27 Juillet 2018

Il y a plusieurs manières de traiter l'affaire – celle faite par les médias et les politiques – celles maçonnique qui ne consiste pas qu'à crier que les « valeurs de la République » partent à la dérive mais à en faire une analyse parallèle.
Ce qui m'intéresse (et pour cause!) est la liberté des médias, un des pouvoirs en jeu dans cette affaire – mais aussi la liberté tout court, toute simple. La liberté, quoi. L'affaire Benalla montre comment les médias fonctionnent. Il faut avouer que nous sommes gâtés : nous sommes toutes et tous comme Collomb, le ministre de l'intérieur, nous apprenons quelque chose de nouveau tous les jours.
Contrairement à d'autres scandales médiatisés, il n'existe dans cette affaire aucune dimension traumatique, hormis pour les deux victimes – puisque de manifestants dangereux et selon Benalla lui-même assez pour porter assistance aux CRS qui ne s'en sortaient pas - ils sont passés à ce statut en quelques jours. En dehors d'un dégoût naturel pour les choses politiques que nous sommes en droit d'éprouver – finalement le parti de Macron « La République En Marche » n'est guère différent d'un autre parti – il ne s'agit pas de crimes de sang, de scandale de laboratoires pharmaceutiques ayant étouffés des décès suspects, de réseaux de pédophiles s'attaquant à des enfants, ou encore d'attentats particulièrement meurtriers. Nous pouvons laisser ainsi cette part consciente et inconsciente de compassion et de peur afin d'analyser , relativement froidement, ce que sont nos médias.
Les médias traditionnels sont souvent considérés comme un contre-pouvoir bien qu'ils furent, bien des fois, malmenés tout au long de la Vème République. De médias traditionnels, il est entendu la presse écrite qu'elle émette ou non sur un site internet, la télévision et la radio pour ce qui concerne l'information.
Hier encore, on les considérait moribonds. Ils sont accusés de ne plus jouer leurs rôles d'information et d'investigation, préférant une forme de sensationnalisme et la facilité. L'Europe a légiféré, bien difficilement, en vu de protéger les lanceurs d'alerte, c'est-à-dire des vous-et-moi qui, pour une raison ou une autre, détiennent d'informations cruciales, souvent scandaleuses, au sujet d'une organisation. Que l'on le veuille ou non, aujourd'hui, les moyens technologiques d'aujourd'hui – dont internet – ouvrent à de nouvelles perspectives mais aussi répond à une demande de transparence des citoyens. Le besoin d'information de chacun a, certainement, évolué au vu du nombre de chaînes télévisuelles spécialisées dans l'information qui se sont ouvertes ses dernières années.
Les sources d'information sont aussi bien plus nombreuses. Le « 20 heures », l'émission radio, ou le journal papier (souvent local) que l'on recevait ne suffisent plus à satisfaire une quête de vérité de plus en plus prégnante des citoyens. Il est aussi assez difficile de mesurer la consommation des citoyens pour ce qui concernent les informations.
Ce sont, aujourd'hui, plusieurs modèles de médias qui sont à la portée de tous et autours une pluralité de sources possibles. Tant et si bien que s'il y a quelque chose qui ressort de l'affaire Benalla est qu'il n'existe aucune construction – ou ordonnancement – de l'information. Ainsi, les éléments d'information nouveaux nous arrivent – dans un joyeux désordre – au fil des découvertes des journalistes.
Ces informations sont relayées sur les réseaux sociaux et les commentaires de celles-ci deviennent aussi une information à part entière bénéficiant d'articles. Certes, ce n'est pas nouveau – mais c'est d'autant plus intéressant que le lecteur et la lectrice peut créer par un bon mot une nouvelle information, interagir en quelque sorte sur ce qu'il reçoit, quand il ne s'agit pas d'une véritable information (réflexion d'un spécialiste, réaction d'un politique, démenti des intéressés ….) apportant un nouvel éclairage. (lire un article parmi d'autres évoquant : les détournements de l'affaire Benalla sur les réseaux sociaux).
Pour information, les échanges de tweet sur les réseaux sociaux ont dépassés largement ceux échangés suite à l'attentat de Charlie Hebdo. Comme je le disais en préambule, l'affaire Benala n'a pas de dimension traumatique.

Les plus réfractaires à la liberté de la presse – qui est aussi la liberté d'être informé autant que celle de transmettre l'information – trouveront, très certainement, dans cet apparent désordre la cause de nombreuses récriminations. C'était quand même mieux lorsque la radio et la télévision étaient des monopôles d'état et la censure une occupation à temps pleins ! On ne se prenait pas en plein visage un échantillon de réactions des citoyens. Ceux-ci ne pouvaient s'exprimer qu'en manifestant … justement. On peut aussi accuser les médias d'en faire trop. Une information nouvelle n'est pas transmise que par le média qui la découvre mais reprise par tous. Nous sommes à une ère d'ultra-transparence. Ce n'est pas un choix politique et personne, en dehors des dictatures, ne peuvent le limiter – c'est pire encore : c'est un choix social.
L'anonymat des journalistes est aussi une autre caractéristique qui saute aux yeux. Non pas qu'ils ne signent pas leurs papiers mais personne ne semble y prêter attention se contentant de relever que c'est le journal « Le Monde » qui a reconnu dans le CRS un peu trop empressé à tabasser un jeune homme, un conseiller de l'Elysée. C'est le support de l'information qui compte. C'était vrai dans le passé mais il existait quelques journalistes qui faisaient office de spécialistes ou qui, pour une raison ou une autre, possédaient quelques notoriétés.
Le troisième élément est l'absence d'analyses. Du moins, les « décryptages » sont à la fois si basiques et si succincts que l'on ne peut pas appeler cela des analyses. Ce sont des tribunes ou des billets d'humeur commentant un fait. Les médias font, certes, leur travail d'information mais ne sont pas des supports d'opinions. Tout au mieux, ils permettent à certains – et d'ailleurs que des hommes ou femmes politiques dans l'affaire de Benalla – de donner la leur et de l'exposer brièvement. Certes, il faut relativiser. Une même information, dans le cas de l'affaire Benalla, n'a pas la même tonalité lorsqu'il s'agit de « L'Humanité » qui la donne ou « Le Figaro ».
Ce qui frappe – enfin - est que, malgré la somme d'informations, qui nous recevons, il n'y en a pas. C'est tout le paradoxe de l'affaire Benalla. Faire le résumé est assez simple.
Alexandre Benalla, embauché dans un premier temps comme garde du corps personnel de Macron lors de sa campagne, est devenu « chargé de mission » à l'Elysée. Agé de 26 ans, il est « lieutenant-colonel » pour son « expertise » sans que l'on sache laquelle.
Dans le cadre de sa mission au contour flou – en effet, on n'a pas réussi à obtenir sa fiche de poste et il existe de nombreuses contradictions - il disposait d'insignes évident d'un policier – brassard ou encore voiture équipée – sans que l'on sache qui les lui a remis et en fonction de quoi – puisqu'il n'est ni gendarme, ni policier, mais un civil. Son véhicule, selon le chef de cabinet présidentiel, aurait été équipé par le garage de l'Elysée. On peut conclure que c'est l'Elysée qui a passer la commande des équipements. Bien sûr - hormis ses privilèges (port d'armes et véhicules de police), il se serait pas en charge de la sécurité de Macron bien qu'une arme et un véhicule de police soit nécessaire à sa mission. Vous suivez, là?
Le 1er mai, il se trouve aux côtés des CRS en qualité d'observateur, sans avoir reçu l'autorisation du Préfet de Police ni d'aucune autorité policière. En fait, il s'impose tout simplement. On ne sait donc pas ce qu'il était censé observer, ni qui l'a envoyé et qui a accepté sa présence et selon quoi.
Il est accompagné d'un référent – celui-ci « vrai flic » - et d'un copain, Vincent Caze, sorte d'agent de sécurité payé par le parti « la République en Marche ». Il apparaît que Vincent Caze fut appelé en une année une 40aine de fois pour « seconder » les forces de l'ordre (GSPR) sans pour autant être en charge de la sécurité (!).
Lors de la manifestation du 1er mai, Benalla fut filmé en train d'agresser un jeune homme – puis une jeune femme avec l'assistance de Vincent Caze, sous les yeux des CRS.
Le 2 mai, l'Elysée, le ministère de l'intérieur et enfin le Préfet de Police ont été informés des faits – visiblement tous prévenus par le chargé de mission en charge des réseaux sociaux qui a communiqué les vidéos à sa hiérarchie.
Benalla aurait été suspendu durant deux semaines sans salaire pour sa conduite jugée inadaptée et aurait été rétrogradé. Ses missions (que l'on ne connaît pas) auraient été réduites. Si on peut croire qu'il fut suspendu, il semble que plusieurs photographies le montrent aux côtés de Macron encore le 14 juillet lors du défilé annuel ou accueillant les Bleus quelques jours plus tard causant d'ailleurs un autre scandale puisque donnant des ordres à des gendarmes. Bref, sa rétrogradation ne semble pas être entrée en vigueur.
Le 18 juillet, une journaliste du Monde découvre que ce qui est vu par tous comme un CRS lambda qui tabasse un manifestant déjà à terre, n'est autre que le chargé de mission de l'Elysée – qui arbore entre autre un brassard et un moyen de communication, dont on ne sait toujours pas à quoi il servait à un « observateur ».
Alors qu'il était censé être rétrogradé et interdit d'être sur le « terrain », suivant les termes de sa sanction, il apparaît que Alexandre Benalla participait aux réunions (logiquement confidentielles) de la police et de la gendarmerie en charge de la protection de Macron et de ses proches, qu'il a reçu les clefs début juillet d'un logement de fonction, quai Branly, et qu'il disposait toujours d'un permis de port d'armes et d'un accès illimité à l'hémicycle parlementaire – sans que l'on sache en quoi cela servait à la protection de Macron ou à celle de ses proches – mais comme ce n'est pas sa mission ....
Après une longue période de mutisme, un refus de « commenter ce genre d'affaire », Emmanuel Macron déclare à ses députés – et uniquement à eux - qu'il est « responsable de tout » - ce dont on se doutait toutes et tous déjà (sauf les députés LREM) – mais ne présente aucune explication concernant la véritable mission de Benalla au sein de l'Elysée – et qu'il faudra « aller le chercher ». Puis, le lendemain, il informe la nation – qu'il parlera que quand il le voudra. Na !
Il y a – effectivement – plusieurs manières de questionner : est-ce que Benalla avait le droit de tabasser des manifestants ? La justice saura y répondre. S'ajoute à cela l'enquête de la Police des Polices qui devrait tenter de démêler les questions concernant l'implication (ou non) de plusieurs membres de la Police Nationale dans les passes-droits (brassard, véhicules, autorisations diverses, etc) dont bénéficiait Benalla. A souligner que deux syndicats de police se portent partie civile contre Benalla.
L'autre question – en dehors des responsabilités et du niveau d'informations des uns et des autres (ministère de l'intérieur, préfet de police ou encore chef de cabinet de l'Elysée) – est de connaître exactement le rôle précis de Benalla à l'Elysée. On ne peut, en effet, concevoir dans un état de droit qu'un Président de la République s'entoure d'un certains nombres de collaborateurs sans qu'ils aient une mission précise ou, tout au moins, avouable. A priori, malgré les démentis de l'Elysée, Benalla et au moins son copain Vincent Caze seraient une "police parallèle".

L'affaire Benalla est bien une affaire d'état, un des trop nombreux scandales qui secouent la classe politique avec ses petits arrangements et autres actes délictueux.
Elle est une affaire d'état parce qu'elle touche le plus haut niveau de l'état : la présidence de la République. A terme, cette affaire peut renverser un gouvernement, déjà bien mal parti.
Or, l'affaire Watergate, dans son déroulement, offre des aspects que l'affaire Benalla n'a pas – du fait simplement de la place des médias. Il est une erreur de considérer, dans l'affaire Watergate, que les médias aient joué un rôle primordial dans la découverte de la vérité. Nous étions en 1972 – à une époque où internet n'existait pas – et où l'information, quoique l'on en pense, était tout autant contrôlé aux USA qu'en France par le pouvoir politique, dont en particulier le gouvernement Nixon.
Seul le Washington Post a affecté une équipe de journalistes pour mener une enquête. Nous sommes, aujourd'hui, très loin de cet état de situation. Si des journalistes mènent des enquêtes (je veux bien le croire), cela apparaît sporadique et apporte une faible information noyée au milieu d'autres et aucunement analysée. Ainsi, on sait que Benalla est réserviste ayant obtenu le grade de lieutenant-colonel. On sait, tout autant, que c'est particulièrement inhabituel à 26 ans, d'autant plus que le personnage n'a rien d'un génie de la sûreté nationale. Or, on ignore toujours par qui et comment il a obtenu ce grade.
Le 17 juin 1972, cinq hommes furent arrêtés dans les locaux (Watergate) du parti Démocrate. Suite à cette arrestation de cambrioleurs, qui sont des anciens employés de la Maison Blanche, du parti adverse, on découvre de nombreuses malversations de la part de Nixon, dont des financements irréguliers lors de sa campagne présidentielle. Ce sont surtout un juge, John Sirica et une commission sénatoriale qui ont fait la lumière sur les différentes ramifications du système Nixon, dont des écoutes illégales C'est aussi dans le cadre d'une extrême tension entre la presse américaine et Nixon qu s'est déroulé l'essentiel de l'enquête du Watergate. Nixon avait réussi à museler la presse, à force de menace répétée contre les journalistes et leurs sources.
Le New York Times écrivait ainsi : « Par ses nominations de fait ou proposées dans les tribunaux Cour suprême comprise] par utilisation des écoutes téléphoniques et les plaidoyers en leur faveur par les tentatives intimidation de la presse par ses efforts pour censurer dissimuler ou tromper opinion par des poursuites politiquement orientées par des pratiques électorales douteuses par le mépris ou ignorance des protections constitutionnelles par sa manie pour le secret qui trahit sa méfiance pour le peuple en cela et de multiples autres manières administration actuelle soulevé la question fondamentale des violations des droits individuels et de la liberté personnelle de fa on plus intense que ce été le cas depuis bien longtemps ».
L'affaire Watergate a, surtout, permis à la presse de s'émanciper du politique.
Comparer, ainsi, cette affaire à Watergate a finalement quelque chose d'assez curieux pour la presse française même si le choix syntaxique s'explique par ailleurs. En effet, après Watergate, toutes les affaires d'état se finissent en -gate. Nous avons eu le Pénéloppegate. Aujourd'hui, nous avons le Benallagate.
Fort heureusement, nous ne sommes pas dans cette situation en France. Le système judiciaire y aide beaucoup.
Cependant, à son tour, la presse française s'est sentie menacée dans le cadre d'un projet de loi censé contrer les « fake news ». Le risque est de voir, suivant cette loi, un juge demander la preuve (donc les sources) d'une information, laissant au politique le privilège de maintenir la presse sous pression lors des élections et ainsi empêcher que ne soit dévoiler certains faits. « L'affaire Fillon », par exemple, suivant cette loi ne pouvait pas être dévoilée. Or, un journaliste et son média s'engagent à préserver l'origine des informations et à protéger leurs sources. Cela signifiait aussi qu'il était laissé à un juge la décision de savoir si une information est fausse ou vraie.
La sortie maladroite de Macron contre les médias, lors de son entrevue avec les députés, est – en sus d'être irresponsable – montre parfaitement la relation ambiguë de Macron avec les médias. (lire ici - article "la Tribune)
Ce projet de loi, qui aurait dû être adopté le 8 juin 2018, a été repoussé devant des vagues de protestations des médias traditionnels d'une part mais aussi de l'opposition.
En 2018, alors que la situation des médias français est bien différente des médias américains de 1972, il existe une certaine méfiance, voir une certaine réserve, vis-à-vis de Macron et de son parti « En Marche ». Alors qu'en général, un président de la république trouve un échos favorable dans un courant – c'est-à-dire un ou plusieurs médias– Macron n'en a aucun …
C'est bien une première fois qu'un Président de la République se trouve, ainsi, médiatiquement abandonné. On retrouve cette même alliance aussi dans les partis politiques d'oppositions: l'extrême gauche, la gauche, la droite (les Républicains) et l'extrême droite se sont associés contre le parti « En Marche » et le MoDem dans le cadre de l'affaire Benalla.
Si les citoyens français sont avides de transparence, ils se méfient aussi de cette presse traditionnelle qui fut, bien trop souvent, trop attentive à se faire valoir auprès des hommes et femmes politiques. Elle fut accusée d'avoir été – par trop – favorable au jeune Macron en ventant, de manière ostentatoire, ses prétendues qualités.
Or, cette « nouvelle politique » s'est avérée identique aux précédentes. Et je suis généreuse. Aucun média traditionnel – à moins de vouloir aller au suicide – n'oserait, avec ou sans l'affaire Benalla, dire le contraire. Un média traditionnel a des raisons économiques que le cœur n'a pas. Il ne peut soutenir l'impossible pour plaire à un politique, fut-il président de la République, au risque de perdre son lectorat. Quant à l'opposition – même – qui trouve auprès des médias de leur courant respectif un accueil favorable, elle a déjà ce premier avantage et sait très bien utiliser le flou et le silence de Macron contre lui, remettant en cause sa bonne foi.
Peut-on affirmer, ainsi, que nos médias seraient les outils de l'opposition? Tel que se déroule l'affaire Benalla, c'est possible. On peut, même, être surpris d'un article sur "Challenge" qui rapporte les (rares) propos de Macron - relativement insultant pour les médias et même émettant une théorie du complot (lire ici) ou encore "le Figaro" qui semble avoir retrouvé "les Républicains".
L'absence d'analyses critiques (dans un sens ou un autre) est, comme je l'indiquais plus haut, une des caractéristiques de la presse d'aujourd'hui. Bien sûr, il existe des éditoriaux présentant une opinion. Bien sûr, les quelques rares citoyens et citoyennes qui arrivent à suivre le flux d'informations et de découvertes plus ou moins utiles, comprennent qu'en sus d'une affaire d'état, Macron est possiblement accusé d'avoir tenté de monter une police secrète en faisant appel – et c'est le comique de l'histoire – aux services d'un Benalla que même Montebourg n'a pas voulu comme chauffeur.
Les réponses de son ministre de l'Intérieur, Collomb, ne fait qu'apporter de l'eau au moulin à ce qui relève d'une hypothèse de travail.
Or, en dehors de supputations et de questions restées à l'heure actuelle sans réponse, les journaux ne publient aucune analyse contradictoire, faute – d'ailleurs – d'informations concordantes et donc d'enquêtes.

Du silence élyséen, on peut aussi s'interroger sur le silence des députés d'En Marche. Le temps où les journalistes faisaient le pied de grue pour voler une réaction de la partie concernée un peu plus construite que « tout va bien Madame La Marquise » semble révolu. Les médias ignorent dans les grandes largeurs les députés d'En Marche.
Il faut dire que nos députés « d'En Marche » n'ont jamais vraiment contribué à alimenter le débat politique. Selon certains, ils sont les « Godillots » d'En Marche, suivant à la lettre les injonctions de leur parti sans faire de vague. Ils peinent à s'imposer.
(lire par exemple cet article "les Echos")
Macron a certainement compris qu'il avait perdu la guerre des médias – et que sa communication a été – dès le début – catastrophique. Or, cette seule et unique entrevue avec les députés de sa majorité laisse entendre qu'il voulait rappeler à l'ordre son parti ...
La ligne de défense de Macron tient en peu de chose (source)
Celles et ceux qui suivent mon blog savent combien ce type d'arguments n'en est pas un. Ainsi, pour exemple Benalla ne toucherait pas 10 000 € de salaire. Or, le chef de cabinet a refusé de donner le véritable salaire de Benalla – expliquant que c'était un secret élyséen et que ce secret était affiché en toutes lettres dans la commission des comptes et qu'il faudra s'y référer. Macron n'en dit pas plus de son côté. Le problème n'est pas vraiment le montant de ce salaire. Que ce soit 2000 ou 20 000 €, cela ne changera rien au débat de fond. Ce qui alimente, par contre, le débat est que, même devant une commission d'enquête de l'Assemblée Nationale, même devant ses propres députés, l'Elysée refuse d'apporter les éléments d'information.
En cherchant un peu dans les divers articles de la presse, on constate que Macron est souvent très critique à l'égard des médias les trouvant "trop narcissiques" (dit celui qui a dépensé 8000 € en frais de maquillage en 6 mois). exemple ici
Les sentiments de Macron à l'égard de la situation est secondaire – mais on conçoit qu'il boude au fond de l'Elysée. Or, ce sentiment de trahison et sa peine ne l'ont nullement empêché de prévoir Benalla à toutes ses sorties en juillet et pour les vacances. Cela a l'air de marcher avec les godillots d'En Marche : jouer sur la corde sensible, leur compassion et – ce qui est vulgairement appelé du chantage affectif.
Comme les députés LREM ne sont pas les plus grands analystes politiques de ce siècle, leurs réactions (positives) suite au discours de Macron s'expliquent.
Le jeu politique veut qu'ils se montrent soudés et forts, face à l'adversité. Or, on est à ce point de la dérive de la représentation républicaine : les députés sont au service de Macron, alors que censément représentants locaux de leurs électeurs, Macron – lui – est le président des députés et non pas des français.
A quelque part, ce qu'il raconte à ses affidés, dans le restau d'à côté, est sans intérêt pour le reste du monde. La parole présidentielle a un minima syndical : elle doit s'adresser aux citoyens et non pas à un petit groupe parlementaire entre deux toasts.
La faillite de notre représentation politique est bien dans cette confusion de genre que ce soit au niveau de l'Assemblée Nationale, du gouvernement ou encore de l'Elysée. Un Président de la République a des comptes à rendre à ceux qui l'ont élu. Autant que je sache – et pour batailler par ailleurs à ce sujet – Macron a été élu au suffrage universel et non pas par son petit groupe de parlementaires. Au final, ce sera aux français – les électeurs – à qui il faudra s'expliquer.
C'est à ce titre que les médias ont dans cette affaire le beau rôle. Eux s'adressent toujours aux français.
Que les propos de Macron soit rapportée par les médias – relevant du « on-dit » - ne compte pas. Tout un paradoxe présidentiel. Puisque les médias français sont des menteurs et inventent des choses, ils peuvent très bien avoir inventé les propos de Macron. Non ?
L'inconscience des députés « En Marche » n'est relevée par aucun média. Ils ont tout d'abord refusé toute enquête parlementaire. N'oublions pas qu'ils n'ont – eux-mêmes – aucune réponse à donner aux français. Qu'eux-mêmes sont laissés dans la plus crasse ignorance et que tous ceux qui réclament des éclaircissements de la part de l'exécutif sont invités à aller voir ailleurs.
C'est cela le renouveau promis ? Nous avons le triste sentiment que nous sommes revenus non pas à « l'ancien monde » mais à l'Ancien Régime.
L'affaire leur échappe très certainement, se devant croire « sur parole » le gouvernement ou Macron. S'il y a bien des personnes qui ont intérêt à faire toute la lumière sur les faits – et le rôle exact de Benalla – c'est bien eux.

Il est prétendu par l'Elysée que Benalla a été rétrogradé dès le 2 mai. Les médias trouvent – et largement ! - des preuves qui le montrent aux côtés de Macron jusqu'au 14 juillet et des témoignages suffisants pour contrecarrer cette affirmation. Benalla était simplement « bagagiste des Bleus » ? Les médias trouvent – en cherchant un peu – assez de témoignages et de vidéos qui montrent que Benalla a fichu – aussi – le bordel dans l'arrivée triomphale des Bleus. On souhaite minimiser les violences de Benalla sur les manifestants. Les médias trouvent de nouvelles vidéos … à croire que tout Paris était présent lors des faits.
Macron ignore tout – voir attendait de savoir « ce qu'il y avait avant et après » - On découvre encore que la fameuse vidéo de la sécurité publique – celle remise frauduleusement - aurait été visionnée par plusieurs collaborateurs de l'Elysée et qu'ils la posséderaient encore. En même temps, ayant connaissance des faits, le 2 mai, si l'Elysée avait fait son job, ils l'auraient visionné bien plus tôt.
Pas d'ITT – donc pas les violences n'étaient pas si grave que cela ? Le manifestant agressé se serait vu prescrire 6 jours d'arrêt suite aux violences.
La liste commence à être longue.
Il s'agit d'un journalisme de contrôle qui souhaite répondre à tous les arguments – même les plus ridicules – preuves en main. Les médias récupèrent les pièces du puzzle. L'histoire continuera à se raconter au fil des prochains mois. C'est d'ailleurs tout le problème des affaires d'état : elles ne s'arrêtent jamais. Elles se racontent toujours.
C'est symptomatique d'une perte massive de confiance du politique – et ce n'est pas nouveau – avec les citoyens. Les politiques ne sont plus considérés comme honnêtes ou même bien informés. A chaque fois que l'un d'entre eux avance un chiffre, on est obligé de le vérifier. Collomb a été, évidement, dans ce genre, une caricature du ministre-qui-ne-sait-rien-mais-dira-tout.
Les médias français pratiquent un journalisme de contrôle, annonçant froidement que telle ou telle donnée avancée par un politique est fausse (ou vraie). L'affaire Cahuzac – celui qui ment droit dans les yeux – a été révélatrice.
Aussi, l'enjeu pour les médias est de se montrer irréprochables. Ils n'avancent rien au hasard, trouvant une preuve ou une confirmation pour valider un fait. Bien sûr, des médias, il faut sortir les « Boulevard Voltaire », les « Valeurs Actuelles » et autres « Médiapart » …. qui n'en sont pas.

C'est la lacune des médias français face à cette affaire Benalla – crise d'Etat qui a pris des proportions judiciaires et politiques en quelques temps que l'on ne peut oublier – l'opinion et l'analyse n'existent pas. Nous finirons, tôt ou tard, à avoir toutes les pièces du puzzle mais personne nous fera le récit, l'analyse. En un mot : personne ne montera le puzzle. Pourtant cette analyse des faits permettrait de sortir du journalisme du contrôle et de la riposte. Cela pourrait permettre aux médias de souligner les blancs – les informations manquantes – Bref, poser les bases d'une investigation.
En effet, l'opinion ne se construit qu'en fonction d'une information – obtenue, donnée et vérifiée – mais aussi d'hypothèses de travail comme de connaissances.
Mener un journalisme d'opinion – sans pour autant se détacher de l'information brute – est pour les grands médias prendre un risque avec les autorités politiques en sus de perdre une partie de son lectorat (et de ses finances) qui soit ne partagerait pas telle ou telle opinion et/ou s’ennuierait à les lire.
Dans le cas présent, au vu de la réflexion de Macron qui accuse les médias de dire n'importe quoi, c'est – disons-le – inutile de prendre des précautions avec ce dernier. C'est suffisant pour permettre aux médias de sortir de leur réserve et de permettre à la construction d'une opinion.
De jouer, enfin, le rôle de contre-pouvoir dont ils rêvent en secret.
Macron a, en effet, tuer lui-même le peu de connivence qui lui restait avec les médias. Son mutisme obstiné, son arrogance naturelle et son désir de contrôler les horloges du quartier, lui retire la possibilité d'être créateur de l'opinion. L'opinion, en effet, n'est pas un silence assourdissant ponctué d'invectives. Elle est une parole dite et pensée. Une construction sur le long terme.
L'opinion – prise de risque et de distance avec le pouvoir – peut ainsi se construire en dehors du pouvoir lui-même. Il y a, en effet, une différence entre une presse « en réaction à » par rapport à une presse « en réflexion à ».
L'information est formatée. L'opinion ne l'est pas. Le droit à l'information et à être informé est de la liberté de la presse. Le droit à l'opinion est la liberté.
Cette perte de connivence entre médias et politiques – en particulier avec Macron – permet de débloquer leur liberté d'opinions – plus exactement de la liberté d'opinions des journalistes. Le frein est que la France a toujours considéré l'opinion de l'autre, dont celle des médias, comme de la manipulation. Or, l'opinion est le débat nécessaire dans un pays démocratique. Le refus de recevoir l'opinion de l'autre signifie que l'on refuse qu'un débat existe et que, finalement, nos institutions appartiennent aux français. Aujourd'hui, avec l'affaire Benala, on constate que nos institutions sont fragiles et fragilisées par le pouvoir politique.
Il faut presque aller sur le dark net pour trouver ce type de journalisme qui est défendu (officiellement) par les journalistes du Monde Diplomatique (ici tous les blogs des journalistes)). On trouve ainsi cet article traitant sous un autre jour l'affaire Benalla et la position des médias (lire ici) qui coupe court à tout prétendu complot ....
A lire aussi cet article sur les violences policières qui explique indirectement pourquoi les CRS n'avaient pas vraiment besoin de Benalla. Je peux aussi citer les articles de Marianne comme celui-ci par exemple; ou encore cet article d'opinion.

Il faut, avant de se poser comme gardiens, savoir ce que l'on veut vraiment gardé. Dans tous les cas, Macron semble ne rien vouloir : ni les médias qu'il fustige, ni le Parlement qu'il estime être "un tribunal populaire" (c'est d'ailleurs le principe du Parlement vis-à-vis du gouvernement), ou encore dans le système judiciaire - il trouve qu'il y a un "problème" ....
Quant à sa fonction de Président de la République, celle-ci est mise à mal aussi par lui-même, ayant allé au "pot de départ" des députés pour leur donner quelques consignes. Ceux qui ont étudiés un peu dans leur enfance savent très bien qu'un Président de la République n'est pas "chef de parti" mais se doit d'être "au dessus" ... Oui, j'ose vous avouer que je sais dessiner une "croix de Lorraine" de mémoire. Il n'a pas hésité à menacer les deux seuls députés LREM qui se sont montrés abasourdis - les deux seuls qui semblent savoir réfléchir par eux-mêmes - par l'affaire Benalla "d'être abattus" par leurs collègues bêlant. (source)
Soit Macron ignore tout de nos institutions, les découvrant seulement maintenant, soit il nous prends pour des idiots, soit il dit vraiment ce qu'il pense (et je ne vais pas oser mettre en doute la parole présidentielle) et il veut mettre à mal nos institutions. La réaction de Macron est digne de celle d'un despote ... et c'est certainement cela, bien avant les autres, que les médias ont perçu et souhaitent nous faire comprendre.

Toinet Marie-France. La liberté de la presse aux États-Unis : des documents du Pentagone au scandale du Watergate. In: Revue française de science politique, 23ᵉ année, n°5, 1973. pp. 1020-1045; doi : https://doi.org/10.3406/rfsp.1973.393506
https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1973_num_23_5_393506
Toinet Marie-France. La liberté de la presse aux États-Unis : des documents du Pentagone au scandale du Watergate. In: Revue française de science politique, 23ᵉ année, n°5, 1973. pp. 1020-1045; doi : https://doi.org/10.3406/rfsp.1973.393506
https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1973_num_23_5_393506
Muhlmann Géraldine, « Le gros mot de contre-pouvoir », Pouvoirs, 2006/4 (n° 119), p. 55-70. DOI : 10.3917/pouv.119.0055. URL : https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2006-4-page-55.htm