16 Août 2019
S'il y a quelque chose dont je suis intimement convaincue est que la manière dont on conçoit au sein des loges et des obédiences, la démarche maçonnique et l'ésotérisme est liée à l'histoire de l'obédience concernée – voir de la franc-maçonnerie en général. Il s'agit autant d'un contexte historique, une relation avec le présent qu'un contexte politique, un désir d'évolution voir de transformation de la franc-maçonnerie.
C'est au point que dès lors que l'on prononce le mot « ésotérique » en public – cela réveille quelques passions – les grands ignorants de la chose le confondant avec des auteurs "maisons". Après tout, pour plusieurs générations de francs-maçons et de maçonnes, ils furent les seules références connues. C'est déjà mettre le doigt sur un premier contexte historique.
Je suppose aussi que, parce qu'ils sont foncièrement dépassés, ils sont aussi à l'origine de la frontière bien connue entre les amateurs d'ésotérisme et ceux qui font des sujets sociétaux : les premiers interdisant tout autre sujet, les seconds n'interdisant rien.
C'est un second contexte historique qu'il serait intéressant d'étudier.
En effet, si interdire les sujets politiques et religieux en franc-maçonnerie à une époque où en traiter était puni de la peine de mort avaient un sens, il n'y en a plus aujourd'hui.
Afin de mettre la relation entre ésotérisme et société, dans un contexte historique, je ne peux que me référer aux Charbonniers, appelés aussi Carbonari, qui entrent et sortent de l'Histoire presque invisibles mais qui n'en furent pas moins condamnés régulièrement.
Encore selon moi, l'événement qui a conduit à remettre en cause le fonctionnement élitiste de la franc-maçonnerie est la Révolution de 1848. Certes, ils furent déçus et les plus ardents républicains furent surveillés.
Cependant, les frères se sont mis à espérer à un pouvoir démocratique. Cela a permis de libérer la parole des frères, de mettre au cœur des loges les discussions politiques et de remettre en cause l'organisation interne à la franc-maçonnerie, dont le fameux Suprême Conseil, pour conduire quelques années plus tard à une scission et la fondation de la célèbre Grande Loge Symbolique Ecossaise.
Les Charbonniers, les « bons cousins », fut très certainement la société la plus secrète des sociétés secrètes. De même, on voudrait opposer une société initiatique authentique (la franc-maçonnerie) à une société politique dont le discours initiatique n'est que prétexte (les charbonniers).
Les premiers « Charbonniers » serait franc-comtois et apparaîtraient aux alentours du XVIIIème siècle. Il existe, en réalité, deux rites l'un appelé « Rite du Chevalier du Beauchesne » apparaissant en 1747 et l'autre dit « l'Ordre de la Fenderie », dit « du Grand Alexandre de la Confiance » apparaissant entre 1760 et 1770. S'il n'existe pas de liens directes entre ces premiers rites forestiers, « maçonnerie » du bois et la Carbonari, là encore, ce n'est pas si étanche que cela. Des similitudes ritueliques se retrouvent.
Les Charbonniers français et, par la suite, italiens se placèrent sous la protection de St-Thibaut comme la franc-maçonnerie se place sous l'office de St-Jean. Alors que les fendeurs se placent sous le patronage de Saint-Nicolas et Saint-Joseph. Ces derniers se développent dans le courant du 18ème siècle dans le quart Nord-Est de la France.
Pour ceux qui ne comprennent pas la différence entre Charbonniers et Fendeurs, les premiers fabriquaient du charbon de bois et les seconds coupent le bois.
On a trouvé un diplôme Charbonnier de 1790 émanant de la Très Respectable Vente de la Parfaite Union de l'Ourdon de Luxeuil. Une autre Vente est déclarée en juillet 1791 à Lons-le-Saunier et sera interdite en 1793 par les pouvoirs politiques et policiers.
« La Charbonnerie comtoise pré-impériale semble en fait se caractériser par un caractère résolument apolitique, du moins si l’on en juge par une lettre, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir, adressée à Murat le 15 juin 1814, par le général Rossetti, initié à Gray en 1802 (Soriga, 78-79). Une fois passé l’orage de la Terreur, elle continua de recruter, notamment parmi les officiers de passage : on a conservé le diplôme d'affiliation du beau-frère de P.-J. Briot, l'officier Louis-Xavier Morel en 1811 (Dayet 1929). Et une lettre de Lucien Bonaparte datée du 8 janvier 1815, introduisant auprès de P.-J. Briot, devenu conseiller du roi de Naples, un certain Julien, est réputée couverte de signes de reconnaissance de la charbonnerie, bien mis en évidence (Mastroberti). On y trouve déjà les grands éléments de la symbolique charbonnière, et les mots charbonniers : ses couleurs sont au plus tard en 1790 le noir (la Foi du charbonnier), le bleu (Espérance) et le rouge (Charité). Le mot d’apprenti est F(oi), E(spérance), C(harité) ; celui de maître H(onneur), V(ertu), P(robité) ; le mot de passe est R(acine) F(ougère) O(rtie). La référence christique y est en revanche discrète, notamment dans l’iconographie. Il ne semble pas enfin que la Charbonnerie ait alors possédé ni organe central, ni hauts grades – ce qui est somme toute assez logique, si l’on sait que les hauts grades charbonniers ultérieurs semblent essentiellement administratifs – . Si les charbonniers se reconnaissent à l’évidence entre eux, et possèdent à cet effet un certain nombre de signes et de mots, autant que l’on puisse en juger, rituels et pratiques paraissent avoir toléré, d’une vente ou d’un ourdon à l’autre, une assez large marge de variation, pouvant aller jusqu’à l’introduction d’un grade de compagnon entre les 2 grades, d’apprenti et de maître, constitutifs de la Charbonnerie. » explique Pascal Arnaud dans son étude mis en source.
En Italie, la Charbonnerie apparaît en 1806. L'origine française est a priori certaine même si, là encore, les rituels français et italiens ont été partagés et modifiés sous l'influence des uns et des autres. Le terme « Vente » qui signifie en français, la vente d'une coupe de bois et qui devient le lieu de réunion a été tranformé en « vendita » et le mot Ourdon a donné le néologisme italien de Ordone, Carbonaro n'est pas non plus la traduction de « Charbonnier » qui est Carbonaio, mais une translittération de ce même mot.
Au début du 19ème siècles, les Charbonniers français initiaient des militaires de passage.
Le fondateur de la Chabonnerie italienne serait Pierre-Joseph Briot. Si ce n'est pas si simple, il apparaît néanmoins qu'il a semé des Ventes de Charbonniers sur son passage. Il démissionna de ses charges du Conseil d'Etat en 1813 dès lorsque Joachim Murat s'en prit à la Charbonnerie.
Joachim Murat, (1767 - 1815), maréchal, fut nommé Roi de Naples par son beau-frère Napoléon en 1808. Son second fils Lucien Murat fut désigné comme Grand Maître du GODF en 1851 par Napoléon - mais Napoléon III.
A Naples, on retrouve cependant Lucien Bonaparte, membre effectif de la Charbonnerie. Comme il pouvait s'être associé à divers membres de la franc-maçonnerie locale pour fonder un mouvement parallèle comme Joseph Bonaparte, Roi de Naples et Grand Maître du GODF (avant Joachim Murat), Christophe Salicéti, ministre de la police du Royaume de Naples, André Miot, Ministre de l'Intérieur, … Il est, donc, effectivement que cette création locale, parfaitement acceptée par le roi nommé et ses différents ministres, avait pour origine de créer une « franc-maçonnerie » spécifique et accessible aux napolitains.
« En un mot, à la veille de la répression, la Charbonnerie napolitaine reste fondamentalement une société initiatique spéculative, même si sa sociologie tend à en faire une force d’opposition à la fois républicaine et nationaliste. Elle partage une évolution commune avec la Charbonnerie comtoise, qui illustre certainement des liens actifs, et tend à se structurer sur un mode obédientiel, de plus en plus unifié et formalisé, qui se traduit par la rédaction de constitutions et d’instructions. »
Fille du pouvoir et même émanant de celui-ci, il est difficile d'imaginer que la Charbonnerie italienne devint du jour au lendemain le lieu de toutes les conspirations. Cette répression brutale, conduisit les membres de La Charbonnerie à se radicaliser et devenir une force d'opposition. Ils devinrent clandestins.
On situe généralement un retour en France de la Charbonnerie dans les années 1818, soit quelques années après le début de la répression italienne. Là encore, il faut mesurer le fait. On ne peut pas parler d'un retour de ce qui existait très certainement encore sous une forme plus bonne enfant. Le fameux « retour » fut d'ailleurs en Franche-Comté – avec la fondation d'une loge « les Amis de la Vérité » par Flotard, Buchez, Bazard et Joubert, loge qui fut à l'origine de la conspiration de 1820! La Charbonnerie française sembla s'être radicalisée à son tour.
La Charbonnerie française recrutait que des militaires – et évidement se substituait à la franc-maçonnerie officielle, c'est-à-dire le GODF et le Suprême Conseil, qui était dirigé par des hommes mis en place soit par Napoléon 1er, par la suite par Louis XVIII, Louis-Philippe et enfin Napoléon III. Elle devint légitimement un foyer de réflexion républicain.
De 1816 à 1820, le régime politique s'ouvrait à une forme, certes légère, de libéralisme. La question de succession (royale) se pose – Louis XVIII n'ayant aucun enfant, c'est le Duc de Berry qui devient l'héritier présomptif des Bourbons. Assassiné par un ouvrier, les ultra-monarchistes n'ont de cesse de condamner les quatre années libérales.
Les rangs ultra-royalistes se resserrent et imposèrent des lois répressives. Ainsi, si la Révolution de 1789 et la Première République n'étaient pas nécessairement les références partagées par tous les libéraux qui, au demeurant pouvaient être bonapartistes, le besoin de se réapproprier la dimension, au moins symbolique, d'une idéologie républicaine devenait une réaction à une politique monarchiste répressive mené par les ultra-royalistes.
Est-ce que tout s'est passé dans les Ventes des Charbonniers français ?
Ce serait trop leur donner. Toutefois, la forme de leur organisation, leur clandestinité parfaitement assumée et même qui furent leur marque de fabrique, a très certainement permis d'être un foyer de réflexion avant d'être un foyer d'action et d'activistes.
Ainsi, on trouve parmi les hommes de la Révolution de 1830 puis celle de 1848 des Carbonari ou des proches des Carbonari qu'ils soient français ou italiens.
La période insurrectionnelle des Carbonari de 1821-1822 a été un cuisant échec, autant en France qu'en Italie.
La Charbonnerie est dirigée par trois parlementaires : le babouviste Voyer d’Argenson, le modéré La Fayette, fils du Général, marié à la fille de Destutt de Tracy, et Manuel, orateur fameux, proche du banquier Laffitte.
Très rapidement, en 1789, Marc-René Voyer d'Argenson, lieutenant de dragons, rejoignit les rangs de La Fayette (père) « héros des deux mondes », devenant sont aide de camp. Napoléon 1er le nomma préfet, espérant s'attacher à un homme de l'ancien régime. Il n'en fut, bien entendu, rien. Il démissionna en 1813 – et peut on dire alors que la répression contre les Carbonari débutait en Italie. Siégeant à la Chambre introuvable, il se prononça contre la terreur blanche, pour la liberté de la prsse, des cultes et économiques.
En 1823, Voyer d’Argenson fut du petit nombre des députés qui s’opposèrent à l’expulsion de Manuel. Battu en 1824, Voyer d’Argenson fut réélu en 1828 et démissionna en 1829. Il appartenait dès lors aux milieux politiques pour qui les Bourbons devaient disparaître, en entraînant avec eux les institutions vermoulues.
Il applaudit à la révolution de 1830. Et le 6 août, avant l’installation du roi des Français Louis-Philippe sur le fauteuil du roi de France Charles X, il précisait pour « un rédacteur de journal » dans une brochure datée des Forges d’Oberbrück, ce que devaient être les temps nouveaux. Il recueillit Philippe Buonarroti à la fin de sa vie.
George Washington de La Fayette – fils du héros des deux mondes – a une personnalité tout aussi complexe que son ami de longues dates. Né à Paris en 1779 et mort en 1849, militaire, républicain dans l'âme, il était un opposant politique à Louis-Philippe 1er. Il fut aussi membre de la société Aide-toi, le ciel t'aidera, association destinée à l'éducation politique des citoyens. La première action fut d'ailleurs d'organiser les funérailles du troisième dirigeant des Charbonniers français : Jacques-Antoine Manuel, avocat. Son expulsion de l'Assemblée sera racontée par Victor Hugo.
Les trois députés ont besoin pour se lancer dans la conspiration d’être convaincus par les jeunes carbonaristes des Amis de la vérité de l’impasse que représente la voie électorale. La loi du double vote (donnant la possibilité au plus riche de voter) ne donnant guère d'espoir à l'amorce d'une situation démocratique.
Un premier essai d'insurrection eut lieu à Belfort en 1821. Cette tentative échoua, par suite de la lenteur et de l'indécision de Lafayette. La conspiration des Quatre sergents de La Rochelle eut un dénouement tragique. Le général Berton ne fut pas plus heureux à Saumur. Enfin, un projet de délivrance des prévenus de Belfort qu'on allait juger à Colmar avorta également.
La tradition révolutionnaire française, loin d’avoir été toute entière marquée par l’illégalisme était constituée en grande partie d’un courant à la fois révolutionnaire et agissant dans le cadre des lois.
La Charbonnerie n’est pas exclusivement républicaine. S'inspirant de Baboeuf, considéré comme le premier communiste au sens contemporain du terme, révolutionnaire guillotiné en 1797, la Charbonnerie demeure une organisation hiérarchique et militarisée. D'ailleurs, Philippe Buonarroti, babouviste de la première heure, condamné à la déportation, d'origine italienne, exilé, sera lui aussi à l'origine de Briot de la fondation des carbonari italiens et des insurrections italiennes.
En France, les différents rapports officiels estiment le nombre de carbonari de 60 000 à 800 000 – qui sont des chiffres exagérés mais soulignent leur importance dans les esprits des ultra-royalistes. Les préfets en réponse au ministère de l'Intérieur en voient partout. A Lyon, ils en dénombrent quelques 30 000 ! Difficile de faire état d'un effectif réel, certains auteurs estiment qu'à Paris, on comptait 4000 carbonari et qu'il y en avait autant dans chaque région. Pour donner un ordre d'idée, en 1870, le GODF ne comptait pas plus de 18 000 frères.
De même si on parle d'insurrection des charbonniers français, il ne s'agissait pas d'insurrection civile mais militaire - une prise de places fortes par une armée se retournant contre le gouvernement.
Cependant, ces insurrections ouvraient à une autre plus sérieuse : celle de 1830, ouvrant à la Monarchie de Juillet. Surtout, de s'entraîner à voir des carbonari partout et d'envisager des conspiration dès que plus de 20 hommes se réunissent, a fait sombrer une partie du 19ème dans toutes les thèses complotistes.
La Monarchie de Juillet s'épuisait avec ses épidémies, la disette, sa crise économique mettant à la rue des milliers de personnes et ses scandales politico-financiers. Sous la Monarchie de Juillet, la Marseillaise, le drapeau tricolore ainsi que la devise républicaine furent interdites. Le mot « République » a été effacé des bâtiments publics. Il s'agissait d'un retour pour la nouvelle noblesse et l'ancienne survivante de la Révolution de 1789, à l'ancien régime.
Si la Monarchie de Juillet a utilisé largement les moyens constitutionnels de l'époque, elle a utilisé aussi les bonnes vielles méthodes comme surveiller les journaux, les imprimeurs et les librairies. Ces derniers étaient obligés de prêter serment et d'avoir une autorisation de publication après enquête de l'administration. Les journaux, les écoles, mais aussi les universités sont surveillées et les récalcitrants durement condamnés.
La Charbonnerie et la franc-maçonnerie devinrent, par la force des choses, les rares lieux de rencontres. Pour la franc-maçonnerie, autorisée et surveillée de l'intérieur par des frères contre d'autres frères, elle ne représentait réellement aucun danger ne recrutant que parmi la bourgeoisie et étant par trop confidentielle pour diffuser des idées révolutionnaires. La Charbonnerie, quant à elle, interdite ou considérée par les historiens comme l'étant, elle ne recrutait que parmi les militaires et étaient soumises à une hiérarchie trop stricte pour diffuser une idéologie nouvelle.
Cependant, les ultra-royalistes n'hésitèrent pas à condamner les libéraux, en montrant du doigt à raison ou à tord les francs-maçons, les Carbonari, les philosophes et les jacobins …
Joseph de Maistre en 1824 dans le Mémorial catholique, expliquait à ses lecteurs :
« Le libéralisme n’est que la révolution qui a changé de nom ; il tend comme elle au renversement de ce qui existe. Susceptible d’une infinité de variations, parce qu’il participe à la nature de l’erreur, il n’est constant que dans un seul point, la ruine de l’antique édifice social. »
Gilliard, en 1823, dans « Réflexions sur les sociétés secrètes et les usurpations. Première partie : Ecueils et dangers des sociétés secrète » :
« Le lecteur ne peut ignorer à présent, que les carbonari sont souillés de la rouille de tous les vices et de tous les crimes, que cette rouille s’élèvera un jour en témoignage contre eux, et qu’elle dévorera la chair des rebelles comme un feu. Si déjà aucun mortel ne peut ajouter à la noirceur des américains, aucun ne peut aussi les égaler en perfidie et en cruautés, encore moins les surpasser en scélératesse. [...] Les sectaires, en tout opposés à Jésus-Christ, ont cherché à détruire l’oeuvre de Dieu dans les ténèbres et l’obscurité des sociétés secrètes […]. Ces hommes immoraux se décoraient, pour propager leur corruption, tantôt du nom de philosophes, de ceux de francs-maçons, d’illuminés, de libéraux, de jacobins ou enfin de carbonari »
Les deux sociétés n'étaient pas étanches. Les Charbonniers se trouvant dans les loges et inversement, tant et si bien que lors des premiers procès de Charbonniers, le titre distinctif de la loge maçonnique était citée et confondue avec les Carbonari. Cependant, malgré cette apparente similitude, les Carbonari n'avaient rien à voir avec la Franc-maçonnerie en France – et par conséquent avec le GODF qui s'illustrait alors par son allégeance à la Monarchie de Juillet.
Quelque soit la cause profonde et l'inaptitude de la Monarchie de Juillet pour organiser le pays, la Révolution de 1848 diffère dans le fond de la Révolution de 1830. Il ne s'agissait pas uniquement de renverser un monarque affamant un peuple ou le méprisant (ce qui revient au même) et s'appuyer ensuite sur les institutions existantes.
La Révolution de 1830 était finalement une évolution logique contre des ultra-royalistes qui souhaitaient soumettre la population à un ordre divin, leur soustraire tous les droits – même ceux dont le peuple ne savait pas encore rêver – Les institutions ne furent pas remise en cause, puisqu'un autre monarque fut traîné sur le trône et maintenu durant 18 ans.
Celle de 1848 était d'un tout ordre : renverser un monarque d'une part mais aussi les institutions qui, d'une manière ou d'une autre, protégeaient un système qui ne pouvait pas représenter le peuple.
Dès 1831, le gouvernement Casimir Perier souhaitera interdire les lieux d'opinions et de ramener une population qui ne cesse de manifester au calme par la violence. D'ailleurs, pour la petite histoire, il sera le premier à utiliser les lances à incendie contre les manifestants – qui seront les ancêtres du canon à eau que l'on connaît tristement encore aujourd'hui et que l'on a vu en fonctionnement ces derniers mois.
De 1830 à 1835, la Monarchie de Juillet naviguera entre deux eaux, se montrant très libérale d'un côté et particulièrement répressive de l'autre.
En 1835, elle prendra des mesures drastiques condamnant les clubs, limitant une énième fois pour ce début du 19ème siècle la liberté de la presse, fera condamner les républicains …
La Monarchie de Juillet sera terriblement monarchiste, même si elle récuse le droit divin et l'absolutisme. Elle veut maintenir une représentativité sommaire et partiale de la société à quelques individus élus par défaut ou faute d'autre chose.
La Révolution de 1848 apparaît donc inéluctable.
La Seconde République, porteuse de tous les espoirs, n'aura guère de succès. A tout niveau, elle sera un échec. Bien qu'elle décida des suffrages universels, le gouvernement provisoire refusa d'organiser des élections dignes de ce nom, compliquant à l'extrême dans les zones rurales les votes. On verra des véritables processions d'électeurs conduit par le maire ou le curé se rendre dans le canton pour voter. Comptant malgré tout quelques 200 députés sur 900, le gouvernement provisoire se débarrassera de la gauche, se reformera sur un courant conservateur et monarchique qui annulera les mesures sociales prises au printemps 1848 (limitation du temps de travail, notamment). Il limitera drastiquement la liberté d'expression (loi sur la presse et censure des théâtres), et poursuit certains des derniers socialistes, comme Louis Blanc, qui préfèrera s'exiler. La Seconde République a échoué du fait de l'ignorance – ignorance des électeurs qui se trouvaient, tremblants et fatigués par une longue marche vers la seule urne, orientés par le maire issu de la Monarchie de Juillet (!) ou encore le curé local. Ignorance même des élus qui, craignant le chaos, préféra le sang et la répression.
Il faut dire qu'il fallait être soit stupide, soit particulièrement naif, pour ne pas envisager que celui qui a tenté d'organiser un soulèvement à Strasbourg en 1836 pour s'associer une armée et marcher sur Paris et prendre - par une guerre civile - le pouvoir n'allait pas tout tenter pour devenir un Empereur ... En 1840, il récidiva à Boulogne-sur-Mer.
Elu comme président de la République à 74 % des suffrages exprimés (!), Louis-Napoléon Bonaparte organisera un coup d'état le 2 décembre 1851. Il organisera une répression sévère. Les insurgés seront fusillés sans autre forme de procès. Les républicains, ceux connus comme tels, seront arrêtés massivement. Plus de 21 000 personnes seront condamnées dont 9 530 à la déportation. Un peu plus de 6000 seront réellement déportés suite à des demandes de grâces dont celles faites par George Sand.
Les 250 chefs présumés de l'insurrection sont traduits devant un conseil de guerre tandis que 66 députés, dont Victor Hugo (qui s'est déjà enfui à Bruxelles pour un long exil), Schœlcher, Raspail, Edgar Quinet, Adolphe Thiers, Prosper Duvergier de Hauranne, sont frappés de proscription par un décret présidentiel. Engagé parmi les insurgés, le journaliste italien Ferdinando Petruccelli della Gattina est expulsé de France.
Si nous trouvons aujourd'hui les complotistes fâcheusement ridicules, il n'en fut pas de même tout le temps, surtout si on s'appelait Napoléon III.
Craignant les complots, il mettra en place dès 1852 une législation spécifique et créera le corps des commissaires spéciaux. Cette peur du complot – et de celles des sociétés secrètes – a justifié pour Napoléon III son propre coup d'état. Il estimait avoir la preuve d'une conjuration – se considérant lui-même comme légitime – La Révolution de 1848 a permis l'organisation de clubs, soit des ancêtres des partis politiques, permettant le droit de réunion et d'association. Pour le gouvernement, cette libéralisation autorise la création de sociétés secrètes. Ainsi pour contrecarrer, il permet la présence d'un commissaire de police lors des réunions pour vérifier la tenue de celles-ci.
Comme nous l'avons vu plus avant, Napoléon III désignera Lucien Murat comme grand maître du GODF en 1852. Il n'hésitera pas à ordonner la fermeture des loges jugées séditieuses par quelques obscurs rapports de police en invitant le GODF à se plier à ses exigences.
La police voit des sociétés secrètes partout. D'ailleurs, elle ne distingue pas les groupes interdits (c'est-à-dire non autorisés) à ceux qui sont autorisés. Dès lors qu'un responsable est considéré comme républicain, le groupe est considéré comme suspect. Sont ainsi visés les associations ouvrières, les journaux, les mutuels, les loges maçonniques … et toutes réunions de bistrot. On sait que la France du 19ème siècle comptait de nombreux cafés.
Napoléon III réprimait toute sociabilisation – là où il n'était pas invité, il ne pouvait qui avoir complot contre lui. Or, on peut dire que le seul comploteur qui a réussi fut encore lui.
Cela relève d'une paranoïa à la mesure d'un siècle tourmenté et instable. Cependant, ces sociétés secrètes qui – je rassure mes lecteurs – ne sont pas des loges maçonniques - sont aussi étudiées par les fervents policiers en fonction de leur rituel ou mots de passe. De tels usages les rendent automatiquement suspectes. Parmi celles-ci, on retrouve des mots républicains comme « Marianne » ou encore des signes, une fleur ou encore un ruban aux couleurs des Carbonari qui n'ont pas disparu tout à fait. Les cérémonies et les serments sont tout autant notés par les policiers infiltrés.
Difficile de considérer que ces sociétés soient si secrètes que cela et d'envisager - vu la somme d'informations fournies - qu'un complot pouvait échapper à Napoléon III.
Peut-on sérieusement qu'il est de tradition – comme on souhaite nous le faire croire – que l'ésotérisme interdit de discuter de la société, de son évolution ou encore de conduire une réflexion ? C'est du crétinisme de l'affirmer. Il ne s'agit que de commodité pour quelques dirigeants d'obédience. En effet, traiter de sujets sociétaux librement, c'est risquer de donner raison à Napoléon III qui, non pas craignait des complots, mais qu'au bout du compte les francs-maçons en premier chef et d'autres associations plus ou moins politisées, réfléchissent sur la notion de démocratie …
C'est aussi de s'éviter d'être ces hommes, - et aujourd'hui ces femmes - à l'image des élections de la 2ème République - conduits par un maire ou un prêtre, à élire "celui qu'il faut" par ignorance.
C'est aussi de s'éviter de se voir confisquer des droits fondamentaux, y compris ceux auxquels nous ne savons pas rêver. C'est tout simplement s'assumer et grandir. L'ésotérisme doit permettre tout cela - et si cela ne le permet pas, ce n'est pas de l'ésotérisme.
Pascal Arnaud, « Charbonnerie et Maçonnerie. Modèles, transferts et fantasmes… », Cahiers de la
Méditerranée [En ligne], 72 | 2006, mis en ligne le 17 septembre 2007, consulté le 19 avril 2019. URL :
source
Poncier Anthony. L'idée de complot dans le discours du pouvoir sous la Seconde République. In: Revue d'histoire du XIXe siècle, Tome 18, 1999/1. pp. 95-108; doi :source
Lire aussi sur le blog "Haut Grade" : "les bons cousins de Naples" ici.