie où tout le monde serait d'accord avec tout le monde. Quel ennui ! Quelle horreur ! On veut gagner par K.O. On panique dès que nos idées sont contrariées. Si nous sommes tous responsables autant de nos actes que de nos opinions, nous ne sommes pas obligé(e)s d'en faire une extension symptomatique de notre – ô combien unique et merveilleuse petite personne. Notre idée, une fois dite, ne nous appartient plus. Tous les artistes vous le diront. L'oeuvre, confrontée au public, vit sa vie toute seule.
Imaginons qu'il existe une question qui appelle à controverse. Elle peut être posée tout bonnement aux loges. Il y aurait des « pour » et des « contre » qui pourraient être exposés avec une douzaine de variations sur le thème. Peu importe. Dans ce cas, il y aurait une prise de conscience, avant toute chose qu'une obédience est bel et bien le groupe de débat, de réflexion qu'elle dit être, et qu'en plus, rien ne lui fait peur … Bref, la controverse existe et en plus on l'assume sans s'entre-tuer. N'est-ce pas d'ailleurs le principe – que dis-je l'idéal, le fondement, l'origine – de la franc-maçonnerie : mettre ensemble des femmes et des hommes qui ne seraient pas d'accord entre-eux ?
Or, c'est prendre le risque - et un risque énorme - de constater que c'est bien qu'un idéal - qui est très loin d'exister dans nos loges et obédiences.
Aujourd'hui, à moins d'être un intégriste religieux, un inquisiteur ou encore un dangereux terroriste, nous savons nous mettre d'accord sur le fait religieux. Bref, ce n'est pas vraiment, de nos jours, un gros challenge de réunir dans la même pièce un musulman, un catholique, un protestant, un juif et un bouddhiste. De les voir au bout d'une heure se taper dans le dos – je ne dis pas « copain comme cochon » car cela pourrait être mal interprété – sans constater une seule tache de sang sur le pavé mosaïque.
C'est d'éradiquer toutes les formes de prosélytisme religieux, les plus évidentes au plus sournoises, qui l'est. Ce prosélytisme – qui accompagne tout dogme – existe aussi en politique.
Ne pas être capable de travailler sur des sujets comme « est-ce que la politique d'immigration/ le milieu carcéral français / l'accueil des migrants/ sont respectueux de la dignité des hommes et des femmes ? » sans mener une bataille d'équerre, c'est - à mes yeux – plutôt inquiétant – et sachez que je ne suis pas d'une nature anxieuse.
Tout le monde (ou presque) parle de « tradition maçonnique » mais personne n'évoque l'authenticité, la sincérité ou encore la probité.
La société n'a pas besoin de moralisateurs à la petite semaine. C'est ce qu'est devenue la franc-maçonnerie aux yeux du monde profane. Les obédiences ne sont pas écoutées - et n'ont rien à dire que d'autres ne sauraient dire. Elle a besoin de savoir que quelque part, il existe des groupes de personnes authentiques, honnêtes et libres.
Je crois à la force de la pensée – pas la pensée magique, hein ? (Note pour moi-même, faire un jour un article sur la magie, histoire de me faire plein de nouveaux copains). Je crois qu'elle est action et surtout qu'elle est révélatrice de ce que nous sommes (ou pas). Se mettre des limites, qu'elles soient sociales ou culturelles, est déjà perdre une partie de notre liberté. C'est s'enfermer dans l'interdit. Penser, c'est vivre.
Alors oui – finalement, la franc-maçonnerie peut être aussi une force d'action. Or, les francs-maçons ne le savent pas.