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La Maçonne

Franc-maçonnerie entre deux-guerres.

Suite au numéro de la Chaîne d'Union ayant pour thème central  « la Tradition », je ne pouvais pas m'éviter un article sur le sujet. En effet, s'il fallait que les francs-maçons et francs-maçonnes d'aujourd'hui se conforment à « la Tradition » où ce qui est considéré comme telle, il n'y aurait tout d'abord pas de femmes initiées, d'athées, de déistes, d'handicapés … et les loges seraient réservées, finalement, uniquement à la noblesse. 

Dans ce premier article de ce qui sera certainement une série, je souhaite vous raconter ce qu'ont fait (ou pas fait) les obédiences entre les deux guerres mondiales afin d'illustrer mon propos. 

L'histoire de la Franc-maçonnerie est plutôt bien documentée avant la Première Guerre Mondiale, durant la Seconde Guerre Mondiale mais un vide (de connaissance) subsiste entre 1919 et 1939 soit 20 ans. 
Constat que faisait déjà en 1984,  José Gotovitch dans son article (cité en source). Il écrivait ainsi : « Mais l'examen de la production de ces centres confirme le constat de carence : face aux XVIIIe et XIXe siècles intensément courtisés - et le premier plus que le second - le XXe siècle et le domaine international demeurent les grands absents. » 
Très certainement, peut-on se dire, parce qu'il n'y a rien à trouver et à raconter. D'ailleurs, que pourra-t-on dire, dans 50 ans, sur les obédiences maçonniques sur la période de ces 10 dernières années ? Rien. 

C'est peut-être finalement ce vide qui est constaté par les quelques rares historiens qui auraient aimé nous raconter quelques hauts faits glorieux des obédiences contre la montée du fascisme, l'extrême-droite et prévoyant une Seconde Guerre Mondiale aussi meurtrière – sinon plus – que la première. 

 

La réunion internationale de 1907 au Col de la Schlucht (Vosges). 

 

Ainsi, sans surprise, on découvre qu'en 1870, les loges prussiennes étaient interdites d'évoquer les enjeux politiques et en particulier la guerre qui se jouait contre la France. 
Début du 20ème siècle, se réunira une première structure internationale, le Bureau international des relations maçonniques qui s'ouvrira sous l'auspice de la Grande Loge Alpina (Suisse) en 1902. 
Dès 1910, des rencontres de loges franco-allemandes sont souhaitées, ceci dans une volonté de préserver la paix. 
« Ces réunions, convoquées «Au nom de la paix et de la fraternité universelle» proclament que «La suppression de la guerre a toujours été un des points capitaux du programme social de la franc-maçonnerie. Celle-ci a sans cesse travaillé à la propagation des idées pacifistes et elle n'a jamais cessé de répéter que la paix universelle n'est pas une chimère, mais une des idées les plus généreuses et une des tâches les plus sublimes dont la réalisation n'est pas seulement désirable mais possible . . . » La quatrième rencontre, prévu à Paris, Rue Cadet, n'aura pas lieu. Le GODF refuse d'ouvrir ses portes à l'assemblée présente. Ce qui interdira, comme on l'imagine, d'entretenir un dialogue avec les frères allemands. 

On trouve, cependant une initiative, dès 1907, un désir de renouer des relations entre les obédiences françaises et allemandes qui soulignent l'importance du sujet. La publication donnant lieu à une réunion ayant pour titre : « Réunion fraternelle du 7 juillet 1907 au col de la Schlucht/ Brüdzusammenkunft vom 7. Juli 1907 auf der Schlucht. 1907 » explique le contexte de ses rapprochements. 


C'est une loge de Colmar « Zur Treue » qui est à l'initiative de cette réunion. Sont toutefois relatées des initiatives antérieures des loges de Lyon, Strasbourg, de Nancy et des Vosges  St-Dié) qui ont reçu des frères allemands. Le lieu de rencontre La Schlucht n'est pas, non plus, anodine – c'était une sorte de no man's land, frontière entre les territoires allemands et français. 

Les discours (français et allemands) sont pacifistes et soulignent l'urgence de maintenir la paix. Le Frère Kraft de la Loge « An Erwins Dom » de Strasbourg, dans son discours, est le premier à s'adresser aux sœurs et aux frères – les premiers illustrent intervenants, dont le frère Bernadin, de la loge St-Jean de Jérusalem de Nancy les oublient ne parlant "qu'aux frères"  – montre néanmoins toute l'ambiguïté de cette « paix », laissant tout le boulot aux sœurs.  

Hormis ce qui est un détail de l'histoire, cette initiative de loges allemandes ou de loges renégates par les obédiences françaises, cassent quelque peu l'opinion générale d'une incapacité à communiquer entre les obédiences françaises et allemandes. 

André Combes, dans un article « Franc-maçonnerie et Première Guerre Mondiale », souligne le refus de prise de position du GODF à l'égard de différents projets de loi, tout en adhérant à diverses associations pacifistes.

Le lendemain de la déclaration de guerre, le GODF adresse au Président du Conseil Viviani, franc-maçon, un télégramme qui fait oublier toutes les dénonciations de chauvinisme et de désir de paix : « J'ai l'honneur de vous faire connaître que la Grand Orient de France, interprète fidèle des sentiments patriotiques de la Franc-maçonnerie française, vous renouvelle l'assurance de son entier dévouement au Gouvernement de la République. Comme il l'a fait en 1870, il met ses locaux à la disposition du Gouvernement ». 
On soulignera que l'objet de ce télégramme est bien de soutenir un gouvernement plutôt qu'un pays menacé par une guerre ou participer à un effort de guerre. 


En 1914, la Franc-maçonnerie allemande est stigmatisée lors du Convent et est accusée d'avoir « déshonorée » la franc-maçonnerie. En 1915, la Grande Loge Alpina qui dirige la Bureau International des Relations Maçonniques tentera d'établir des liens pour donner des nouvelles des prisonniers et rechercher les disparus. 

Le Bureau International des Relations maçonniques sera dissout en 1920. Il sera remplacé par l'A.M.I (Association Maçonnique Internationale). 

 

 

L'A.M.I (Association Maçonnique Internationale). 

 

L'AMI fut fondée cette fois encore en Suisse et sous l'auspice de la même Grande Loge Suisse Alpina. 
« Mais malgré la présence des Bulgares et des Turcs, malgré l'insistance des Pays-Bas, l'intransigeance franco-belge soumit la présence éventuelle des Allemands à la reconnaissance écrite préalable de la culpabilité allemande. Une seule loge, marginale, signa ce désaveu et fut admise . Ce congrès donna naissance à l'Association maçonnique internationale (A.M.I.) dont le siège fut fixé à Genève. Cette fois, si chaque obédience nationale gardait «sa souveraineté, son caractère propre et ses préférences rituéliques», il s'agissait bien d'une association affirmant ses positions propres, dotée du droit d'initiative, éditant son propre organe. De même malgré la localisation du siège, la direction en serait internationale. Désireuse d'obtenir l'adhésion la plus large, l'Α.Μ.Ι. omettait tout prononcé relatif au Grand Architecte ou à la Bible. » explique José Gotovitch.  
Par la suite, sous la pression d'obédiences adhérentes, l'invocation au GADLU fut introduit. 

Introduite par le Traité de Versailles, la Société des Nations fut fondée en 1919. Le principal promoteur de la SDN est le président des États-Unis Woodrow Wilson. La SDN compte 42 membres fondateurs. Cependant, cet effort d'instituer un débat international pour la paix fut certainement le modèle choisit par les obédiences maçonniques à leur niveau. 

Le Droit Humain, dans son bulletin à l'adresse de ses membres, présente les modifications et l'évolution de l'AMI – en particulier les conditions d'intégration au projet. Sont ainsi acceptées les obédiences ayant une origine historique connue remontant au 18ème siècle et celles qui ont reçues des patentes de ces premières. Pour les autres, dont le Droit Humain est, il faut justifier d'une existence maçonnique « paisible » d'au moins 10 ans et être introduit par cinq obédiences membres de l'AMI. Différentes résolutions de « territorialité » sont prises dont celle de ne pas initier  un profane résident dans un pays étranger dans une loge, qu'il soit ou non citoyen du pays en question, à moins d'avoir obtenu l'accord de la juridiction maçonnique du pays de résidence du profane. 
On note aussi qu'au sein des pays même (et on connaît très bien le problème aujourd'hui), certaines obédiences sont écartées. Ainsi, pour la question d'une admission – de la Grande Loge du Soleil Levant (Allemande), considérée comme irrégulière par les obédiences allemandes, le GODF qui la soutenait et le Pays-Bas quittèrent la réunion. 
On soulignera que le Droit Humain ainsi que toutes obédiences initiant des femmes furent interdites.  

Louis Doignon déclarait ainsi en 1938, alors président de l'AMI et Grand Maître de la GLDF (Grande Loge de France) : 
 « L'admission des femmes dans la Franc-Maçonnerie est de moins en moins revendiquée ; il n'est pas d'Obédiences régulières qui admettent les femmes à l'initiation maçonnique dont le caractère – il ne faut pas l'oublier – est spécifiquement masculin.
Si le Grand Orient de France a reconnu le « Droit Humain », il l'a fait partiellement, avec réserves et réticences. Tout fait penser qu'il renoncerait sans hésiter à cette reconnaissance du « Droit Humain » si le rapprochement des puissances maçonniques régulières mondiales lui apparaissait être à ce prix.
De même la Grande Loge de France ferait-elle certainement ce rapprochement qu'elle souhaite le sacrifice de ses Loges d'Adoption. »

 Je vous invite d'ailleurs à lire le site Si Fodieris Invenies » et son article dédié à l'AMI. 


L'AMI  ne fut pas du goût de la GLUA (Grande Loge Unie d'Angleterre ou UGLE pour les intimes) qui se prononça contre cette association internationale et invita toutes les obédiences avec laquelle elle avait des liens de ne pas participer car « car celui-ci ne «pourra manquer de s'égarer dans des discussions politiques ».  
Dès 1925, l'AMI perdit la GL de New-York et les Pays-Bas pour des questions de croyance en Dieu que ces dernières voulaient imposées aux autres obédiences participantes. Les Grandes Loges allemandes et françaises continuèrent à refuser toutes rencontres entre elles. 

En 1925 encore, les francs-maçons italiens sont persécutés par le régime de Mussolini. Les frères protestent, lisent les témoignages qu'ils reçoivent, déplorent la mort du grand maître Torrigiani mais ne condamnent pas le régime de Mussolini. Le GO Italien, né en exil, aura toutes les peines du monde à se faire reconnaître. 
Les loges allemandes n'eurent pas plus de chance que leurs homologues italiennes. 
« Elles se trouvèrent en butte au déchaînement de la plus formidable campagne anti-maçonnique qu'ait connu l'Europe, due non pas au NSDAP naissant, mais au Tannenbergerbund du «groupe Luddendorf». Celui-ci usait allègrement du complot judéo-maçonnique contre l'Allemagne, lui imputant évidemment la défaite et l'humiliation de Versailles, mais également Locarno; il exaltait en termes mystiques la communauté populaire germanique «völkisch», opposée fondamentalement au cosmopolitisme maçonnique, marqué au fer rouge de la trahison. Cette pression fut payante : l'ensemble de la maçonnerie, on l'a vu, se garda de justifier les accusations, fit assaut de nationalisme, évita, condamna tout contact avec l'ennemi de la patrie. Cela ne lui épargna pas de voir sombrer ses effectifs dès 1926, et par la crainte engendrée par cette campagne et plus encore quand, en 1930, le NSDAP prit le relais, par la violence directe. Mais aussi la crise avait ruiné les couches sociales où recrutait l'Ordre. »

 Ainsi, à l'arrivée d'Hitler au pouvoir, les Grandes Loges allemandes n'ont ni la force morale, ni les effectifs pour faire face au nazisme. Dès 1933, malgré un télégramme d'allégeance à Hitler, les francs-maçons furent persécutés. Les loges prussiennes devinrent des « ordres chrétiens » qui n'ont plus rien à voir avec la franc-maçonnerie assurant de ne pas initier des juifs. En 1935, après des destructions, des arrestations et des violences, les ordres chrétiens n'existèrent plus. L'AMI ne réagira pas aux sorts des frères allemands. L'association, par contre, se distinguera par son soutien aux frères espagnols menacés par le régime de Franco. Se sera finalement sa seule réelle action contre le fascisme, sans pour autant, là encore, réellement condamné le régime. 

La LICA et la Franc-maçonnerie. 

En France, rappelons que les obédiences maçonniques avaient une place privilégiée dans les gouvernements, que l'on comptait une majorité de ministres et d'élus qui étaient francs-maçons. Les obédiences maçonniques n'étaient pas seulement intégrées à la vie politique, elles étaient parties prenantes de la vie politique. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. 

Emmanuel Debono (cité en source) a publié un article en 2010 faisant le point sur cette période. En réalité, les deux associations qui ont tenté (on peut dire vainement et contre tous) de mobiliser les forces progressistes contre le fascisme et le nazisme hitlérien furent la Ligue International contre l'antisémitisme (LICA, ancienne LICRA) et la Ligue des Droits de l'Homme (LDH). 
La LICA fut fondée très tôt par Bernard Lecache qui, de conférences en conférences, entre 1930 et 1939, tenta de rallier les obédiences (GODF, GLDF et Droit Humain) à sa cause. Il entra en franc-maçonnerie seulement en 1937. 
La LICA est fondée en 1927 soutenant l'assassin juif d'un dirigeant ukrainien réfugié à Paris qui se serait rendu coupable de massacres de juifs. Sa première lutte est, en effet, au delà de ce soutien, une lutte contre les progromes et les exécutions de juifs. Sa première manifestation  date de février 1928, salle Wagram, où il organisa un  « meeting de protestation contre les excès antijuifs ». Avant la Seconde Guerre Mondiale, elle comptait 50 000 membres, grace d'ailleurs à l'arrivée de réfugiés, survivants de persécutions. 

Emmanuel Debono souligne les attaques des divers organes de propagande de l'extrême-droite.  « En decembre 1936, l’organe de Georges Cousin, La Bataille antimaçonnique, qui parait entièrement vouée a la dénonciation de la LDH, en dresse la description suivante : ≪ Ce n’est pas seulement un rassemblement de profiteurs, de francs-maçons, de Juifs et de métèques. C’est une agence de Moscou.≫. 
 « La presse extremiste s’emploie a renseigner ses lecteurs sur l’appartenance individuelle des ligueurs et leurs activités en loges. On parle ainsi du ≪ F∴ Juif Lecache ≫, ≪ President∴ de la Ligue∴ internationale contre l’antisémitisme ≫, et de ≪ l’immonde juif, F∴M∴ Bernard Lecache ≫ » 

Or si l'extrême-droite dénonçait une collusion entre la LICA et les obédiences maçonniques, il n'en ai rien mis à part les quelques conférences que donnaient Bernard Lecache dans les loges qui voulaient bien le recevoir. 
Il n'y avait aucune manifestation commune, ni correspondance particulière, ni rien qui pourrait faire penser que, d'une manière ou d'une autre, les francs-maçons et maçonnes avaient compris la menace du nazisme et du fascisme entre 1930 et 1939. L'allocution du Grand Maître de la GLDF cité plus haut montre même le contraire et que ce qui animait les obédiences étaient le respect de leurs traditions dont celle interdisant l'initiation aux femmes. 

Quant au fascisme italien, une loge du GODF en 1924 a proposé au conseil de l'ordre de monter une commission afin de surveiller, sur le sol français, celles et ceux qui faisaient de la propagande fasciste. Ce qui a été refusé sous le prétexte que toute l'obédience était un organe de surveillance. 

« Il faut attendre 1938 pour trouver les traces d’une ébauche de collaboration. Celle-ci se noue a Lyon, non pas dans le cadre d’une manifestation de la LICA mais dans celui du Rassemblement mondial contre le racisme, une structure élargie mise en place par la Ligue, destinée a fédérer des organisations progressistes du monde entier. La franc-maçonnerie est alors sollicitée au même titre que de nombreuses autres organisations pour renforcer ce front antiraciste. A l’occasion d’une ≪ Semaine de la Fraternité des races ≫ initiée par le Rassemblement a l’échelle internationale, la section de Lyon patronnée par Edouard Herriot organise un grand meeting salle Victor Hugo, le 17 juin 1938. » 
« A la même époque, Lecache invite Arthur Groussier a participer au deuxième congrès du Rassemblement mondial contre le racisme qui doit se dérouler en juillet 193876. Il ne semble pas que le grand maître du Grand Orient de France ait donne suite a l’invitation mais on note en revanche la présence de Robert G. Bernard, grand maître de la Grande Loge de La Fraternité universelle, qui intervient lors d’une séance »
. explique Emmanuel Debono

Tout au long des années 30, la LICA a cherché à rassembler les forces progressistes. Face à l'urgence des événements, sa priorité n'était pas le secret des loges mais des coups d'éclats par des manifestations publiques. 
Toutefois, quelques ligueurs décidèrent de fonder une loge ayant pour but de lutter contre le racisme. Il fut ainsi décider de fonder une loge provisoire dans ce but réunissant plusieurs frères.  Une patente fut demandée à la GLDF (!) qui renâcla à la délivrer. 
« En dépit de cette tiédeur, Dumesnil de Gramont finit par avaliser la demande : la tenue solennelle d’installation de la loge de L’Abbé Grégoire a lieu le 27 mars 1939. » (citation de Emmanuel Debono). 

La LICA, suivant une tradition juive française, rendait régulièrement hommage à l'Abbé Grégoire en se rendant chaque année à une commémoration sur sa tombe. Ce qui explique le nom de la loge. Le programme de cette loge Abbé Grégoire (GLDF) est connue. On sera surpris de sa dimension éminemment sociétale. On peut ainsi trouver les grandes orientations suivantes : 

« a) Etudier le développement en France et dans le monde du nazisme et de l’antisémitisme.
b) Constituer un terrain commun d’échange de vues pour les Mac ∴ qui, disperses dans les At ∴, s’inquiètent isolement du développement de la mystique raciste.
c) Rechercher les bases d’une législation plus humaine en faveur des réfugiés politiques et des étrangers vivant honorablement en France.
d) Préparer par des moyens de conviction la disparition de tous les préjugés, notamment de ceux qui font apprécier les hommes non pas d’après leur valeur mais selon la race ou la collectivité dans laquelle ils se trouvent situés. » 

L'existence de la loge est houleuse principalement parce que le GODF refusait que des frères rejoignent une loge de la GLDF. Une fondation pour un projet aussi ambitieux, était bien tardive, pour ne pas dire trop tard. On peut aussi souligner que la formulation particulière des objectifs concernant les loges elles-mêmes, sous entendant que l'antisémitisme était un sentiment partagé par de nombreux frères. 


L'antisémitisme à gauche. 

Certains auteurs soulignent la naïveté des francs-maçons ainsi que leurs méconnaissances de la politique internationale durant la période entre d'entre deux guerres. Plus exactement, la majorité des frères et des sœurs n'étaient pas des grands visionnaires – Ce qui expliquent les positions prises lors des convents, le mutisme du GODF à l'égard d'événements comme la guerre des Balkans (1912-1913), l'apparente impossibilité à condamner ouvertement le fascisme italien ou encore le nazisme, ….  Pourtant, cela me semble une explication un peu facile relevant du mythe. 

Ne pas être visionnaire, c'est-à-dire ne pas avoir envisager la possibilité d'une Seconde Guerre Mondiale , n'empêchait nullement une critique du fascisme ou encore du nazisme, dont les exactions, les pertes évidentes en droit et en libertés individuelles des citoyens, n'étaient pas secrètes et surtout contraire aux idéaux des francs-maçons.  

L'antisémitisme de et/ou à gauche, appelé aussi le paradoxe français, fut certainement la principale cause de l'immobilisme de la grande majorité des loges et des francs-maçons, permettant aux convents de rejeter les questions cruciales à des jours lointains. 

De nombreux hommes politiques, connus pour avoir été des fervents socialistes, votèrent les pleins pouvoirs à Pétain. Paul Faure, qui a codirigé de la SFIO avec Léon Blum durant l'entre-deux guerres,  de 1920 à 1940, ministre d'État dans le gouvernement Léon Blum de 1936 (Front Populaire), sera un pétainiste convaincu.. Il se ralliera à Vichy en 1940 et sera nommé au Conseil National de Vichy. La LICA dénoncera, par la suite, la campagne raciste que Faure organisera contre Blum.  Les fauristes ou « pacifistes », majoritaires à partir de 1936 au sein du SFIO,  voient dans l'Allemagne et l'Italie des nations prolétaires, incomprises et opprimées par la France et la Grande Bretagne.

C'est ce qui est appelé le « pacifisme » entre les deux guerres et surtout, ce qui sera dénoncé comme une campagne antisémite de Faure et d'une partie de la SFIO.

Incapable de voir la spécificité du nazisme et s'en fichant, ils accusent les antifascistes d'être des fauteurs de guerre qui souhaite d'aller au conflit contre Hitler pour ce venger du mal que ce dernier fait aux juifs en Allemagne. Ils reprennent, ainsi, pour leur propre compte les différentes accusations antisémites émanant de l'extrême-droite. Michel Dreyfus, cité en source, auteur d'un livre sur le sujet, rappelle ainsi :

«  Secrétaire général du parti, et pacifiste, Paul Faure s’indigne contre Blum qui « nous aurait fait tuer pour les Juifs », tout comme, fin 1938, le député Jean Le Bail . Deux autres députés socialistes se plaignent de voir « un peu trop de Juifs dans les ministères» ainsi que « de la dictature juive sur le parti » ; ils refusent de « marcher pour la guerre juive ». […] En 1939, ils regroupent entre le tiers et 40 % des membres du Parti socialiste et ils sont majoritaires chez ses parlementaires ; leur influence est certainement supérieure dans les sections. Futur père du révisionnisme dans les années 1960, Paul Rassinier, alors responsable de la Fédération socialiste du Territoire de Belfort, évoque en octobre 1939 dans une lettre à Faure « un sentiment [qui est] à peu près unanime, l’antisémitisme », et rend Blum seul « responsable de ce qui nous arrive. ». 
« Dans l’Hexagone, le recul du Front populaire va de pair avec une division croissante de la gauche entre antifascistes et pacifistes. À partir de 1937, la fracture sur la question de la guerre et de la paix explique son relâchement à l’égard de l’antisémitisme. Représentant de larges secteurs de l’opinion, traumatisés par le souvenir de la Grande Guerre, incapables de comprendre les lignes de force de la politique internationale, les pacifistes privilégient l’apaisement avec Hitler et dénoncent les Juifs qui s’y opposeraient. Cette complaisance de la gauche à l’égard de l’antisémitisme se produit à l’heure où ce dernier renouvelle son argumentaire. Il délaisse sa dénonciation économique des Juifs et sous l’influence indirecte des Protocoles de Sion – dont toutefois aucun dirigeant de la gauche ne se réclame –, il privilégie désormais le rôle « occulte » et « néfaste » des Juifs sur les affaires du monde. »
explique Michel Dreyfus dans ce court article. 

Le plus connu des collaborateurs fut le socialiste  Pierre Laval qui organisa la déportation de plusieurs milliers de juifs.  

C'est sans rappeler des positions islamophobes et même du déni de l'existence d'un tel racisme de la part de certaines comme de certains reprenant les thèses de l'extrême-droite. Avant la Seconde Guerre Mondiale, il y avait porosité – comme il y a aujourd'hui. Très certainement que ces socialistes, qui se présentaient comme « pacifistes », niaient l'existence de l'antisémitisme dans leur rang comme pour eux. Une partie de la franc-maçonnerie – même essentiellement à gauche – d'entre guerres partageait aussi les mêmes propos antisémites des pacifistes et de Paul Faure. 


Conclusion. 

On retrouve dans l'histoire des obédiences dans la période entre deux-guerres, les mêmes travers : guerre hégémonique qui a très certainement limité l'action d'une loge fondée pour lutter contre l'antisémitisme – une seule loge -, procédé sexiste ayant interdit au Droit Humain et, donc, aux sœurs de participer aux débats de l'A.M.I (Association Maçonnique Internationale), sans parler des rappels à la « Tradition » dont l'invocation au GADLU  ou encore la posture très anglaise de refuser de traiter de sujets politiques y compris au delà des frontières des loges elles-mêmes. 
Bien entendu, je ne pense pas que les obédiences de l'époque auraient fait évoluer la situation internationale – y compris si les 2 millions de frères anglais et anglo-saxons avaient participé à l'AMI. 

Du fait des positions actuelles d'une franc-maçonnerie et de francs-maçons qui souhaitent enfermer les esprits et les consciences dans la dévotion d'une tradition plutôt que dans celle de l'humanité, j'ai le sentiment que l'on répète la même histoire - et plus exactement on entre dans le même vide. 

 

 

Gotovitch José. Franc-maçonnerie, guerre et paix. In: Les Internationales et le problème de la guerre au XXe siècle. Actes du colloque de Rome (22-24 novembre 1984) Rome : École Française de Rome, 1987. pp. 75-105. (Publications de l'École française de Rome, 95); source à lire ici 

Karas Joseph A, Parent Joseph M, « La Grande Guerre, en théories », Politique étrangère, 2014/1 (Printemps), p. 13-25. DOI : 10.3917/pe.141.0013. URL : source

Dreyfus Michel, « Le pacifisme, vecteur de l'antisémitisme à gauche dans les années 1930 », Archives Juives, 2010/1 (Vol. 43), p. 54-65. DOI : 10.3917/aj.431.0054. URL : source à lire ici

LIGUE INTERNATIONALE CONTRE L'ANTISÉMITISME ET FRANCMAÇONNERIE
Le rendez-vous manqué des années 1930 , Emmanuel Debono 
Les Belles lettres | « Archives Juives »
2010/2 Vol. 43 | pages 104 à 121
source à lire ici

Le site de la LICRA

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D
Un tout grand merci pour cet article très intéressant.<br /> Didine Frandy
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A
A max:<br /> "en revanche peu d’endroits pour répondre à mon interrogation sur l’origine de l’univers, le sens de la vie, la question de la mort, en dehors des religions ou des cercles scientifiques exclusifs"<br /> Mais si, Diogène a montré la voie...même chose concernant Nietzsche, et d'autres encore.<br /> Quant aux partis politiques ils existent sur le papier mais en réalité c'est l'argent et les intérêts mercantiles qui prédominent.
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L
D'autant plus qu'un parti politique a son propre dogme alors que la FM peut permettre d'être apolitique tout en traitant de sujets concernant la société. J'approuve à 100 % ta réponse, Astérix.
M
vieux débat sur ce qu’ est la Franc-Maçonnerie ! est ce une école initiatique cherchant à répondre aux questions métaphysiques de l’être humain par l’étude de ses rituels ou une organisation philosophique ayant vocation à changer la société par une réflexion commune ? en fait aujourd’ hui ce n’ est ni l’ une ni l’ autre, d’ où le désintérêt de plus en plus évident, surtout chez les jeunes générations<br /> <br /> personnellement je m’inscris dans la première réponse, pour la seconde il y a les partis politiques, les syndicats, les clubs de réflexion, les cafés philos, etc…<br /> <br /> en revanche peu d’endroits pour répondre à mon interrogation sur l’origine de l’univers, le sens de la vie, la question de la mort, en dehors des religions ou des cercles scientifiques exclusifs
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L
Pourquoi cela ne peut pas être les deux ? Revendiquer une quête métaphysique tout en ayant vocation à réfléchir sur la société ? Parce que pour la quête métaphysique, il y a aussi la philo, le développement personnel, ....
B
Chère Maçonne, il existe deux ouvrages récents sur le DROIT HUMAIN (dont un qui vient de sortir) avant la seconde guerre mondiale, dont Dominique Segalen est autrice et co-autrice. <br /> Il faut souligner l'action des SS Berthe Bouchet à Nancy, et Camille Charvet à Besançon. Deux ateliers de la FFDH portent le nom de ces deux courageuses SS
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L
Je n'ai pas eu l'occasion de lire ces deux livres .... et comme tu le sais, je connais la loge de Nancy.
M
Très bonne analyse ! La tradition c'est la relation ambiguë des obediences avec le pouvoir politique avec des alternances de soumission et d'opposition primaire qui empêchent toute expression d'une vitalité des loges.
Répondre
L
Merci Mateo !