15 Octobre 2019
On pourrait s'amuser à faire la liste des « affaires » qui secouent la France – et en sourire – s'il n'y avait pas l'attaque de la Turquie contre les kurdes (syriens), ceux-là même qui ont combattus contre Daech aux côtés des occidentaux.
Ce sont eux nos héros – qui ont perdu des vies humaines pour assurer à nous, occidentaux, notre confort, notre paix et notre sécurité. Ce sont eux aujourd'hui que la France, - plus exactement notre gouvernement et Emmanuel Macron – laissent tomber alors qu'il y a quelques jours les mêmes réclamaient un front commun contre la radicalisation islamique dans un discours qui entrera dans l'histoire comme l'expression hypocrite d'une politique en déclin.
Las ! On s'inquiétera bien plus du rejet de candidature de la macroniste Sylvie Goulard. Nous sommes en plein drame de la soap politique. Ses casseroles, dont des enquêtes pour fraudes, font qu'elle ne peut pas être ministre, mais – selon Emmanuel Macron – lui permettait d'accéder à des fonctions au sein de la Commission Européenne. Il ne comprend pas la décision des parlementaires européens ...
Il est vrai que c'est une première fois – là encore – pas à l'avantage de l'image de la France qu'une candidature française se fasse retoquer aussi massivement.
Cela tient en un seul mot : l'éthique.
Bien sûr, en soap politique, ce mot n'existe pas. Il n'existe que dans le monde courant chez les gens normaux et, par je ne sais quel jeu cruel, il est toujours dans nos dictionnaires.
Ethique donc – à ne pas confondre avec moralité – qui appelle à l’honnêteté, la probité, la sincérité et l'humilité. Ce dont semble avoir manquer Sylvie Goulard dans son opération de com' et ses réponses aux parlementaires, sûre de gagner.
Ne pas comprendre de la part de notre Président de la République ce qui est, pourtant, très simple – un enfant de 8 ans en serait capable – n'engage à rien de bon pour la France. L'Europe, quant à elle, semble mieux lotie.
L'éthique donc appelle aussi à s'inquiéter des kurdes et à condamner la Turquie de ses exactions, considérée et avec raison comme un véritable nettoyage ethnique – autre mot pour dire « génocide ». Ne pas s'en émouvoir, ne pas communiquer ou encore refuser de monter au créneau, ce n'est pas que manquer d'éthique – me direz-vous – c'est manquer tout court.
L'épisode Goulard montre une chose : la France a perdu toute crédibilité au sein de la communauté européenne et – surtout – au sein de la communauté internationale. Non seulement, « En Marche » est un courant minoritaire au sein du Parlement Européen - ce que nous savions déjà - , mais n'est pas assez intelligent pour pouvoir créer un consensus. Le seul consensus qui fut trouvé fut contre eux, pourrait-on en conclure. Après l'épisode Loiseau et son "off" loupé, les macronistes se devaient avoir l'audace de la prudence.
Ainsi, toutes les solutions – si jamais la France savait en trouver et c'est pas gagner – pour contrer le génocide que la Turquie prépare seront retoquées. Simple affaire d'éthique. On ne peut pas dire « blanc » et le lendemain « noir ». Caresser dans le sens du poil Ergodan et sauver les kurdes. Inviter Poutine vacances et recevoir Trump à l'Elysée. Faudra choisir.
Cependant, comme à chaque fois, je constate que nos médias et politiques sont amnésiques. Ils semblent oublier que les kurdes syriens sont en Syrie et non pas en Turquie.
C'est l'arguement de la Turquie qui veut lutter contre une organisation terroriste ancestrale : le PKK.
Le PKK fut fondé en Turquie début des années 1970, par des maoïstes, autant par des kurdes que par des turques.
Il intégrera la dimension kurde plusieurs années plus tard tout en étant particulièrement lacunaire dans son projet politique. De guérillos armés et minoritaires, le PKK est devenu une option politique locale. Peu à peu, les dirigeants du PKK tenteront de trouver des accords avec la Turquie et ouvrira des démarches diplomatiques internationales.
« Le PKK a montré occasionnellement qu'il était capable de concevoir une action diplomatique efficace. C'est en effet sous sa pression que Nelson Mandela refusa le Grand Prix de la paix Ataturk en mai 1992. Ce sont également des Kurdes de Strasbourg, solidaires du PKK, qui ont fait preuve d'un fort activisme politique pour que soit décerné à Leyla Zana, députée d'origine kurde injustement incarcérée, le prix Sakharov en décembre 1995. La présence à l'Unesco, le 9 décembre 1998, pour le cinquantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme, fut une excellente initiative diplomatique. Il y a également, pour les cadres du PKK, des leçons à tirer de l'habileté médiatique du sous-commandant Marcos, chef des Zapatistes du Chiapas. Le PKK doit refuser les avantages et désavantages de la clandestinité, accepter ceux de la politique.» rappelait en 2000, Philippe Boulanger (Boulanger Philippe. Le PKK : vers la maturité politique ?. In: Raison présente, n°135, 3e trimestre 2000. Économie et démocratie. pp. 77-98. )
Le PKK a pour ultime projet la création d'un état indépendant [de la Turquie]. Ce qui a l'heur de déplaire aux dirigeants turques comme on l'imagine. La création d'un état indépendant kurde en Kurdistan fut une promesse occidentale qui date d'après la guerre de 1914-18. Promesse non tenue, bien sûr.
La Turquie n'en reste pas moins signataire des conventions européennes des Droits de l'Homme. Ce qui la fera condamner à plusieurs reprises (plus de 600 fois) quant à sa gestion des affaires kurdes entre 2008 et 2013, dont des fait d'actes de torture contre des kurdes, des incarcérations non-justifiées et des mesures de répressions diverses et sanglantes.
La Turquie est loin d'être une blanche colombe, terre des droits de l'homme (et de la femme). Suite au putsh raté, la Turquie est condamnée pour ses 160 000 arrestations ... dont celles de deux journalistes, sans que l'on puisse trouver un lien de causalité avec une quelconque menace intérieure. Pour la dernière, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a condamné en juillet 2019 la Turquie pour une (nouvelle) atteinte à la liberté d'expression d'un journaliste pro-kurde (source)
Entre 1999 et 2005, le PKK attendait la possibilité d'un traitement du conflit négocié autour d'une table. Ils espéraient une reconnaissance de droits culturels. Cependant, les dirigeants turcs ont refusé cette solution pacifique.
Les forces armées du PKK furent les premières forces (sérieuses) contre l'Etat Islamiques. Ils furent salués en plusieurs occasions, en particulier, en 2014, lorsqu'ils réussirent à évacuer 200 000 yézidis abandonnés (chrétiens d'Orient). En 2015, les kurdes tenteront de sauver en négociant avec l'EI la libération de population, des femmes et des enfants, en captivité. On recensera 73 charniers. (source Wikipedia)
Du fait de son classement comme « groupe terroriste », la Turquie, les USA et l'Union Européenne refusèrent d'apporter un soutien logistique dans un premier temps, toutefois en première ligne. La Turquie fut d'ailleurs régulièrement mise à l'index pour préférer soutenir Daesh contre les kurdes. Elle fermera ses frontières afin d'interdire aux kurdes turcs de rejoindre les kurdes syriens.
Quelques centaines de kurdes turcs réussiront à créer des brèches pour rejoindre les défenseurs de Kobané. Malgrré les efforts des kurdes, Kobané tombera entre les mains de Daesch et sera repris par les kurdes plusieurs mois plus tard. La Turquie porte, en grande partie, la responsabilité de l'avancée de Daesch sur le territoire syrien. Les représentants occidentaux devront négocier leur aide derrière le dos de la Turquie. Cette dernière ira jusqu'à bombarder des positions kurdes alors en plein combat contre Daesh. (bataille de Kobané - source Wikipedia) Elle est aussi soupçonnée d'avoir permis le passage de char de Daesh par ses frontières.
La lenteur des occidentaux ne s'excusent pas et ne s'expliquent pas vraiment du fait de la valse turque. En effet, durant plusieurs années, la Turquie a été une véritable passoire permettant aux islamistes étrangers de traverser le pays pour rejoindre les rangs de l'Etat Islamiste. Ergodan souhaitait ainsi assoir sa position en Turquie vis-à-vis des islamistes turques. (source)
Les occidentaux, contre l'avis de la Turquie et de Poutine, ont fini par apporter une aide logistique et un soutien armé aux kurdes syriens.
Les femmes kurdes sont, depuis presque toujours, des acteurs incontournables dans la lutte armée que ce soit contre la Turquie ou Daesh, suivant les périodes de l'histoire du mouvement PKK. En 2013, TV5 présentaient ces femmes, enlisées dans des sociétés patriarcales, s'engager. Le PKK était présenté, non pas comme une organisation terroriste, mais un mouvement indépendantiste et politique, armé et violent, qui garantissait néanmoins une égalité homme/femme. Il félicitait aussi le BDP, parti représenté au Parlement Turc qui avec 29 élus comptait 14 femmes.
Cet article nous apprenait que le PKK comptait à peine 500 membres, réfugiés dans les montagnes.
L'importance des femmes kurdes est indéniable dans les combats contre l'Etat Islamique. En 2015, on comptait 50 à 60 000 combattants kurdes dont 40 % de femmes.
Cependant, ce qui marque l'esprit est que la Turquie s'est acharnée sur 500 combattants et combattantes, en tout et pour tout, depuis plusieurs décennies refusant toutes solutions pacifistes.
Le Kurdistan est une région d'Asie Occidentale, coincée entre la Turquie, la Syrie, l'Iran et l'Irak. La situation syrienne a permis aux kurdes syriens de prendre leur indépendance et de s'organiser politiquement et matériellement.
La Turquie envahit donc une région autonome et indépendante, perdue par la Syrie. Ainsi, la question soi-disant terroriste n'est qu'un prétexte pour envahir une région déjà dévastée par des années de lutte contre l'EI.
La Turquie n'a aucun droit sur cette région du monde comme sur sa population. La véritable crainte de la Turquie est la fondation définitive et actée d'un état kurde indépendant, permettant ainsi aux kurdes turcs de trouver une terre d'asile.
Cela fait plusieurs mois que la menace turque est annoncée. Autant de mois, soit depuis décembre 2018, que la France est appelée à apporter un soutien aux kurdes syriens. (source)
La Turquie a, néanmoins, une vue courte. Craignant le réveil d'indépendantistes kurdes (de Turquie), sa déclaration de guerre fait courir des risques à toute l'Europe. Tout d'abord, ce sont des dijhadistes qui risquent de se (re)trouver dans la nature et reprendre le contrôle de la Syrie. Envrion 10 000 familles sont sous la bonne garde des kurdes. L'autre risque est l'entrée en scène des rebelles syriens, anti-Assad, entraînés et financés par la Turquie, radicalisés, qui ne manqueront pas de rejoindre les rangs de (nouveau) Daesh. (source)
La communauté internationale est contrainte d'intervenir. Elle doit condamner – dès maintenant – la Turquie et interdire sans hésiter une invasion turque sur des territoires syriens et aujourd'hui kurdes.
La Turquie est signataire d'accords internationaux lui interdisant tout recours à la force contre une population sans accord du Conseil de Sécurité.
"Les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies". En application de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, un Etat ne peut se prévaloir de la légitime défense qu’après avoir fait l’objet d’une agression armée.
La Turquie contrevient donc aux droits internationaux et aux accords qu'elle a signé. L'accord de Trump ne changera rien. Elle risque de se trouver dans une situation précaire et à devoir payer la moindre goutte de sang versé.
Ethique. C'est cela le mot du jour. La question est, bien entendu, le respect d'accords internationaux, de la gestion d'une crise qui ne voit pas le bout, qu'autant d'aspirer à la paix. C'est aussi une question d'éthique. La trahison américaine devrait faire réfléchir l'Union Européenne. En effet, cette trahison peut devenir la nôtre.
Sources :
FranceTVInfo artile à lire ici.
Le Monde Diplomatique : Le problème kurde
Helali Mohamed Salah, « La question Kurde devant la Cour européenne des droits de l’Homme », Civitas Europa, 2015/1 (N° 34), p. 55-69. DOI : 10.3917/civit.034.0055. URL :Source