23 Mai 2019
Les médias – et en particulier les journalistes – n'ont jamais été autant attaqués et menacés par le pouvoir public dans l'histoire de la Vème République qu'actuellement.
Déjà, dans la cadre de l'affaire Benalla, Macron accusait les médias de fake news. Quelques rebondissements plus tard, il devra remanier son cabinet et voir son proche collaborateur mis en examen. Le Sénat a ajouté une pierre à l'édifice.
Avec les Gilets Jaunes, cela va plus loin. Après plusieurs mois de contestation sociale, Emmanuel Macron donne le ton anti-média. Il les accuse d'avoir donné la parole à « Jojo en gilet jaune » avec la même égalité de traitement qu'un élu ou encore un ministre.
Il est évident qu'à partir de là, l'égalité des citoyens face à l'information ou leur droit à l'information est remis en cause. La parole – le témoignage d'un citoyen lambda – doit être, dans l'esprit de Emmanuel Macron, infériorisé à la parole d'un ministre.
Toute la théorie repose sur un principe : si les médias n'en parlaient pas, les « gilets jaunes » n'existeraient pas.
Cela est développé assez largement par la Team Progressiste – celle qui s'appelait « Team Macron » et qui avait diffusé une vidéo surveillance, en toute illégalité, pour faire des manifestants tabassés par Benalla des dangereux criminels.
Ce média officieux de l'Elysée, tenu par des anonymes, est tout naturellement partagé par BFM TV dans un article concernant l'arrestation de deux journalistes indépendants. (source)
L'article se trouve sur le site Médium.com, site de partages d'articles censés remplacés le blog (comme le mien).
Ils souhaitent tout simplement interdire les chaînes de télévision, y compris les chaînes d'information, de diffuser toutes informations concernant les manifestations « Gilets Jaunes » soit en appelant à un boycott ou à signaler les images à la CSA. BFM TV est d'ailleurs concerné par la mesure bien qu'il soit largement félicité pour ses bons et loyaux services ! Si c'est eux qui le disent, ne boudons pas notre plaisir.
Ne pouvant pas interdire les manifestations, il s'agit d'interdire d'en parler et de contrôler les médias. Tous les médias.
L'ambiguïté des macronistes à l'égard des médias n'est pas nouvelle. Déjà en 2017, elle était évidente. Très certainement qu'ils manquent, en général, de la culture nécessaire.
En 2017, deux rapports avaient fuité dans la presse : le projet de réforme du code du travail, comme celui de l'audiovisuel public. Dans les deux cas, les ministres Muriel Pénicaud et Françoise Nyssen avaient menacés de porter plaintes contre les journalistes. Quant à Emmanuel Macron, il fustigeait déjà les journalistes français … les traitant de « narcissiques ».
De la part de celui qui, selon "Gala" en décembre 2018 (oui, on a les soutiens que l'on peut) qui ne "sort plus sans se maquiller" et fut capable de dépenser plus de 26 000 € en maquillage en trois mois, c'est l'hôpital qui se fiche de l'infirmerie.
Il n'y avait qu'un pas pour que ce soit l'Elysée dicte ses articles. Il vient d'être franchi. Considéré comme incompétents pour rendre compte de la parole de Macron, les journalistes des quotidiens régionaux étaient tenus de rédiger leurs articles sur place et de les faire validés par l'Elysée.
Deux quotidiens (la Voix du Nord et le Télégramme) ont refusé de se plier à de telles exigences. Quant aux autres, ils ont bien rendus compte … et au regard des « unes » jumelles, le contrôle élyséen ne passe pas vraiment inaperçu.
Les journaux régionaux n'ont nullement hésité à reproduire l'exacte censure de l'Elysée sans protester une seconde alors que la contrainte était réelle et sans nuance.
« Une interview d’une heure trente, encadrée de façon inédite puisque les participants devaient s’engager à coécrire sur place une version unique des réponses présidentielles, puis à la soumettre à la relecture de l’Élysée avant toute publication du texte validé. » explique un journaliste.
« Selon Le Monde, Emmanuel Macron a ainsi « négocié cet entretien consacré à l’Europe avec le Syndicat de la presse quotidienne régionale », regroupant les principaux groupes de presse entre les mains desquels se concentre l’immense majorité des titres régionaux [3]. Un syndicat présidé depuis 2018 par Jean-Michel Baylet, qui apporta son soutien à Emmanuel Macron lors de la dernière présidentielle et qui demeure PDG du groupe La Dépêche dirigé… en famille. » Explique Acrimed reprenant une analyse du journal « Le Monde ».
Si c'est cela être progressiste, on se demande à quoi sert l'extrême-droite !
Ce 1er mai, c'est une tribune signé par 300 journalistes publiés initialement sur FranceInfo qui corroborent l'intention de vouloir empêcher la diffusion d'une information sur les Gilets Jaunes. Ils dénoncent la volonté du gouvernement de les empêcher de travailler. En effet, lors des manifestations, les journalistes craignent plus des forces de l'ordre que des manifestants eux-mêmes.
Ils ne risquent pas que les balles perdues (je ne fais aucun jeu de mot, là) mais se disent directement attaqués par les policiers.
« Par violence, nous entendons : mépris, tutoiement quasi systématique, intimidations, menaces, insultes. Mais également : tentatives de destruction ou de saisie du matériel, effacement des cartes mémoires, coups de matraque, gazages volontaires et ciblés, tirs tendus de lacrymogènes, tirs de LBD, jets de grenades de désencerclement, etc. En amont des manifestations, il arrive même que l’on nous confisque notre matériel de protection (masque, casque, lunettes) en dépit du fait que nous déclinions notre identité professionnelle.
Plus récemment, un cap répressif a été franchi. Plusieurs confrères ont été interpellés et placés en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations », alors même que nous nous déclarons comme journalistes. Par ces faits, la police et la justice ne nous laissent ainsi que deux options :
David Dufresne relève 85 cas de violences policières, attentant à la liberté de la presse et de l'information, comme à la sécurité des journalistes au cœur des manifestations.
Garspard Ganz de Taranis News a été arrêté suite à un doigt d'honneur (on a une police bien susceptible) alors qu'il avait été insulté et agressé par des policiers.
Le même jour fut arrêté et embarqué le photographe Alexis Karland
Il fut l'un des photographes qui ont montré des images dans le dossier Benalla. Il fut arrêté en octobre 2018 pour avoir couvert la manifestation du 1er mai 2018, son téléphone portable mis sous scellé comme l'explique un communiqué sur Médiapart. Certaines de ses photographies sont publiés par « The Gardian » ici.
Trois journalistes du site Disclose sont convoqués suite à la diffusion d'une note de 15 pages concernant la vente et l'usage des armes françaises depuis 2015 au Yemen.
Alors que le gouvernement mentait – depuis plusieurs mois - niant des ventes d'armes à l'Arabie Saoudite, Disclose démontre, qu'au contraire, la France est en première ligne et qu'elle vends des armes. Disclose a remonté la piste d'une livraison secrète d'armes (lire ici) dans le cadre d'un nouveau contrat signé en décembre 2018.
Ces trois journalistes, dont on peut féliciter le travail d'investigation, sont ainsi menacés par la DGSI dans le cadre d'une enquête sur la diffusion de documents classés « secret défense ».
Dans le cadre de cette « enquête » de la DGSI, une journaliste de Quotidien (émission de télévision de TMC), Valentine Oberti fut, à son tour, convoquée pour être entendue sur ses « sources ».
Une journaliste du journal « Le Monde », Ariane Chemin, est, quant à elle, convoquée par la même DGSI au sujet de ses révélations concernant l'affaire Benalla et ses contrats russes. Elle est sous le coup d'une plainte pour "révélation de l'identité d'un membre des unités des forces spéciales", suite à une plainte déposée mi-avril par Chokri Wakrim, compagnon de l'ex-cheffe de la sécurité de Matignon, Marie-Élodie Poitout. Ariane Chemin est à l'origine de l'affaire Benalla.
Cela ne peut que rappeller la tentative de perquisition de Médiapart, ordonnée par le procureur de Paris, pour obtenir – là aussi – des sources concernant un enregistrement de Benalla et Craze commentant allègrement leurs affaires.
Le secret des sources est la base de la liberté de la presse. Il est garantit par l'article 10 de la Convention Européenne des droits de l'Homme. Préserver le secret de ses sources, appelés aussi « secret professionnel » appartient aussi à la déontologie des journalistes depuis 1918.
Il s'agit autant d'un droit que d'un devoir. La dernière version du code déontologique du journalisme date de 2011. Il renforce le lien entre le journaliste et ses sources. Il maintient l'expression de 1918 « garder le secret professionnel » « et protège les sources de ses informations ».
Ainsi, menacer des journalistes ou même un média pour récupérer l'identité des sources, en vu de les poursuivre, est une atteinte aux principes fondamentaux de la liberté de la presse, au mépris de illeurs la Convention Européenne des droits humains, mais aussi une atteinte à la déontologie des journalistes concernés.
Cependant, si on se doute que les journalistes concernés refuseront de donner leurs sources et ont pris le temps de détruire toutes les données à ce sujet, ces convocations ont un autre objectif : menacer des journalistes, les intimider afin qu'ils soient empêché de traiter un certain nombre de sujets inquiétant le gouvernement et Emmanuel Macron.
Cela rappelle le traitement des journalistes et des journaux lors du Watergate qui fut inquiétés et censurés par le gouvernement Nixon.
Finalement, Macron réinvente un très ancien monde, celui que l'on croyait perdu depuis des lustres.
Le journalisme n’est pas une profession réglementée. La CCIJP accorde la carte de presse, pour une première demande, aux personnes qui exercent la profession depuis trois mois consécutifs au moins et tirent de cette activité plus de 50% de leurs ressources. Le métier de journaliste peut être mené à « titre bénévole », être une activité secondaire, de loisir et n'oblige à aucun diplôme.
La répression à l'égard des médias et des journalistes va ainsi plus loin – et n'est d'ailleurs pas nouvelle. C'est la police qui décide de qui est journaliste ou pas, de ce qui est un média ou pas. Compétences que ni la police, ni le préfet n'a – et pas plus la justice – qui n'a que la capacité à juger un contenu en fonction d'un cadre précis et non pas de décider s'il faut ou non soutenir Macron.
Comme l'expliquait déjà Acrimed dans différents articles, dès 2009, les journalistes qui ne sont pas encartés dans un média traditionnel sont considérés comme indésirables par les pouvoirs publics. C'est un moyen – un moyen dont vous jugerez l'éthique vous-mêmes – de supprimer une concurrence pour favoriser les médias traditionnels bien plus dociles et manipulables qu'un journaliste indépendant.
Gaspard Ganz fut interdit, par un juge, de couvrir les manifestations à Paris. Ce qui est inconcevable dans un pays de droit. Cette interdiction fut levée par la suite, faute de motifs suffisants et très certainement face aux protestations de différents médias.
Le débat actuel concernant les « vrais » journalistes, possesseur d'une carte de presse et les autres est aussi idiot que de considérer Géplu du site Hiram.Be ou Jiri Pragman comme des journalistes en les opposant aux autres blogueurs maçonniques. Il n'y a que Géplu et Jiri Pragman qui se considèrent comme « journalistes » ... une prétention assez absurde alors qu'ils sont tout juste en mesure de publier les carnets roses des obédiences.
Gaspard Glanz propose un autre modèle de journalisme : l'image brute qu'elle soit la photographie ou la vidéo au cœur même des manifestations. Une image brute et brutale d'une réalité sociale – sans la commenter – laissant celles et ceux qui les visionnent construire sa propre réflexion. Ayant créé lui-même sa propre marque Taranis News, il diffuse gratuitement l'essentiel de ses films. Je vous invite à visionner ce film par exemple (cliquez ici) ou encore celui-là datant du 25 novembre
Alors qu'il n'est qu'auteur d'images et de vidéos, il est fiché « S », considéré comme attentant à la sûreté publique.
Il avait été arrêté lors de la manifestation sur la Loi Travail, avait suivi Nuit Debout, en 2016 – surtout il avait fourni des éléments compromettants concernant Benalla. Il est l'auteur des photographies de Benalla tenant un talkie walkie « ACROPOL » de la police et se pavanant avec un brassard « police ».
Il avait largement couvert les manifestations de « Notre Dame des Landes » mais aussi fait des reportages sur Calais comme sur cette vidéo (cliquez ici) ou par exemple cette vidéo ici.
Ce lourd curriculum vitae a certainement autorisé le ministre de l'intérieur de l'époque (qui devait être Valls) à le considérer comme un dangereux terroriste et à permettre le maintient de ce fichage par l'actuel (Castaner).
Son fichage S semble disproportionné pour un pays qui n'a même pas été fichu de gérer des « fichés S » qui ont été bien plus meurtriers et bien plus dangereux ces dernières années. On ne trouve, en effet, aucune accusation laissant supposer que son activisme dépasse le média.
Il est un journaliste indépendant – c'est-à-dire n'appartenant à aucun média traditionnel – qui comme, on devrait l'avoir compris, appartiennent à des multinationales et des actionnaires.
Le journalisme n'est pas que faire que de « l'information » - d'ailleurs aucun média ne le fait – Quand BFM TV chante des louanges à l'intention de Macron, il s'agit d'une opinion autant que des médias qui le critiquent. La différence est que BFM TV ne fait qu'un journalisme légitimiste sans ouverture critique.
Un « bon » journalisme ne se mesure pas à sa capacité à cirer les chaussures d'un président de la République.
Disclose, média lui-aussi indépendant, financé uniquement par des dons, association non lucrative , est composé de journalistes dit de « terrain », des professionnels au C.V impressionnants qui ont travaillés ou travaillent encore dans des médias traditionnels.
Leurs articles sont en accès libre et donc gratuits. Disclose est spécialisé dans le journalisme d'investigation ouvert à toutes et à tous.
En dehors du modèle économique choisi, Disclose n'est pas un « nouveau » média mais réveille un type de média, utilisant des moyens techniques disponibles dont internet, ayant existé dans le passé. 17 ONG dénoncent les menaces pesant sur les journalistes convoqués par la DGSI.
Si les enquêteurs de la DGSI avait fait son boulot (le vrai), ils n'auraient pas manqué de savoir que Disclose s'est procuré une application permettant à ses sources de communiquer en préservant son anonymat, même des journalistes eux-mêmes.
Quant au fond de l'affaire des armes vendues, les informations dont disposent Disclose montrent toute la stratégie de la France contre le Yemen : "Notre enquête dévoile une véritable stratégie de la famine au Yémen. Une guerre de la faim conduite par les Saoudiens et les Emiratis grâce aux avions, aux systèmes de guidage des bombes et aux navires « made in France ». Ainsi qu’au soutien diplomatique sans faille du gouvernement français depuis le début du conflit." explique-t-il. La France et, en particulier, le gouvernement Edouard Philippe et Emmanuel Macron porteront la responsabilité d'un véritable carnage au Yémen.
Ces deux modèles de médias remplissent, finalement, le vide laissé par les médias traditionnels.
Si Castaner a menti concernant la prétendue attaque de l'hôpital de Salpêtrière au même titre qu'il a menti concernant Geneviève Legay, les médias portent aussi leur part de leur responsabilité.
En effet, ils ont tourné en boucle sur cette « information » - sans aucune prise de recul et sans avoir tenté de mener une enquête sur le terrain. Le soir du 1er mai, dès 22 heures, David Dufresne, journaliste indépendant, spécialiste des violences policières, soulignait l'existence d'une 20aine de témoignages de soignants qui remettaient en cause les propos de Castaner. Le lendemain matin, Libération et Le Monde diffusaient la vidéo niant toute tentative d'attaque.
La manipulation a été colossale : BFM TV qui tournait en boucle, France Inter qui recevait Martin Hirsch racontant sa petite histoire, Europe 1 qui recevait la directrice de l'hôpital Lasalpêtrière insinuant que cette attaque a été provoquée par la présence d'un CRS aux urgences, CNEWS (Marie Aubazac) n'hésite pas à faire la même allusion, RTL coupant la parole à un médecin qui expliquait tout le contraire s'insurge « Non mais franchement, c’est devenu un refuge un hôpital aujourd’hui ? » - ben oui, le journalisme officiel est tombé très bas -
Cette manipulation n'est pas qu'un choix du gouvernement mais autant des journalistes, censés apportés une information fiable. Tous les soignants qui témoignaient du contraire étaient rejetés par certains journalistes comme RTL ou BFM TV de manière plutôt caricaturale laissant pour la postérité un témoignage sur l'incompétence des journalistes au 21ème siècle.
Autre exemple, cette presse régionale, bien servile, qui a accepté que l'Elysée contrôle leurs articles avant publication. Comment peut-on accepter un tel contrôle alors que ces mêmes médias, ces mêmes journalistes, vantent leur "indépendance" ?
Ces journalistes, qui savent se plaindre que les citoyens dont les gilets jaunes se méfient d'eux, bafouent eux-mêmes un droit essentiel : celui d'informer les citoyens. N'oublions pas que la liberté de la presse n'est pas uniquement être libre de publier ses opinions et une information mais surtout – et essentiellement – le droit pour chaque citoyen à être informé.
Le constat ne peut qu'être amer. La liberté de la presse est de plus en plus menacée et, en France, risque de devenir une denrée rare … mais gratuite et disponible en ligne. Si c'est cela le progrès …