3 Janvier 2019
Je dédie cet article aux frères qui lisent régulièrement mes articles et qui, nonobstant, me supportent.
Vous vous étiez passionné par les saintes et mystiques, ces éternelles malades, faibles de corps et d'esprit – du moins ainsi aimaient-elles se présenter – celles encore qui virevoltent, légères et futiles, aussi éphémères que des jolis papillons. Cette image stéréotypée de la femme et d'une certaine attitude des femmes face à leurs idées trouve une opposition à un autre stéréotype, car cela en est un, - croyez-moi sur parole - la « femme virile ».
Si le premier stéréotype ne met rien en danger, en tout cas pas la société, réduisant les femmes à des êtres fragiles qui ont par quelques coïncidences, plus souvent divine, une intelligence - c'est d'ailleurs fait pour – qu'il ne questionne pas les hommes – et c'est ce qu'ils souhaitent – l'autre, par contre, est inexorablement une remise en cause de la féminité mais aussi de la virilité.
La femme virile existe – Du moins, bien plus que la mystique, elle appartient à notre imaginaire collectif. Ce sont les amazones au Sud, les walkyries au Nord. C'est Athéna ou encore une héroïne de Marvel. Elles sont seules ou agissent en girls-band. Elles sont les aventurières, les pionnières (première femme avocate, médecin, journaliste, …. ) que l'on s'est efforcé de tuer ou ont des destins tragiques. Ainsi, on aime rappeler que la première bachelière est morte d'épuisement ou encore que Madeleine Pelletier (première femme médecin) est morte dans un asile d'aliénés, antichambre du 19ème siècle de ces femmes devenues trop encombrantes, trop dérangeantes, et même trop réelles. La présence d'une femme virile est toujours l'annonce de l'extinction de quelque chose.
Le mot est quelque peu désuet. Ce qui n'empêche, nullement, la GLNF de définir le franc-maçon comme « sage, viril et digne ». Tout le problème de cette définition, c'est qu'il n'est retenu que « viril » - qui plus est semble être l'apanage des seuls hommes et associée à la sagesse et à la dignité.
« Viril » et « Vertu » ont la même racine « virtus » qui signifie un certain nombre de caractéristiques morales : bravoure, vigueur, talents, etc. « Virtus » a donné un autre mot qui, aujourd'hui péjoratif, était une qualité : la virago, la femme virile. Le terme ne fut pas toujours péjoratif – il le deviendra réellement qu'à partir du 19ème siècle – et sera utilisé pour définir des femmes, réelles ou imaginaires, des héroïnes aussi courageuses que des héros masculins : les preuses.
Ainsi, la virilité féminine, c'est autant la bravoure, le courage, la force mais aussi – il faut quand même que quelque chose soit spécifiquement féminin : la virginité – mariale uniquement, je souhaite le préciser -
L'époque médiévale avait fait naître et mourir bien des chevaliers, dont les vertus viriles ne sont plus à composer. Il fut nécessaire de trouver aux femmes des modèles équivalents, répondant à la dureté de l'époque et aussi leur permettant de sortir du carcan de soumission dans lequel le Moyen-Age et toute la chrétienté les avaient enfermées.
« Virtus » donna aussi un autre mot que tout le monde connaît et que personne, vraiment personne, n'associe à la virilité : Vénus.
Les études sociologiques sur les crises de la virilité à travers les siècles ne manquent pas. Je ne vais pas en faire le récit, ici. Il faut garder en mémoire que si la 2ème vague du féminisme a mis en avant un questionnement sur la condition des femmes et la féminité, le 20ème siècle a ouvert à un autre constat. La virilité – ou la masculinité – est aussi oppressante pour les hommes qu'il ne fut un stéréotype de domination pour les femmes.
La fin du Moyen-Age connut une crise s'apparentant à celle d'aujourd'hui : le chevalier devient un art de vivre et se dote de caractéristiques féminines.
La bourgeoisie a construit le stéréotype de la virilité moderne. De l'homme « bien né », de « haute naissance », il est devenu l'homme « bien constitué », où finalement le nom ou la naissance n'a pas vraiment d'importance, du moment qu'il respecte des valeurs de droiture, de bravoure, de force et de maîtrise de soi.
Tout au long du 19ème siècle et jusqu'à la première guerre mondiale, l'idéal masculin sera alimenté par des recherches scientifiques sur le corps masculin et en particulier son apparence physique. Le modèle de l'homme idéal sera tiré de la statuaire de l'Antiquité. La pratique du sport, bon pour la santé, est le régime obligatoire pour que le petit garçon devienne l'homme viril. A la fin du 19ème siècle, la virilité – déjà bien vertueuse – prendra d'autres valeurs dont, une, essentielle encore aujourd'hui : mourir pour une noble cause. La virilité sera non seulement militarisée mais surtout largement reprise dans les mouvements nationalistes, fascistes du 20ème et 21ème siècle. Le héros – homme viril par excellence – doit être mort ou doit être en mesure de risquer sa vie pour des grandes causes. De preux, il devient martyr.
L'historien Georges Vigarello, co-auteur de l'histoire de la virilité (3 tomes), soulève une caractéristique nouvelle concernant la virilité : elle est fragile et toujours sujette à des crises.
Au XX ème siècle, la crise de la virilité est différente des précédentes. A la fin du Moyen-Age, elle n'a fait que naître des preuses. Selon, Jean-Jacques Courtines autre co-auteur du livre cité, elle s'est jouée lors de la Première Guerre Mondiale. Alors que la guerre était le terrain de l'ultime expression de la virilité, celle de 14-18 a montré la limite des corps d'hommes entassés dans des trous, meurtris, tués sans bataille et corps à corps chevaleresque. D'ailleurs, peut-on se demander, qu'y-t-il de glorieux dans les guerres contemporaines ? Le brave, le preux du passé est devenu un amas de chair à canon. De quoi créer une crise de la virilité qu'aucune sainte, amazone ou encore Judith ne peut résoudre.
En 1923, Max Adler tentera de redéfinir le contour de la masculinité. « L'homme nouveau » est libre, dénué de bellicisme et raisonnable.
Le stéréotype de la virilité a permis de tenir écarter les femmes des sphères du pouvoir politique ou économique. Par ailleurs, il a subsisté et continue encore – même s'il est en crise – parce qu'il existe un contretype à la virilité : la féminité, faible, fragile, incapable de contrôler ses sentiments, sensible, … La virilité se construit sur le déni du féminin. Il a aussi besoin, d'où la survie de la virilité à notre époque, d'autres contretype : le Fou, le Juif, l'Homosexuel, l'Etranger, le Malade, l'Handicapé, … En terme de valeurs, la virilité, c'est aussi une opposition avec les valeurs dites « féminines » comme le progrès ou l'espoir pour la tradition et une vision passéiste du monde.
« D’une certaine manière, explique Jean-Jacques Courtines, les femmes peuvent bien continuer à accoucher de garçons tant que les hommes seront capables d’engendrer des hommes virils. Il y a pour moi, dans le legs viril, cette idée et cette transmission d’une théorie imaginaire de l’engendrement des mâles par eux-mêmes. C’est vrai, tout d’abord, du point de vue des lieux et des institutions. La grande différence, à cet égard, entre le xixe siècle et le xxe siècle, est la constitution au xixe siècle de tout un archipel de lieux qui sont des lieux de l’entre-soi masculin : le bordel, le fumoir, la salle de garde, la caserne, la chambrée, etc. Ce sont des lieux où la virilité se fabrique en tant que telle dans des fratries, c’est-à-dire dans des groupes d’égaux qui, immédiatement, se trouvent hiérarchisés par la virilité elle-même, la virilité ayant bien évidemment des effets de classement des hommes les uns par rapport aux autres. »
La virilité est transmise par des hommes à d'autres hommes. C'est « entre hommes » que cela se passe.
Nous comprenons mieux pourquoi les frères tiennent autant à leurs obédiences et loges « masculines » où les femmes sont interdites de visite. Il est probable que cela participe bien plus d'un besoin d'apprendre et de transmettre « la virilité », sorte de résistance à une crise contemporaine.
La femme virile est, bien sûr, un stéréotype qui, comme tous les autres, s'est construit en abusant du mythe. Toutefois, s'il est difficile de trouver un personnage réel et même imaginaire ayant contribué à la construction de la féminité, il en existe pour celui de la femme virile.
Les femmes viriles n'ont certes pas toutes le même visage, mais toutes – ou presque – ont été la source de longs questionnements sur leur réelle féminité. En effet, elles paraissent, pour le commun, avoir une féminité incomplète. Pour ainsi dire, on les accuse même d'être contre la féminité.
Ainsi, se pose la très sérieuse question – depuis l'Antiquité – du sexe d'Athéna. Aujourd'hui, on dit « genre ». Elle été appelée à Athènes : « la dieu » au lieu de la déesse (théa). Athènes, qui a presque inventé la virilité pour tous les millénaires qui ont suivis, se trouvait avoir une déesse dont le sexe était source de préoccupation. Guerrière, elle revêtait aussi les attributs du roi (et non pas d'une reine). Evoluant dans une cité androcentrique, Athéna – dont l'ambiguïté sexuelle laisse encore songeur les universitaires d'aujourd'hui – est aussi la mère – quelque peu paternaliste – des athéniens.
Plus flagrant encore qu'Athéna, ce sont les Danaides présentées par Alain Moreau dans un article noté en source. Considérées comme barbares, c'est-à-dire n'appartenant pas à la bonne société athénienne, elles prennent des occupations et postures masculines. « Elles menaient une existence d'homme ».
« filles du roi Danaos. Elles descendaient d'Io, princesse argienne, qui, après
mille aventures et souffrances (amour de Zeus, métamorphose en génisse,
d'Héra, errances à travers le monde), accoucha d'Epaphos [...]
Leurs cousins, les cinquante fils d'Egyptos, voulurent les épouser. Mais les Danaïdes, poussées par leur père, s'y refusèrent. Vaincues dans une bataille sur les bords du Nil, elles s'enfuirent, franchirent la mer et gagnèrent le berceau ancestral, Argos, où elles furent accueillies par le roi Pelasgos. Les fils d'Egyptos les rejoignirent et remportèrent une nouvelle victoire dans un où, semble-t-il, Pelasgos trouva la mort.
Contraintes d'épouser leurs cousins,les Danaïdes, à l'instigation de leur père, elles les poignardèrent au cours de la nuit et jetèrent leurs têtes dans les marais de Lerne. »
Le dénouement connaît de nombreuses variantes : courses entre les jeunes gens d'Argos et des Danaïdes à chacun d'eux en fonction de leur classement (c'est la version la plus anciennement attestée, celle de Pindare), procès des Danaïdes, procès d'Hypermestre (ou Hypermnestre) qui avait épargné son époux Lyncée, meurtre des Danaïdes et de Danaos, châtiment des Danaïdes aux Enfers nous explique l'auteur.
Or, ce qui est retenu par les athéniens – une fois que les anciennes versions furent effacées de leurs mémoires – est le meurtre de l'homme, de l'époux, par ces infernales Danaïdes qui n'ont pas, même, d'apparence humaine.
A leurs yeux, une femme qui tue son époux n'est pas tout à fait une femme, et bien entendu entre dans la sauvagerie, la barbarie.
Elle se virilise mais surtout, elle déteste l'homme. Ce qui, dans une société fortement patriarcale comme l'était Athènes, parfaitement impossible à concevoir.
Bien entendu, parmi toutes, dans le monde grec de l'Antiquité, il y a les Amazones, considérées aussi comme barbares, mais « égales aux hommes ».
Celles-ci aussi vivent en bande organisée mais, plus encore que les Danaïdes, elles sont maîtresses de leur terre et royaume alors que les Danaïdes semblent plus portées par les péripéties de leurs aventures. Les Amazones, contrairement aux Danaïdes, gagnent leurs batailles et même leurs guerres, lorsqu'elles ne sont pas les sauveuses d'un roi ou d'un royaume qui leur est étranger. Les Amazones sont le mythe dans les mythes, apparaissant et disparaissant au gré des infortunes masculines.
Pourquoi tant de modèles de femmes viriles dans les mythes grecs ?
Les femmes grecques vivaient enfermées – et, pour celles qui n'avaient pas besoin de travailler – elles avaient à peine le droit de sortir de leur maison pour faire quelques emplettes. La situation des femmes sous l'Antiquité est, bien entendu , à nuancer en fonction des périodes et époques. Il existait, néanmoins, comme modèle réel, celui-là, les spartiates que Xenophon ou Platon, encore, présentaient. Les femmes, les jeunes filles, suivent alors le même entrainement militaire : course, lancé de javelot et encore lutte. Pourtant, les chroniqueurs semblent bien en peine d'imaginer ces jeunes filles mener des batailles. Elles demeurent elles-aussi "à la maison".
Une femme dehors était considérée comme une mauvaise femme, une femme de petite condition, c'est-à-dire pauvre qui a besoin de travailler, ou immorale pour celles qui sont entretenues.
Cloîtrer des femmes dans leur demeure fut, pour plusieurs périodes de l'histoire, une manière de différencier les femmes de bonnes conditions et les autres. La nonne du Moyen-Age est cloîtrée. L'épouse bourgeoise au 19ème siècle est enfermée dans sa demeure, tout autant que les femmes américaines et occidentales de la classe moyenne entre les années 1950 et 60.
Le stéréotype de la féminité : la mère, l'épouse peut-être, surtout elle est une femme cloîtrée. L'enfermement peut être aussi symbolique : comme le voile ou le code vestimentaire des femmes (corsets, longueurs des jupes ou robes, interdit du pantalon et de nos jours de la jupe, etc) et, bien entendu, l'absence de droits civiques, économiques ou sociaux.
C'est durant ces époques les moins égalitaires pour les femmes que le stéréotype de la « femme virile » connaît le plus de succès.
(lire aussi ici)
C'est la grande question. Pour un homme, la virilité est affaire de transmission « entre hommes ». Ils apprennent les codes de bravoure et de courage entre eux. Les lieux de sociabilité ont été nombreux : sports, armée, … et même lieu de travail dans une certaine mesure où les femmes avaient des rôles subalternes ou n'accédaient pas aux postes de pouvoir qu'ils soient politiques ou économiques.
Ce qui est, néanmoins, frappant est que la virilité pour les femmes ne se transmet pas. Elles semblent l'acquérir sans avoir reçu quelques enseignements préalables contrairement aux hommes. Un jour, elles deviennent preuses.
On peut imaginer que les bandes organisées permettent aux femmes de s'entraîner entre elles : comme les Amazones. Les Danaïdes semblent avoir acquis leurs compétences par la force de la nécessité. On ne s'inquiète guère de savoir où elles ont appris à manier des armes. Quant aux avatars plus isolées, elles débarquent armées et dangereuses sans que rien, auparavant, ne le laisse présager. Il n'y a véritablement que les spartiates que l'on voit s'entraîner. En sus d'avoir des compétences innées, elles sont douées voir même supérieures aux hommes dans leur propre domaine.
Autrement dit, à en croire la littérature consacrée, la femme ne devient pas virile, elle l'est.
A moins de tomber dans l'essentialisme, la féminité ne se transmet pas plus dans un « entre femmes » excluant les hommes. La féminité ne se mesure pas - il n'existe pas de plus féminines que d'autres - contrairement à la virilité chez les hommes. Tout au plus, peut-on estimer qu'une femme devient femme par son éducation, la société ou les modèles féminins de son entourage proche. En tout cas, contrairement aux hommes, elles n'ont pas besoin de camp d'entraînement. La virago ne fut pas toujours la guerrière. Il faut, à nouveau, se tourner vers le monde occulte et froid des mystiques - où la virago pouvait être pieuse, mais fondait à la force de ses petits bras musclés un convent. En sus de courage, elle possédait l'intelligence et des compétences pour organiser un projet important. Là encore, on ignore comment ces femmes devenaient ces femmes de têtes et , donc, éduquées.
Cependant, si cela semble suffire à beaucoup d'entre vous, il faut néanmoins postuler l'hypothèse que, si les qualités de courage et de bravoure peuvent être développés chez les enfants des deux sexes, le maniement des armes ne s'improvisent pas que ce soit pour les hommes comme pour les femmes. La question est de savoir comment et où, pour ces quelques femmes « réelles » et mythiques puisqu'elles sont exclues desdits camps d'entraînement ou de tout enseignement.
Tout le mystère de Jeanne d'Arc, femme plus réelle (ou presque) que les Danaïdes et autres déesses, se trouve ainsi résumer.
Les recherches universitaires sur Jeanne d'Arc ne manquent pas. Ils concernent, essentiellement, ses procès. Dans celui l'accusant (70 articles), on constate qu'il lui fut reproché la même chose que les béguines. En déclarant être missionnée par dieu, elle usurpe le rôle des hommes – plus exactement des ecclésiastes, jaloux de leurs privilèges. .
« Ayant abandonné « l’habit de femmes, elle a imité le comportement de l’homme », elle a pris « sans pudeur l’habit infâme et l’état des hommes », elle a « assumé présomptueusement et orgueilleusement la domination sur des hommes ».
La guerre, activité virile, est une affaire qui ne concerne pas les femmes. Ce n’est pas combattre qui est le véritable scandale aux yeux des juges ecclésiastiques : les Pères de l’Église ont depuis longtemps montré que la guerre n’est pas mauvaise en soi et les théologiens et juristes des XIVe et XVe siècles ont largement ajouté à leurs arguments, après que saint Bernard a annoncé que la mort au combat était méritoire. Mais le scandale venait de l’usurpation de la condition masculine par une femme. Dans le cas précis et hors nature de Jeanne, la femme, par essence inapte au combat, ne peut se battre et faire combattre que par cruauté délibérée ; elle rend alors, par cela seul, la guerre injuste et trompe ainsi ceux qu’elle entraîne. À la limite, le parti de Charles est excusable car, abusé, il a mal tourné ses vertus guerrières ; Jeanne en revanche est impardonnable. » explique Françoise Michaud-Fréjaville
Jeanne d'Arc, contrairement aux théories survivalistes qui ont suivies sa condamnation, fut belle et bien brûlée vive. Les anglais, désireux de ne pas lui donner de sépulture, la firent même brûler trois fois. Une première fois pour la tuer et les deux autres fois pour n'en faire que des cendres répandues dans la Seine. Tout cela publiquement et en ayant pris soin de montrer le cadavre entre les différents bûchers.
Si les historiens insistent sur l'origine modeste de Jeanne, sur ses occupations de jeune fille tout à fait normale, son illettrisme, il n'en est pas moins qu'elle fut véritablement un chef de guerre ayant même une maison militaire, des troupes et du personnel à son service. Elle mena, après le couronnement de Charles VII, de nombreuses batailles sans être spécifiquement sous son autorité (disons-le, en y étant pas du tout). C'est d'ailleurs lors d'une d'entre elle qu'elle fut capturée et vendue aux anglais. La suite vous la connaissez : elle fut condamnée et brûlée vive.
Limiter Jeanne d'Arc a un rôle de potiche-porte drapeaux semble, aujourd'hui, parfaitement déraisonnable et imbécile. Dans une société où le mérite guerrier était plus important que les titres ou l'éducation, tout indique que d'une manière ou d'une autre, non seulement elle a été entraînée mais aussi qu'elle était douée et reconnue comme telle par ses troupes.
Cependant, le mystère s'épaissit lorsque plusieurs usurpatrices se présentèrent un peu partout en France. Deux d'entre elles eurent des destins singuliers. Claude, dite Jeanne des Armoises, apparut à Metz en 1436 et se fit même reconnaître par les frères de la première Jeanne. Le récit qui en fut fait apparaît dans la fameuse Chronique dite du doyen de Saint-Thibault de Metz. Elle se maria et se lassant de ce mariage, elle reprit la route. Elle conduisit aussi une armée et mena plusieurs batailles. Elle décédera en 1446.
Lorsqu'elle se présenta, on lui donna un cheval mais aussi une épée. Son protecteur lui offrit une armure. Elle aurait commencé sa carrière (en 1433) comme mercenaire en Italie pour le pape. A l'époque, il y avait déjà plusieurs femmes mercenaires dont les plus connues sont Bianca Brunoro et Maria de Pozzuoli. Son existence est, pour les plus incrédules, attestée par les comptes de la ville d'Orléans où elle séjourna en tant que « Jeanne d'Arc » aux alentours de 1439 et 1440 et fut reçue avec cérémonie.
Sa carrière fut plutôt remarquable. Elle fut inquiétée par l'inquisition. Excommuniée pour porter des habits d'hommes et pratiquer la magie (!), elle fut secourue par le comte de Virnembourg.
Après la réhabilitation de Jeanne d'Arc, une autre « Jeanne d'Arc » apparaît : Jeanne de Sermaise. Nous sommes en 1456-57. Certains historiens estiment qu'il s'agirait de Jeanne des Amboises. Or, elle était détenue en réalité non pas du fait de ses habits d'homme ou encore pour une éventuelle imposture, mais suite à un conflit familial. Elle fut accusée par sa famille (qui devait n'avoir rien de sérieux à lui reprocher), de s'être faite passer pour Jeanne d'Arc. Elle fut bannie d'Anjou et finalement réhabilitée avec une mise à l'épreuve de 5 ans.
Pour revenir à notre sujet principal, ces femmes, qu'elles usurpent l'identité de Jeanne d'Arc ou non, en sus d'être les grandes oubliées de l'histoire, montrent que leurs choix de vie, leurs aisances à mener des combats et batailles, ne pouvaient qu'être apprise au sein même de troupes.
Une autre étude montre, pour la même période de l'histoire, la place des femmes dans une société en perpétuelle guerre. Oubliées généralement par les chroniqueurs d'une part, les historiens d'autre part, on souligne quelques femmes exécutées (par enfouissement) par les anglais pour avoir soutenu les « brigands » qui étaient les résistants, généralement issus du peuple, conduit parfois par la petite noblesse, plus ou moins bien armés qui faisaient œuvre de sabotages. Pourquoi ce silence de la part des anglais autant que par les français? « Il est possible que les cas de ces femmes n’aient pas eu la publicité suffisante pour venir aux oreilles de nos chroniqueurs, ce qui renforce l’idée d’une dissimulation du gouvernement anglais ; d’autre part, il est possible que ces mêmes chroniqueurs aient eu du mal à admettre la place des femmes dans la guerre parce qu’il n’est pas plus rassurant pour un gouvernement d’être menacé par une femme que d’être défendu par une autre. » explique Adrien Dubois dans « Femmes dans la guerre (XIVe-XVe siècles) : un rôle caché par les sources ? »
Ainsi, au travers de ces multiples Jeanne, le premier élément du stéréotype est, bien sûr, d'aimer le sang – de tuer plus exactement – Jeanne d'Arc fut accusée d'avoir été particulièrement cruelle avec ses adversaires. Ce qui contrevient au stéréotype de la féminité, soumise, maternelle, douce et nourricière. Elles s'habillaient en homme. Ce qui, à notre époque, ne nous choque pas. Or, rappelons à nos mémoires, la question du voile islamique bien contemporain, qui est « l'habit féminin » (du moins l'un d'entre eux) et les longues questions sur les jupes aujourd'hui interdites (par trop féminine) dans de nombreux établissements scolaires publics et français ou encore, il y a peu, l'interdiction de porter des pantalons à l'Assemblée Nationale.
Il faut croire que si les femmes ne s'habillaient pas « en femmes », les hommes seraient infichus de les reconnaître et de les différencier des hommes.
Jeanne d'Arc est, surtout, dangereuse. Douée sans aucun doute, chef de sa maison, elle usurpait le rôle des hommes, mais très certainement transformaient les codes.
On sait combien les femmes et leurs rôles, politiques, sociaux ou encore économiques, ont été occultés par les historiens du 19ème siècle à nos jours, bien aidés par les chroniqueurs.
Toutes les féministes vous l'expliqueront. On ne peut pas envisager l'histoire d'une civilisation ou d'un pays en imaginant que la moitié de sa population vivait tranquillement sans participer à rien en dehors de tenir une maison ou élever des enfants, en se soumettant et en restant ignorante de la réalité politique et sociale de son pays et de son époque.
Cependant, c'est dans cette idée que fut écrite, tant bien que mal, l'Histoire avec un grand H avec quelques accrocs, les historiens ne pouvaient pas supprimer du récit certaines femmes. Elles servaient d'exception, construisant chacune le stéréotype de la femme virile, la virago d'aujourd'hui. Il fut facile d'oublier les femmes mercenaires de la Guerre de 100 ans et de faire de Jeanne d'Arc une exception.
Dans le monde occidentale, elles furent nombreuses à avoir porter l'armure, menées des armées, assiégeant des villes, libérant les leurs … et que sais-je encore. On peut ainsi citer Mathilde de Toscane (1087), la Normande Isabel de Conches (1090), Ida de Cham qui mena sa propre armée aux croisades de secours, en 1148, encore, Mélisende de Jérusalem est chef de ses troupes au Conseil à Acre durant la Seconde croisade ; Elisabeth de Hongrie, qui défendit plusieurs fois Prague contre ses ennemis, Jeanne de Flandres ou encore en 1326, Isabelle de France.
Ainsi, la femme virile au fil des siècles, si elle méritait le titre de preuse, deviendra au fil des siècles la virago que nous connaissons – une demi-folle, détestant les hommes et niant leur féminité « naturelle ». Ainsi, seront traitées et insultées les féministes de la fin du 19ème siècle – et les suivantes – remettant en cause un ordre social.
La femme virile est une femme libre ou considérée comme telle. Tout au moins, désire-t-elle pour elle ou les autres, utilise-t-elle une situation à son avantage, pour gagner en liberté. Derrière elle, une autre revendication me parait bien plus importante : elle n'est qu'un être humain comme un autre.
Sources :
MERDRIGNAC, Bernard. Homo et Virago : deux reflets de la femme dans l'hagiographie bretonne du haut Moyen Âge In : Le genre face aux mutations : Masculin et féminin, du Moyen Âge à nos jours [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2003 (généré le 23 mars 2018). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/15869>. ISBN : 9782753523548. DOI : 10.4000/books.pur.15869.
source
Serge Vaucelle, « Les femmes et les « sports » du gentilhomme de l’époque médiévale à l’époque moderne », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 23 | 2006, mis en ligne le 01 juin 2008, consulté le 03 mai 2018. URL : ici source
Le genre d’Athéna dans les tragédies athéniennes / Athena’s gender in Greek tragedies Audrey Vasselin, In Genre & Histoire, Automne 2017 - Manières d’apprendre (XVIIIe-XXe siècles) : quand le genre s’en mêle.
Moreau Alain. Les Danaïdes de Mélanippidès : la femme virile. In: Pallas, 32/1985. La femme dans l'Antiquité grecque. pp. 59- 90; source
Histoire de Jeanne d'Arc, d'après une chronique inédite du XVe siècle. par Jules Quicherat - Bibliothèque de l'École des chartes Année 1846 7 pp. 143-171 - source
Adrien Dubois, « Femmes dans la guerre (XIVe-XVe siècles) : un rôle caché par les sources ? », Tabularia [En ligne], Les femmes et les actes, mis en ligne le 09 février 2004, consulté le 20 juin 2018. URL : source ; DOI : 10.4000/tabularia.1595
Sophie Cassagnes-Brouquet, « Au service de la guerre juste. Mathilde de Toscane (xie-xiie siècle) », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 39 | 2014, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 01 janvier 2019. URL : (source)
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