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La Maçonne

Esotérisme : la quête de l'authenticité des rituels et des textes ésotériques.

La quête de l'authenticité des rituels maçonniques ou autres textes ésotériques n'est pas nouvelle. Aujourd'hui, elle tient d'une obsession. Certains vont jusqu'à parler de « pureté rituélique » sans comprendre la sottise de l'expression. D'autres s'inquiètent sérieusement des modifications intempestives des rituels, généralement effectuée sous les mandats de quelques dignitaires en quête d'une reconnaissance. 
Il y a celles et ceux, la grande majorité, qui croient, dur comme fer, que leur rituel est le plus authentique, le plus ancien, le plus ceci ou cela ….Le plus incroyable est que des obédiences, dont le GODF autant que la GLDF, s'estime être propriétaire des rituels. 


Hormis la recherche historique qui consiste à construire une sorte d'énorme puzzle sans avoir toutes les pièces,  la plupart des frères et des sœurs, quelques soient leurs degrés, n'ont pas conscience d'un détail   : les premiers textes remontant au 17ème siècle, les rituels n'ont rien d'authentiques. D'ailleurs, ils ne sont pas les seuls. C'est la particularité de tous les textes ésotériques. D'ailleurs les dire « ésotériques », à quelque part, c'est déjà sous entendre qu'ils sont soit du charabia pour névrosés, soit de la fake news pour illuminés. Tout au moins, en étant un peu plus respectueuse de la pensée ésotérique elle-même, elle ne peut prétendre à quoique ce soit à part exister. 

Un ésotérisme de supermarché? 

Jean-Louis Schlegel  (in L'ésotérisme, la quête initiatique et le supermarché, cité en source) remarquait, assez justement, que les textes ésotériques sont disponibles dans les supermarchés, à la portée de tous, coincés entre un livre de recettes de cuisine et un roman de gare. 
L'ésotérisme, devenant « éxotérique », ne nécessiterait plus d'initiations. Après tout, on le sait très bien : n'importe qui peut ouvrir sa petite loge, s'il a assez de copains pour s'amuser avec lui, sans autre préalable que d'acheter un rituel dans le supermarché du coin (ou presque). 

« À partir de là, il faudrait préciser, du point de vue sociologique, comment ce retour ou, plutôt (car il ne s'agit pas d'un retour, mais plutôt d'une apparition au grand jour), comment cette vogue de l'ésotérisme trouve un relais évident dans le souci contemporain de soi, de son destin, de sa santé, comment il rejoint tout le besoin de donner sens à sa vie, d'en relier les divers aspects, de la réenchanter, de combler le vide intérieur, de redécouvrir une intériorité, etc. Simplement, l'ésotérisme qui touche les foules, qui est vulgarisé n'importe où et n'importe comment, a cessé d'être un enseignement secret réservé à des initiés. Il est devenu, si l'on peut dire, une religion, ou plutôt un ensemble de religions supplémentaires sur la place publique. Du coup, il a cessé aussi, chez la plupart, d'être une sagesse. Il est recyclé dans le grand marché de la religiosité contemporaine, il est vendu, comme du Prozac ou de la drogue dans le pire des cas, à des 
individus en quête de mieux-être, d'harmonie, de réalisation de soi, de solutions à leurs problèmes de vie, de mal de vivre. Et il devient un phénomène de société, partie intégrante de toute la quête thérapeutique, « psy » et psychocorporelle, que connaît aujourd'hui notre société.
 » explique-t-il. 

C'est dur. Oui.  Jean-Louis Schlegel présente un ésotérisme qui, s'il n'est pas sur la fin, est en danger imminent de disparaître au profit de pseudo-religions qui utiliseraient des textes ésotériques.

Je ne partage pas cet avis – ainsi que la méthode de sauvetage proposé – justement pour une bonne et simple raison. Cet auteur part de l'hypothèse commune que ces textes sont importants et devraient rester réserver à quelques initiés. Ce qui est bien entendu faux. Ces textes, même les plus anciens, furent en leur temps largement diffusés, y compris à des non-initiés. Ils ne sont pas importants en soi – divulgués ou non – l'ésotérisme ne se situe pas à leur niveau mais au niveau du lecteur. 

J'irais même plus loin : considérer qu'un texte ésotérique est le « secret », puisse avoir quoique ce soit d'authentique, représente une « connaissance » ou soit source d'une « haute spiritualité », c'est n'avoir rien compris à l'ésotérisme. C'est même n'avoir jamais été initié. Ouais, je suis vache, là. 
Un rituel maçonnique et, plus largement, un texte ésotérique n'est pas parole d'évangile. Même que l'on pourrait dire que les évangiles ne le sont pas non plus, s'ils sont lus comme textes ésotériques. Pour ces derniers, c'est un choix. Soit ils sont ésotériques et c'est fichu pour les religions, soit ils sont « parole d'évangile » et c'est fichu pour l'initiation. 


Une religion monothéiste ne peut pas être ésotérique. Elle ne le supporte même pas. Ce n'est pas moi qui le dit, mais des générations de papes, d'évêques, de prêtres, de pasteurs, de rabbins, d’imams …. sur des siècles et des siècles. Les religions monothéistes sont destinées à toutes et à tous sans distinction. Elles ne réclament ni initiation mais seulement une appartenance et une foi religieuse.   Etre « exotérique » n'est pas un mal – tout l'est – que ce soit les sciences, la philosophie, la politique, et même le tricot (pour ceux qui en doutent encore).  
Pour les religions monothéistes, il n'y a rien de caché – tout au plus dieu n'a pas tout expliqué comme on l'aurait aimé et aussi clairement qu'il aurait fallu – Il n'y a donc rien à chercher. 

Ainsi, ce qui est vendu comme « ésotérisme » dans un supermarché ne l'est pas plus qu'un livre sur l'aviation. 


Les hypothèses autour du rituel. 

L'ésotérisme, comme on l'a déjà vu dans mes  différents articles, consiste à tenter d' expliquer l'inexplicable et à chercher une réponse à l'inexpliqué. Le texte ésotérique peut répondre à deux besoins particuliers :  

  • c'est la transmission, c'est-à-dire le fruit des recherches d'un ou plusieurs ésotéristes pour que d'autres continuent cette quête. C'est le cas pour les traités d'alchimie ou de médecine, par exemple. 
  • Ils expliquent la méthode elle-même de recherches, c'est-à-dire celle utilisée par les ésotéristes.  C'est le cas pour les traités de magie, par exemple. 


Jusqu'à présent, j'ai débattu dans divers articles de cette rubrique « Franc-maçonnerie et ésotérisme » essentiellement de la recherche et assez brièvement du travail de transmission. Pour la franc-maçonnerie, j'ai tenté d'expliqué la méthode dans cet article  Franc-maçonnerie : entre savoir et connaissance que vous pourrez relire. 

Si j'évoque l'étude symbolique en tant que telle, je n'évoque pas la place du rituel.  La franc-maçonnerie est spéculative – et elle n'a jamais été opérative –  
Le rituel peut représenter deux choses : 

  • le récit des recherches – c'est-à-dire ce qu'un ou plusieurs ésotéristes anonymes ont trouvé et souhaité transmettre, 
  • la méthode elle-même, c'est-à-dire le circuit, sorte de passage obligé, orientant les grands thèmes de la recherche. 

La troisième hypothèse est qu'il peut être les deux à la fois, c'est-à-dire un récit comme la méthode. 
Une quatrième hypothèse existe : celle de  l'incantation magique. Il serait ainsi, non pas un récit expliquant ce qui a été trouvé, ni encore la méthode, mais un élément de la méthode –  permettant d'entrer dans un espace-temps donné permettant la recherche. Ne dit-on pas que le rituel sert à passer du profane au sacré et qu'il est nécessaire pour se débarrasser de ces soucis et de sa dure journée ? C'est bien (trop?) incantatoire pour que cela soit très sérieux. 

On n'a bien compris que s'il était plus l'un ou l'autre, son importance, son contenu, comme sa lecture sont différents. 
Le récit doit être analysé, préservé et continué – et donc modifié. Si le rituel est une méthode, il doit être analysé, critiqué, vérifié et amélioré – car une méthode n'est jamais parfaite. Elle peut ne plus fonctionner. Si le rituel est incantatoire, on se fout de son contenu, qu'il signifie quelque chose ou non, du moment qu'il apporte le fun pour faire planer et que cela fasse « joli ». 
Dans tous les cas, la question d'authenticité du rituel lui-même est sans intérêt quelque soit son rôle. S'il s'agit d'un texte fondateur, il est censé avoir vécu (pour ne pas dire survécu) et traversé différentes évolutions. 

Je me garderais bien, ici, de vous dire ce qu'il est (ou n'est pas). Tout juste, suis-je capable de vous dire ce que je préfère. 

Cependant, la critique concernant des modifications du rituel n'est pas anodine - quelque soit son rôle - En effet, on se doute que derrière ces remarques, ce n'est pas spécifiquement un besoin d'authenticité qui est exprimé mais un doute concernant les compétences  de ceux ou celles qui manipulent les rituels. 

En effet, force est de constater que, dans bien des obédiences, la ré-écriture des rituels s'arrête au nombril de quelques dignitaires des obédiences concernées. 

 

Le côté sombre de l' ésotérisme 

A mes yeux, le plus grand danger pour la franc-maçonnerie n'est pas qu'elle disparaisse – du fait d'avoir (trop) dévoilé ses « secrets » mais qu'elle prenne, pour son compte, un ésotérisme fascisant. 

Stéphane François, dans un numéro de Critica Masonica, a parfaitement démontré la dangerosité de l'ésotérisme mis entre les mains d'individus peu scrupuleux et manquant, basiquement, ce que nous appelons d'intelligence du cœur et de respect de l'individu. 
Cet ésotérisme d'extrême-droite, fascisant, a été expliqué par Daniel Dubuisson, en 1995, dans son article « L'ésotérisme fascisant de Mircea Eliade ». 
On y trouve assez bien organisé les trois éléments constitutif d'un tel ésotérisme. 

1) la séparation entre sacré et profane – qui se résume pour Mircea Eliade en un seul mot « platonicien » - qui permet de considérer que l'initié appartiendrait à une élite alors que le profane appartiendrait à une masse sombre et inculte. 
Je l'avais largement expliqué dans mon article « Esotérisme : ségrégation entre le sacré et le profane ».

2) Eliade, plus spécifiquement, dans ses analyses en histoire de religion, interdisait à ses lecteurs toute interprétation qui ne serait pas mystique. Daniel Dubuisson explique ainsi que Mircea Eliade présentait tout à bric-à-brac d'ésotérisme, mélangeant allégrement arts martiaux, kabbale ou encore magie. Le fait religieux ne pourrait qu'être compris que religieusement. Les athées, toutes celle et tous ceux qui souhaiteraient une pensée rationnelle de la pensée mystique, ésotérique sont interdits de séjour et d'expression. Cela interdit, finalement, un regard critique et extérieur sur un fatras ésotérique. Or, l'ésotérisme – selon moi – est au contraire ouvert à tout type d'analyse. 

3) Le troisième élément est l'hostilité à la démocratie comme à toutes les valeurs et libertés fondamentales. Je fais assez d'articles sur le sujet, concernant certaines obédiences maçonniques, pour ne pas avoir à développer ce dernier point. 

Ce n'est pas parce que vous voyez des points communs entre le yoga et le martinisme que vous méritez une carte d'adhérent à l'extrême-droite.

Notre pensée – et la mienne aussi, mais je me soigne – est de vouloir faire de l'universalisme à tout crin. Ainsi, dès qu'il nous semble avoir trouvé un élément identique entre une pensée ésotérique et une autre, nous applaudissons des deux mains, empruntant même les mains du voisin, comme le bon petit français que nous sommes. Combien de planches n'avez-vous pas écrit ou entendu établissant des relations supposées entre les mythes grecs, le chamanisme, le tir-bouchon et le dernier i-phone à la mode ? Les auteurs ésotériques qui nous ont entraîné dans cette farce ne manquent pas : Guénon et sa « Tradition Primordiale », Boucher – oui, Jules – qui voyait de la magie à chaque coin de rue,  Oswald Wirth qui a redessiné le « Tarot Marseillais» pour le faire coller à un symbolâtre de cuisine. 

Cela peut partir d'un bon sentiment. Après tout, Jules César n'était pas trop différent de Napoléon. Pour avoir sur  leur conscience respective des milliers de morts, il doit bien y avoir un enfer commun pour qu'on les y retrouve. Or, de ce fatras peut être tiré n'importe quelle théorie des plus fumeuses aux plus dangereuses. 
Ainsi l'exprime Dubuisson «  Ces nébuleuses de thèmes idéologiques articulés autour des idées de nature (sang, peuple, sol. .), d'élite (secrète, spirituelle, héroïque...) et de retour (aux origines de la tradition, de la race, etc.) sont peut-être celles qui ont permis la rencontre et, chez certains, le mélange des spéculations ésotériques et des idéaux fascistes. Les personnalités et, surtout, les œuvres d'Evola et d'Eliade sont à cet égard tout à fait exemplaires. » 

Ainsi, d'imaginer ou d'envisager de défendre une « pureté » dans un rituel, considérer qu'il serait à l'origine d'une Tradition et d'avoir une conception du monde où tout serait uni par un « principe créateur » ou un dieu,  nier aux uns et aux autres du fait de leur croyance, appartenance religieuse ou ethnie, et même du fait de leur sexe, une expression, un regard, - et par là l'initiation ou encore une appartenance à une loge ou obédience - c'est faire de l'ésotérisme une œuvre fasciste. Si en plus, vous estimez que les textes sur lesquelles reposent vos déductions sont authentiques et que vous devez en préserver toute la pureté,  vous êtes bons pour l'asile. 

Tout est faux – en ésotérisme  – plus exactement, rien n'est vrai.  C'est ce qui fait tout son charme. Devrais-je ajouter.  C'est le Zohar, le premier, qui m'a mis la puce à l'oreille. 

Le Zohar.  

Suivant un consensus admis en Franc-maçonnerie, le Zohar, texte à l'origine de la Kabbale, est un texte « ésotérique » majeur. Les spécialistes estimeront que le caractère ésotérique serait plus exactement du mysticisme. Or, ce n'est pas la nature même du texte et encore moins son contenu qui m'interpellent mais son origine. 

L'auteur du Zohar est Moïse de Léon, rabbin espagnol ayant vécu entre 1240 et 1305. Le texte apparaît aux alentours de 1280 vendu par pièce par Moïse de Léon à sa communauté. Il affirmait qu'il avait été rédigé par Shimon bar Yohaï et ses disciples dans le courant du II ème siècle après JC. L'original du texte aurait été retrouvé par hasard au fond d'une grotte et aurait servi à emballer des épices. Précieusement conservé par un ancêtre de Moïse de Léon, - on se demande combien de kilo d'épices il a avalé au vu de la taille du texte – transmis de père en fils (durant plus de 1000 ans!), Moïse de Léon aurait décidé de rompre avec une tradition familiale et ainsi transmettre cet enseignement au monde profane. Bien sûr, cette belle histoire n'a pas convaincu les contemporains de Moïse de Léon. A sa mort, ils ont interrogé son épouse qui avoua la supercherie : Moïse de Léon, ayant besoin d'argent, avait décidé de faire commerce de ses écrits, les faisant passer pour ceux de Shimon Bar Yohaï afin de trouver plus facilement des acquéreurs et des lecteurs. 


La Kabbale – et le Zohar - n'est pas issue de doctrines existantes au début de l'ère chrétienne et qui auraient été transmises oralement – le texte demeure innovant et contemporain des juifs et de la pensée juive du  XIIIème siècle, descendants des survivants des premiers pogroms ayant eu lieu en Europe suite aux Croisades.

Il ne fut pas écrit par un groupe d'érudits réunis au sein d'une école secrète se transmettant une connaissance d'initiés. Moïse de Léon a écrit l'ensemble du corpus seul. 
Moïse de Léon a écrit des textes sous son propre nom. Oui, il n'a pas produit que des faux. Les spécialistes s'entendent à considérer que ces premiers écrits ont servi à préparer les lecteurs au  Zohar.  Il n'existe pas d'origine autre que Moïse de Léon lui-même à ce qui est considéré comme étant la Kabbale.

Tout au juste, peut-on lui concéder que sa supercherie a permis la survie de son texte  – mais on sait que ses contemporains n'ont pas été dupes – On peut aussi soupçonner que l'explication qu'en donne son épouse tient d'une vengeance post-matrimoniale en présentant un Moïse de Léon vénal en sus d'être affabulateur. 
Ainsi, si on cherchait une origine à la Kabbale, une « pureté » ésotérique, une tradition « primordiale » remontant à l'origine de l'humanité ou encore du judaïsme, il n'en existe pas.  

Le Zohar est ce que notre époque moderne appelle une supercherie, une tromperie, … Bref quelque chose qui se règle devant un tribunal et qui est assorti d'une condamnation. Vous me suivez, là ? Non ? Pas encore …. Et pourtant, bien que tout le monde le sait – et cela depuis le début de l'apparition des textes transmis par Moïse de Léon contre une somme sonnante et trébuchante – cela n'en reste pas moins ésotérique. 

Fabuleux, non ? 


Je suis tombée, au fil de mes flâneries, sur un petit livre de 18 pages intitulé « Ordre kabbalistique de la Rose-Croix » rédigé par le Suprême conseil de la Rose-Croix en 1891. Les  auteurs ne sont pas inconnus et s'affichent fièrement dès les premières pages. On y trouve Stanislas de Guaita, Papus et Oswald Wirth, pour les trois plus connus. Ils reprochent à Peladan d'avoir fondé un autre  ordre Rose-Croix, s'appelant le « Tiers Ordre intellectuel de la Rose-Croix catholique» se présentant comme « Archi-mage ». Afin d'éviter toutes confusions avec leur rival, ils décidèrent de publier un manifeste présentant le « vrai » ordre Rose-Croix contre le « faux » ordre de Péladan. 

L'ordre de Stanislas de Guaïta repose sur la re-découverte d'un texte de Johann Valentin Andreae  
« les noces chimiques de Christian Rosenrkeutz » publié en 1616 à Strasbourg. Dans son autobiographie, ce que semble ignoré Papus et de Guaita, Andreae explique que ces « Noces Chimiques » a été écrit entre 1604 et 1605 et serait, à ses yeux, une œuvre mineure, une sorte de plaisanterie. En effet, il n'existe aucune preuve de l'existence d'un tel ordre à l'époque de Johann Valentin Andreae. 

Le mythe d'un ordre Rose-Croix serait, selon Frances Yates, lié au bref passage sur le trône de Bohème de Frédéric V, électeur Palatin du Rhin (jusqu'en 1620) et de Elisabeth, fille de Jacques 1er et à l'influence de John Dee. Descendante des maisons York et Lancaster, Elisabeth fut accueilli par des floraisons de roses peintes. L'arrivée de la maison catholique de Halsbourg au pouvoir suite à la chute de Frédéric V (protestant) balaya dans le même temps toutes les allusions hermétiques. Or, sous Rodolphe II et, en particulier, sous le règne de Frédéric V, qui comptait lui-même de nombreux amis alchimistes, l'étude ésotérique se développa. 
« En tout cas Frances A. Yates émet, pour la première fois semble-t-il, l'hypothèse intéressante — et presque confirmée par ses travaux — selon laquelle les deux manifestes rose-croix et les Noces chymiques seraient inséparables d'un mouvement politico-religieux organisé autour de l'Electeur Palatin et derrière lequel elle décèle l'influence de Christian de Anhalt. Celui-ci, on vient de le rappeler, souhaitait que Frédéric fût roi de Bohême, et de plus ses relations nombreuses en Bohême étaient précisément très sensibles à l'influence de Dee. Frances A. Yates n'hésite pas à écrire qu'elle interprète les manifestes rose-croix comme un résultat de la mission de Dee en Bohême vingt ans après cette mission. On décèle même une propagande anti-jésuite — anti-Habsbourg — dans la réponse de Haselmayer et dans la préface à cette réponse, textes qui font partie de la Fama » nous explique Antoine Faivre (en source).  

Or, non seulement, notre petit groupe d'érudits de la fin du 19ème siècle estime qu'un tel ordre a existé mais tente de prouver qu'il a existé avant Andreae. Pour preuve, sont répertoriés tous les blasons possédant une rose et une croix … Comme il s'agit de deux symboles relativement courants, autant dire qu'ils en trouvent ! Tous le reste de ce document est à l'avenant et se consacre à expliquer le fonctionnement d'un ordre qui n'a jamais existé au 17ème siècle. Ainsi, partir d'un faux, pour fonder un ordre suivant d'anciennes traditions, et accuser, dans le même temps, Péladan d'avoir fondé un faux ordre … c'est comment dire ?  - le summum du ridicule. 

L'hypothèse de Yates relève un autre aspect : une origine et par conséquent une possible interprétation politique, religieuse et sociale à un récit considéré comme ésotérique.  Autrement dit, si c'est politique et sociale, cela ne peut pas être « ésotérique » … Cela ne colle pas – du moins, avec notre conception de l'ésotérisme en franc-maçonnerie qui serait de tricoter des symboles sans trop s'inquiéter de la pauvreté et des méfaits du nucléaire sur l'environnement. 
Sauf que cela l'est. 

L'ésotérisme est ailleurs. 

Les deux exemples que j'ai développé montrent que deux textes considérés comme fondamentaux sont pour l'un une supercherie, pour l'autre couvre des circonstances politiques, quand l'auteur ne dit pas lui-même qu'il s'agit d'une plaisanterie qu'il aurait fait. 
Autrement dit, parler d'authenticité dans un cas comme dans l'autre, d'une origine hautement mystique et donc désintéressée, d'une pureté, c'est un peu se tromper d'histoire et de but. 


En effet, en faisant une recherche sur tous vos textes préférés – et je sais qu'il y en a – je suis certaine que l'on trouvera la trace d'une supercherie, un auteur spolié … une origine insoupçonnée ou des objectifs plus triviaux qu'une prétendue quête spirituelle. 
Toutefois, malgré cela, cela n'en retire rien au caractère ésotérique des textes en question. Pour revenir au Zohar, on peut même se dire que Moïse de Léon était un surdoué du genre encore aujourd'hui inégalé. 
C'est donc ailleurs que cela se passe. 

L'authenticité est à chercher dans ce que vous en faites et non pas dans l'outil que vous utilisez. Un texte n'est ni plus, ni moins qu'un support – un début – mais en rien il ne doit être une finalité dans laquelle vous ne réussirez qu'à vous enfermer. 

Ce qui reste d'un texte et peut-être d'un rituel, c'est la poésie. Une autre manière de grandir et de construire au delà du simple mot ou du silence. Une invitation à dépasser les apparences. Pour cela, peut-être encore, faut-il quitter les rayons des supermarchés. 

 


 


 

 Sources 

Faivre Antoine. Rosicruciana (Premier article). In: Revue de l'histoire des religions, tome 190, n°1, 1976. pp. 73-88; doi : https://doi.org/10.3406/rhr.1976.6256 (source)

Vajda Georges. Les origines et le développement de la Kabbale juive, d'après quelques travaux récents. In: Revue de l'histoire des religions, tome 134, n°1-3, 1947. pp. 120-167;
doi : https://doi.org/10.3406/rhr.1947.5604 - source

Dubuisson Daniel. L'ésotérisme fascisant de Mircea Eliade. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 106-107, mars 1995. Histoire sociale des sciences sociales. pp. 42-51. DOI  https://doi.org/10.3406/arss.1995.3134 - source

Greiner Frank. Écriture et ésotérisme dans un traité alchimique de la fin de la Renaissance : Le De Alchemiae difficultatibus de Theobald de Hoghelande. In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance, n°38, 1994. pp. 45-71. 
DOI : https://doi.org/10.3406/rhren.1994.1962 - source

Schlegel Jean-Louis. L'ésotérisme, la quête initiatique et le supermarché.... In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°74, 2002. pp. 92-97;
doi : https://doi.org/10.3406/chris.2002.2378 - source


 


 

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J
Bravo ''chouette'' texte (l’effraye).<br /> Pour me le résumer et y porter un cohérence au but recherché par les charlatans séducteurs dont l'histoire est remplie quelque soit le pays, l’ethnie. C'est une constante, la domination des masses afin qu'elles travaillent dans un esclavage volontaire . qq uns tirés de la masse seront éduqués pour la protection du système, d'autres pour la gestion du petit personnel. . le fonctionnement est pyramidal, comme dans une chaine de Ponzi. ou le nombre crée la foi , La difficulté étant de rendre la chaine pérenne pour celle qui se doit demeurer invisible.<br /> Le secret des séducteurs étant de créer une adhésion par la ruse en pénétrant furtivement les défenses personnelles , c'est le rôle des prosélytes ou médias ou gourous qui eux même ne doivent connaître leur rôle véritable . La seconde partie est de radicaliser par une doctrine , une tradition ancestrale , de vieux grimoires, , des légendes, des calendriers, commémorations, libations pour le fun. Le dessein de ces simagrées où l'on se tient chaud, est de réécrire le limbique, en prendre le contrôle en supprimant les programmes régulant reptilien et néocortex pour en implanter de nouveaux,<br /> Au départ de la structuration de la personnalité, le limbique vers sept ans s'éduque par les bonnes légendes, le culte des ancêtres, des approches religieuses basique , le bien et le mal, c'est suffisant pour que les les connexions régulatrices du sens commun soient activées .<br /> Les anciens considéraient l'âme en trois parties l'anatomie elle classe le cerveau en reptilien, limbique ,néo cortex, une autre représentation est le cheval , les rênes, le cavalier.<br /> Le résultat de ces bricolages alchimique de réécriture du limbique, la création de zombies autant de gauche comme de droite pouvant être utilisés à loisir pour qu'ils se combattent ou bien qu'ils s'allient contre un ennemi supposé, ou encore simplement consommer., s'endetter,, se comporter irrationnellement contre les intérêts vitaux .<br /> Rien de nouveau sous le soleil David Linch lui même expliquait à ses collègues un protocole pour éviter toute émancipation de ses esclaves pour plusieurs générations, bien sur c'était moins soft.
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C
Ce texte est remarquable et il invite à aller plus loin...Quant aux charlatans de la pureté symbolique et initiatique ils sont toujours présents...hélas...
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U
Bonjour, <br /> Quelle planche magnifique et enrichissante, merci ma Soeur Anne. Tes illustrations sont toujours très opportunes, merci pour cela aussi<br /> Bien Frat
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S
Brillant, lumineux, éclairant, rayonnant
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L
Merci !