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La Maçonne

Les libraires-éditeurs de 1789, les ancêtres des blogueurs.

La France n'est pas la meilleure élève en matière de liberté de la presse, même si elle fut un des premiers pays à l'avoir libéralisé. Elle est à la 33ème place sur 180 pays notés.  (Vous pouvez trouver le classement de Reporters sans Frontière en cliquant ici)

Les premiers pays sont les pays scandinaves, mais on trouve aussi la Suisse en 5ème place, la Jamaïque en 6ème place, l'Allemagne en 15ème place, l'Uruguay en 20ème place, … ou encore la Slovénie en 32ème place. Certes, les USA se situe en 40ème position – La Grèce et l'Hongrie débarquent en 72ème et 73ème place alors qu'Israël est à la 87ème place de ce classement, après le Togo et le Bénin. La Russie, quant à elle, s'affiche fièrement en 148ème place. Le Soudan, la Chine, la Syrie et enfin la Corée du Nord sont les grands derniers. 
Ce classement est, sans aucun doute, particulièrement représentatif du respect des libertés individuelles mais aussi des principes démocratiques des pays notés. On peut dire que dans ce domaine-là, aussi, la France est médiocre. 


Le mauvais classement des Etats-Unis tient à Donald Trump qui fustige les journalistes assez régulièrement et a restreint l'accès à l'information des organes de presses grand public. Quant à la France, la concentration des médias traditionnels dans des groupes financiers (Canal + et le groupe Bolloré par exemple) mais aussi les prises de position de politiques lors des élections présidentielles et, par la suite, celles de Macron et de son gouvernement, constituent les principaux obstacles à l'indépendance des médias.  
(source)

Ce qui est intéressant dans ce classement n'est pas véritablement la réalité d'une liberté de la presse, mais le poids des menaces. Certes, on peut relativiser l'impact des propos de Donald Trump, de Macron, les menaces faites à l'encontre des journalistes par le président de la République Tchèque qui a donné une interview en tenant une kalachnikov factice avec l'inscription « pour les journalistes » (octobre 2017) tout en affirmant qu'il fallait « liquider les journalistes jugés trop nombreux » (source) , ou encore les insultes du premier ministre slovaque Robert Fico,  traitant les journalistes de « sales prostituées anti-slovaques » ou de « simples hyènes idiotes » sur la réalité même des libertés (source), qu'ont ou savent prendre les journalistes des pays concernés. La Tchéquie est classée en 34ème position et la Slovaquie est quant à elle mieux placée que la France, étant 27ème. 

C'est bien parce qu'ils ne dirigent pas les médias – et n'ont aucun pouvoir sur eux – que ces hommes politiques les insultent ou les menacent ouvertement, même de morts. 
Cependant, cette violence est révélatrice de l'état des pays concernés accompagné d'une dérive de leurs politiques liberticides. 


Ce classement ne prévoit aucune mesure concernant les blogs et les blogueurs, même si les menaces et les condamnations les concernant compte au même titre que ceux des journalistes et entrent dans la catégorie « exactions ».  (lire ici la méthodologie de RSF)
Il ne concerne que les médias traditionnels, soit les journaux, la télévision et la radio. Ainsi, la capacité d'un pays à permettre à ses citoyens de s'exprimer, de recueillir une information et la diffuser librement, ou encore de participer aux mouvements culturels par des initiatives personnelles (musique, arts plastiques, BD,  humour, etc), n'entrent pas en ligne de compte. 

Une ONG Freedom House a passé en revue 65 pays afin de mesurer le degré de ces libertés sur Internet et l'influence des états sur les citoyens. Or, là aussi, il est à constater des abus en Turquie, en Chine, …. et aux USA. Les moyens utilisés font froids dans le dos. Limitation ou coupure de la connectivité mobile, restriction de vidéo en direct, restriction du VPN, et bien sûr des attaques physiques concernant les blogueurs. 
Des robots utilisent des faux profils pour noyer les dissidences et les tentatives d'actions collectives. Des 30 millions d'abonnés de Trump, seuls 51% sont des personnes réelles. 


Ce dernier classement mesure aussi la circulation des fausses informations par l'usage de bots automatiques. 
Ainsi, la France a un score mitigé de 26 points (sur 100), alors que le Canada est bien mieux placé avec ses seuls 15 points, l'Allemagne 20 points et les U.S.A, 21 points. La Russie est considérée comme un pays non-libre avec 66 mauvais points / 100 et les très bons pays comme l'Islande peuvent s'enorgueillir d'un 6/100. 
Pour la France, sont en cause, l'utilisation de bots politiques lors des élections présidentielles (a priori par l'extrême-droite), les blocages administratifs de sites web sans aucun contrôle judiciaire – c'est-à-dire sans qu'aucun juge ne puisse se prononcer (terrorisme) – mais aussi ce que nous appelons avec tendresse les « zones blanches », c'est-à-dire une mauvaise couverture de la connectivité mobile. Vous pouvez trouver le rapport plutôt complet pour la France en cliquant ici. (le rapport pour la France)


Un droit à l'information oublié. 

Limiter la liberté de la presse et d'expression est l'arme favorite de toute forme de despotisme, qu'elle soit politique ou religieuse. Elle concerne autant l'extrême-droite que l'extrême-gauche. Un dictateur, qui se respecte, s'attaque en premier lieu à la presse, ferme les journaux dits « d'opposition », condamne les journalistes, censure tous les médias et empêche la divulgation d'informations qui le dérangerait '(ou par principe). 

Une fois cela fait, il peut s'attaquer à l'école, c'est-à-dire au droit à l'instruction, réécrivant entre autre chose les manuels scolaires à sa sauce. La Pologne est un exemple d'une dictature montante : le parti au pouvoir d'extrême-droite « Droit et Justice » souhaite démentir la responsabilité polonaise concernant la Shoah et la place de Walesa dans la reconstruction du pays. (source)

Le passé et l'histoire, vu par beaucoup comme étant simplement de la culture générale, est une information comme une autre. Au lieu de concerner le présent, elle fouille le passé. Cela revient à écrire un article de presse avec quelques années de retard – et même siècles de retard – certes, l'article peut tenir en plusieurs centaines de pages – mais vous comprenez l'idée générale. 

Il y a plusieurs manières de supprimer l'information du passé : celle de Daech qui s'est acharné à détruire les musées, celle de mentir en tronquant les dates et les chiffres, ou encore en réécrivant une partie de son histoire en l'effaçant.  (source)

Internet fiche un peu le bordel. Finalement, les dictatures et dictateurs savent faire le nécessaire en limitant l'accès aux réseaux sociaux, réduisant la connectivité – usant et abusant de robots pré-programmés pour diffuser une fausse information et créer même des «profils » qui n'existent pas. 


Les « profils » achetés ou robotisés me font – depuis l'aube des temps au moins!- penser aux armées de carton. Ainsi la contradiction ne semble pas arriver aux cerveaux de ces hommes et femmes politiques – dont certains sont  bien français – en être à acheter des « faux profils » (ou « faux like ») c'est ne pas en avoir de vrais … au même titre qu'une armée de carton est n'avoir pas d'armée. Une lapalissade qui ne manque pas de piquants. 


Maintenant que vous avez en main tous les secrets d'internet ou presque, il m'a semblé opportun de vous présenter les ancêtres des blogs : les libraires-éditeurs … 


1789 : les libraires éditeurs. 

Les histoiriens du livre – et plus exactement de l'édition – dont Jean-Yves Mollier est l'un d'entre eux, considèrent que la commercialisation du livre a réellement débutée avec  Charles-Joseph Panckoucke, le second éditeur de l'Encyclopédie. 

« Grâce à la réduction des formats, de l’in-folio noble à l’in-octavo plébéien, à la baisse du prix de la collection — il tombe de 1 200 livres à 225 — à la délocalisation de l’impression dans la principauté de Neuchâtel, à l’appel à des capitaux étrangers et à une offensive publicitaire sans véritable précédent, il fut en mesure de rentabiliser son investissement et de faire lire l’œuvre de Diderot et de ses amis par des publics plus variés que celui auquel Le Breton avait tout naturellement songé au départ de cette aventure. » nous explique Jean-Yves Mollier. Il mènera, de son côté, à publier « l'encyclopédie méthodique », l'organisant lui-même en s'entourant de nombreux auteurs.

Il possédait lui-même son propre réseau de journaux pour faire la promotion des ouvrages qu'il publiait. En somme, il fut l'inventeur de l'édition moderne. 
Il prit la direction de la librairie lilloise en 1757, puis s’installa aussi à Paris en 1762. Il fut l'initiateur d'une société savante littéraire et philosophique de Lille, l'Académie Brunin. Sa soeur était, elle-même, une salonnière connue.

Il fut proche des philosophes de son siècle, celui des Lumières. Il faut reconnaître qu'en dehors de son génie des affaires, il sera aussi le fondateur d'un empire familial dont on trouvera au 19ème siècle ses descendants, dont son Charles-Louis-Fleury Panckoucke, surnommé le Grand Panckoucke, président du Sénat et qui créa le 1er groupe de presse français avec Le Mercure de France, Le Moniteur universel et La Gazette de France, et qui épousa Ernestine Désormeaux, femme de lettres, artiste et traductrice de Goethe, et son petit-fils, Ernest Panckoucke, éditeur. 


Si on peut résumer la Révolution de 1789 a la fin de la monarchie – et une forme de despotisme – et à la naissance d'une première République, il s'agissait aussi de créer des citoyens. L'instruction publique est, ainsi, devenue un enjeu largement débattu. Il s'agissait de régénérer l'individu, qu'il se coupe de son passé de serviteur du roi et gagne en indépendance. Le projet était émancipateur. 

A l'époque, pas de blogs – mais ces libraires-éditeurs que les utilisateurs de Gallica rencontrent parfois.  

Alors que les techniques n'ont pas évoluées depuis le 16ème siècle, la Révolution de 1789 a libéralisé la diffusion de l'information et un métier – jusque là muselé dans une corporation – le libraire-éditeur.

Tout et un chacun pouvait s'établir comme tel. Ainsi, se mit à fleurir des petits ateliers – munis d'une ou deux presses seulement, installés dans des arrières-cours et qui employait quelques ouvriers. Une page représentait 8 heures de travail. Ces ateliers permirent aussi le développement d'un type de littérature que je connais bien pour l'avoir remis au goût du jour – non sans savoir le moderniser : le pamphlet et le libelle « clandestin ». 
Ne pouvant toucher tous les imprimeurs-libraires, trop nombreux, il fut tenté dès 1790 de limiter leurs actions, soit en interdisant les diffusions anonymes et sans mention de l'éditeur, -généralement des libelle pornographique -  soit en interdisant aux colporteurs de crier des nouvelles qui ne soient pas officielles – afin d'éviter « les fausses nouvelles ». Hé oui, déjà, les fake news inquiétaient nos révolutionnaires.

Entre les perquisitions des imprimeurs-éditeurs (pour lutter contre les « fausses informations ») et les arrestations des colporteurs, pour la seule année de 1790, on compte pas moins de 200 affaires qui n'aboutirent guère. 
Hormis ces maigres tentatives pour légiférer et contenir la diffusion d'informations, aucune loi ne limitait la liberté de la presse si chère aux révolutionnaires. 
En effet, toucher aux libertés des imprimeurs conduisaient à d'autres débordements de la population – et dès 1789, Lafayette en fit l'amère expérience avec le mandat d'arrêt contre Marat. Il se mettra sous la protection des Cordeliers, le débat sur la liberté de la presse débutera – avec d'ailleurs Danton comme défenseur – Les arrestations des colporteurs et les saisies chez les libraires-éditeurs stopperont dès 1792. Or, cette nouvelle et jeune liberté durera peu de temps. La Terreur demeure être le point culminant de la Révolution Française à plus d'un titre. Pour sa durée, elle commence avec la Guerre de Vendée dès 1793 et surtout avec le Tribunal Révolutionnaire, décidée le 28 mars de la même année. Elle prendra fin en 1794. Robespierre (Jacobin) fera ainsi 20 000 victimes.
En dehors du nombre de persécutions conduites par les Jacobins, est leur cynisme. Un de ses outils est la « loi des suspects » permettant d'arrêter et de condamner n'importe qui pour n'importe quel motif. Les historiens estiment qu'il y a eu entre 200 à 500 000 arrestations durant cette période. 

Cela fera expliquer à Jean-Lambert Tallien : 
« Il y a, pour un gouvernement, deux manières de se faire craindre ; l'une qui se borne à surveiller les mauvaises actions, à les menacer et à les punir de peines proportionnées ; l'autre consiste à menacer les personnes, a les menacer toujours et pour tout, à les menacer de tout ce que l'imagination peut  concevoir de plus cruel. Les impressions que produisent ces deux méthodes sont différentes ; l'une est une crainte éventuelle, l'autre est un tourment sans relâche ; l'une est un pressentiment de la terreur qui suivrait le crime, l'autre est la terreur même qui s’établit dans l'âme malgré le sentiment de l’innocence ; l'une est une crainte raisonnée des lois, l'autre est une crainte stupide des personnes. » (In Réimpression de l’ancien Moniteur, tome XXI). Ce triste personnage a, en effet, du sang sur les mains, soit 300 condamnations à mort en 1793 (à Bordeaux) et plus de 750 autres exécutions de prisonniers en 1795. Il félicitera toutes les tueries et autres massacres (ou presque) sous la Révolution. 


Bien sûr, nos libraires-éditeurs n'échappèrent pas à cette extermination massive surtout s'ils diffusaient des documents jugés « contre-révolutionnaires ». Or, au délà des libraires-éditeurs, des colporteurs, il y avait les auteurs, bien plus recherchés. 


Charles-Joseph Panckoucke décédera en 1798. Or, la libéralisation de la presse lui a permis de développer le Mercure de France ayant jusqu'à 15 000 abonnés. Il fondera aussi le Moniteur Universel dès 1789, appelé initialement la Gazette Universelle. Cette Gazette publiera les débats de l'Assemblée, les événements de politiques, comprenant la retranscription en entier de tous les actes publics officiels. En 1848, il devient le Journal officiel de la République française , puis Journal officiel de l'Empire français en 1852. Il perdit tout à fait l’attache gouvernementale pour être remplacé par une création du ministère d’État, le Journal officiel de l’Empire français, à partir du 1er janvier 1869 après un conflit entre Napoléon III et la direction du journal qui avait été revendu à Paul Dalloz.  


Si pour nous, le « Journal Officiel » est une publication normale ainsi que la diffusion des débats de l'Assemblée parlementaire, ce Moniteur est une première révolution dans la presse tout autant qu'une réelle conquête des citoyens dans leur tout nouveau droit à l'information. 


La Révolution ouvrira, aussi, à un autre genre de livres : les manuels scolaires, les livres scientifiques et techniques. En effet, le désir de « régénérer » le citoyen, suivant l'expression largement utilisée sous la 1ère République, sera maintenu – sous une forme discutable – tout au long du 19ème siècle et réveillé – toujours sous une forme discutable – sous la IIIème République. La question n'étant pas le fond de ces manuels, mais le fait lui-même : une libéralisation de l'édition, de la presse, de l'expression et de la création artistique, conduit nécessairement à une démocratisation du savoir. 

Notre consommation de l'information ne diffère pas de celle sous la Révolution de 1789. Ce sont les moyens qui changent. Certes, il n'y a plus de lecture à haute voix des journaux dans des cafés et petites assemblées, conduisant à des débats. Il y a, à la place, les réseaux sociaux. Certes, il n'y a plus vraiment de publications clandestines - et je dois avouer que je suis certainement la dernière à en produire pour le compte de quelques frères de la GLDF - sauf que je n'ai pas une presse dans mon salon. 


 

Blogs d'information, blogs politiques ... 

Un utilisateur d'internet, qui peut être une utilisatrice, a certainement cherché et sélectionné « ses » blogs. Il – et même elle – fut certainement fort contrit de découvrir qu'en dehors d'une masse d'informations, il n'avait aucune analyse des événements décrits quelque soit son domaine de prédilection, à part peut-être les blogs de cuisine qui sont les plus complets. Un journaliste Antoine Bevort a fait un double constat que je soupçonnais d'ailleurs ((lire ici au complet)

  • la plupart des blogs politiques (16 sur 30) sont des blogs d'extrême-droite, 
  • ces derniers ont une audience largement supérieur aux blogs « officiels » d'un parti, des sites officiels (assemblée, sénat ou encore gouvernement), 

« Égalité et réconciliation est le premier site politique français, et obtient 8,1 millions de visites mensuelles. Pour illustrer la bonne performance du site Égalité et Réconciliation, on peut observer, par exemple que le site d’Alain Soral est mieux classé que celui de Mediapart, qui dans les données d’Alexa occupe le 317 è rang. Autre exemple, le site d’ATTAC est au 31 631 è rang.  Fdesouche arrive en deuxième position avec 4,5 millions de visites. Le Front national est au douzième rang, et constitue, et de loin, le premier des sites des partis politiques. »
« Quoi qu’il en soit, ces données confirment que sur le net, la gauche a perdu le combat pour la direction idéologique et culturelle.
 » conclut-il. 

Une opinion qui a toute son actualité n'existe tout simplement pas sur un modèle de médias les plus libres économiquement et les plus démocratiques. Toute une pensée n'existe tout simplement pas – et tout au moins – ne semble pas être accessible au plus grand nombre.

De mémoire d'hommes, nos libraires-éditeurs de 1789 ne le comprendront pas … et moi aussi. 

 

Sources : 

Les illustrations de cet article sont tirés de Gallica et vous pouvez en trouver d'autres ici

Duprat Annie, « Citoyenneté et régénération (1789-1794) », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2014/3 (n° 22), p. 49-56. URL : source

Cesare Vetter, « Système de Terreur » et « système de terreur » en lexique de la Révolution française, 2014, Révolution Française.net, source

Mollier Jean-Yves, Sorel Patricia. L'histoire de l'édition, du livre et de la lecture en France aux XIXe et XXe siècles [Approche bibliographique]. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 126-127, mars 1999. Édition, Éditeurs (1) pp. 39-59.
DOI : https://doi.org/10.3406/arss.1999.3280 - source

Mollier Jean-Yves, « Éditer au XIXe siècle », Revue d'histoire littéraire de la France, 2007/4 (Vol. 107), p. 771-790. DOI : 10.3917/rhlf.074.0771. URL : source

 

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