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La Maçonne

L'Universalisme : le piège de deux extrêmes.

Masques vietnamiens

L'universalisme est, à la fois, un concept philosophique et institutionnel. Il repose sur un principe d'égalité « universel », faisant du citoyen un être abstrait.

C'est, d'ailleurs, cette abstraction qui est l'objet des critiques. Le concept opposé à l'Universalisme est le Particularisme, qui considère le citoyen comme individu en reconnaissant à chacun des « particularités » en s'essayant de répondre aux besoins et attentes de ceux-ci. En tant que concept institutionnel, l'Universalisme  n'existe réellement que dans un seul pays : la France. Le concept n'a pas fait sa fortune. Par ailleurs, l'universalisme est souvent confondu et assimilé à celui de la laïcité. Tout au moins, peut-on dire que la Laïcité est issue du premier, sans pour autant l'être. 

L'universalisme est de prétendre à l'égalité. Je dis bien prétendre, car reposant sur les Droits de L'H(h)omme, elle est plus un principe d'égalité qu'un fait. Cet universalisme, tout républicain qu'il soit, n'a nullement empêché les inégalités de toutes sortes depuis la 1ère République à la cinquième : droit à l'instruction pour tous, accès à l'emploi, accès au logement, … égalité entre les hommes et les femmes … et j'en passe. Ce sont ces inégalités de faits – dont certaines ont été si criantes dans l'histoire républicaine de la France et qui le sont encore – qui font l'essentiel de la critique sur l'universalisme et qui ont donné lieu à l'éclosion de mouvements sociaux. 

Le citoyen abstrait,  sans particularité. 

 

Masque du Théâtre de Nô (Japon)

Le citoyen abstrait a accès à une école publique et laïque. Il a des droits fondamentaux lui assurant un droit au travail, à l'instruction. Il a une identité civile, une patrie, … Il ne peut pas être esclave ou victime d'un état démocratique. En gros, il existe tous les outils nécessaires pour faire du citoyen cet être abstrait, assimilé socialement et économiquement. 

Il est fait régulièrement l'amer constat que « cela ne fonctionne pas ». On ne sait pas vraiment pourquoi. Les pistes de recherche conduisent tout d'abord au premier levier : l'école qui ne fait pas son job – instruction civique ici, apprentissage de la laïcité là, … On regarde du côté des familles qui sont considérées comme « démissionnaires » (c'est donc bien de leur faute). Parfois, on jette un œil sur les politiques de logement sociaux en se disant que les barres HLM de 10 étages sur 1 km ne sont pas nécessairement un environnement permettant l'épanouissement des enfants et jeunes adultes. 

Certains même voient une différence (quel vilain mot!) entre la campagne et la ville, entraînant une logique de double vitesse entre l'accès au soin, à l'enseignement supérieur, … et aux musées nationaux. 

Si le citoyen abstrait n'a pas de religion, le citoyen réel dans la vraie vie peut en avoir une. S'il s'agit d'une partie de la population qui a une religion un peu trop marquée, qui demande des menus spéciaux dans les cantines par exemple, (un citoyen abstrait mange de tout, c'est connu et du poisson le vendredi) – c'est bien sûr « la faute à la religion ». 

Jamais, on se dit que ce serait peut-être la notion « d'universalisme » - origine des choses – qui serait à revoir.  Ceux qui osent pointer du doigt le concept vivent dangereusement. Ils ne sont pas « assimilés », voyez-vous. Ce sont des vils révolutionnaires, des « individualistes soumis à une société de consommation », des « anti-laïques », des « anti-républicains », des méchants « particularistes » influencés par le modèle anglo-saxon. En plus, on pourrait se dire que vraiment, là – c'est confirmé – on a vraiment un problème avec l'école, qui ne fait ABSOLUMENT pas son boulot ! La refonte du programme d'histoire est urgente. 

 

Masque Espagnol, Fête des Morts

Universalisme & particularisme. 


Ainsi, les « particularités » de certains groupes sociaux vivant en France sont effacés par la définition républicaine du citoyen. En sus, ce sont aussi leurs difficultés à se retrouver dans cette définition qui sont niés. En effet, le piège est qu'en reconnaissant l'existence des « particularités » est de prévoir des lois s'opposant au concept de l'universalisme, devenant « particularisme ». 

Pourtant, le législateur a reconnu des "particularités" à plusieurs groupes sociaux leur aménageant des droits et leur assurant protection.  

Pour exemple : la parité est une loi relevant une différence entre les hommes et les femmes faisant le constat que les citoyennes qui ne sont pas des citoyens comme les autres n'accédaient pas aux instances gouvernementales, parlementaires ou locales. La loi contre les signes religieux à l'école est aussi une loi relevant une « différence », celle-ci religieuse, entre les citoyens. Les lois pour l'égalité des hommes et des femmes, celles contre le racisme, l'homophobie, l'antisémitisme, le sexisme – dernièrement la loi pour le mariage « pour tous » - sont autant de lois qui admettent que les citoyens, non seulement ne sont pas abstraits, mais sont aussi différents et doivent être protégés. 

Les lois sur les régimes sociaux, les retraites, les accès au soin ou encore l’handicape sont aussi des lois qui soulignent que nos citoyens abstraits sont aussi différents face à la vieillesse , aux accidents, et  à la maladie.

Certaines lois ont été évidentes à obtenir – en particulier celles censées lutter contre la pauvreté, la maladie – même si le citoyen abstrait ne peut pas être pauvre, malade et handicapés –  Pour d'autres, cela a été moins évident, en particulier, pour les droits des femmes, « ces hommes comme les autres », « citoyens » mais difficilement « citoyennes ». 

La loi sur la laïcité est censée avoir réglé, une bonne foi pour toutes, les « différences » religieuses, octroyant à chacun le droit d'avoir une religion, un culte, mais l'enferme dans la sphère privée  n'interférant pas dans la sphère publique.

Le citoyen abstrait n'a pas de religion. Cette loi reconnaît la particularité d'une partie des citoyens – qui pour le coup paraissent bien moins abstraits – d'en avoir une. Or, cette loi se heurte aux manifestations publiques de ces religions : une croix ici, une crèche par là, un voile … et un discours « communautariste ». Ce que l'universalisme ne supporte pas est bien le « communautarisme ».  Le citoyen abstrait n'appartient à aucune communauté – uniquement à la Nation.  

Par la force des choses – et ce n'est pas moi qui m'en plaindrais – l'universalisme républicain s'est perdu en route. Il existe des tentatives de réveil de ce concept et, avec lui, parce qu'il est d'une part mal compris et qu'il reflète la peur de l'autre et des angoisses pour l'avenir, cela engendre de nombreuses dérives. 

 

Masque africain

Les extrêmes de l'Universalisme : l'identité nationale. 

Un des extrêmes de l'universalisme se trouve chez les « identitaires ». Il faut, en effet, pour cela, comprendre que le concept de « l'universalisme » est aussi religieux et se trouvent d'ailleurs parfaitement formulé dans le catholicisme. Elle fait du fidèle un être abstrait, éternel pêcheur ayant une âme à sauver. Le catholicisme vient, d'ailleurs, du grec « Universel ». Le champ religieux n'est, bien sûr, pas le premier à avoir tenté de définir cet « être universel » qu'est l'humain, les philosophies grecques et latines s'y sont activement penchées.

Tenter de définir une « identité nationale » et donc de définir le citoyen abstrait, «être universel » à travers celle-ci, n'est absolument pas contraire au concept républicain de l'Universalisme.

Il dote le citoyen abstrait d'une culture « commune ». Ce que d'ailleurs tente de faire avec plus ou moins de bonheur les programmes scolaires. Peu importe, la réalité du terrain. Cette « identité nationale » répond à ce qui apparaît être une invasion culturelle étrangère – qui peut être très bien américaine ! - et à un besoin de reconnaissance d'une origine de ce qui est présenté comme "commun". 

L'enjeu est de faire reconnaître sa particularité et d'en faire l'étendard républicain, un socle commun de valeurs morales. Celui républicain étant un peu trop abstrait. La recette marche.

Alors que « l'identité nationale » était réservée aux intégristes catholiques, elle fut reprise par des politiques. 
François Fillon, alors Premier Ministre, dans son discours clôturant le débat sur « l'identité nationale », le justifiait ainsi : (texte complet ici)

Masque Venise (Carnaval)

« Nous sommes les héritiers d’une Histoire exceptionnelle dont nous n’avons pas à rougir.
Nous sommes les dépositaires d’une culture brillante, dont le rayonnement international doit être fermement défendu.
Nous avons nos mœurs et un certain art de vivre dont il faut bien dire que les observateurs étrangers le perçoivent, souvent mieux que nous-même.
Alors est-ce qu'il faut négliger, est-ce qu'il faut ridiculiser, est ce qu'il faut balayer tout cela ?
Et au profit de quoi ?
D’une société sans âme, dominée par un individualisme forcené ?
[…]  La fierté d’être Français ça n'est pas quelque chose qui se célèbre une fois par an, le 14 juillet: elle conditionne, tous les jours, la pérennité de notre modèle politique, et la solidité de notre pacte. Je ne crois pas qu’on puisse être un républicain de circonstance, de même que je ne crois pas qu'on puisse être un patriote de hasard.
Je ne crois pas qu’on puisse, en France, prôner un régime démocratique exemplaire, et en même temps entretenir par ses mots, ou par son incivisme, le discrédit du pays.
[…] .Pour raffermir nos repères historiques, civiques et moraux, le Président de la République a souhaité que soit ouvert un débat sur l’identité nationale, dont il a confié la conduite à Eric BESSON.
Avec ce débat - dont les premières échos montrent qu’il intéresse voire même qu'il passionne nos concitoyens - nous avons interpellé les Français sur l’essentiel : qu’est-ce que la France au XXI ème siècle ? Quelles sont nos valeurs communes ? Qu’est-ce qu’être Français ? […] La France ce n’est pas une fiction sans traits et sans visage. […] 
 Alors, qu’est-ce qu’être Français ?
J’ai mes réponses. Et je vais les offrir pour ce qu'elles valent, parmi 65 millions d’autres, mais en redisant que j’y attache ma sensibilité, mon expérience et mes combats politiques. Etre Français, c’est d’abord appartenir à un très vieux pays d'enracinement.
Le brassage des deux derniers siècles n’a rien changé au fait que les Français se réclament toujours de lignées anciennes. La France fluctuante et mobile d’aujourd’hui recouvre, sans la remplacer, cette France des origines.
Les identités se stratifient sans s’effacer. On vit à Paris sans cesser de se dire basque, breton, provençal ou auvergnat.
Même laïque et urbaine, cette France tient aux rythmes d’une tradition chrétienne et rurale.
Elle n’oublie ni ses villages, ni ses coutumes.
Au XVIIe siècle, RICHELIEU en jette les bases, en mettant sur pied un réseau administratif, un système fiscal, une flotte, une armée. Il met d'une certaine façon sur pied la modernité française.
Et NAPOLEON la rénovera deux siècles plus tard.
Les Français sont et restent de formidables gestionnaires de l’espace national. Ils aiment tracer des routes, élever des digues, jeter des ponts, engager un dialogue entre la raison et la matière vivante du pays.
Dans les jardins, cela donne Olivier de SERRE, Le NÔTRE, La QUINTINIE.
Dans les bâtiments, GABRIEL, LEDOUX, EIFFEL, PERRET.
Dans l’armée, VAUBAN.
Dans les institutions, CAMBACERES.
Dans le droit, PORTALIS.
A chacun de mes déplacements, je retrouve chez les Français ce tempérament d’ingénieur, et ce goût d’aborder la réalité avec les exigences d’une vision intellectuelle.
RICHELIEU et BONAPARTE mêlaient l’esprit de géométrie avec le sens de l’utopie.
 » 

Dans cette longue litanie, appelant à multiples références culturelles que vous pouvez retrouver complètement en lisant ce discours qui, heureusement n'a rien d'historique, on retrouve bien les questions/réponses de ces français qui se demandent « qui ils sont ».

Le français non-chrétien ne peut pas comprendre, - et il s'agit d'une compréhension quasi-surnaturelle – l'Histoire de France et les Grands Hommes comme Richelieu et Bonaparte qui se trouvent avoir un « esprit de géométrie avec le sens de l'utopie ».

Ce discours, dont le fond est nationaliste et identitaire, ne dénote absolument pas avec d'autres que l'on peut trouver sur la forme le thème de la Nation, d'une Nation Universelle, qui utilise aussi l'Histoire. Il entre dans la longue tradition républicaine. 

Pour le fond. Le citoyen républicain serait dépossédé autant de l'histoire de son pays que de ses racines (bien sûr chrétiennes). Il ne sait plus qui il est et son identité est menacée par les désillusions et le relativisme historique.Il s'agit ainsi de définir autant le citoyen "universel" mais français que de trouver les éléments assimilables. 

Le citoyen républicain et abstrait a besoin de croyance simple – ici la croyance à des grands hommes qui ont construit le pays à l'aide de jardins, ponts et routes – Si on trouve les propos de Fillon puérils, ils ne le sont pas – pas plus, du moins, que « nos ancêtres les Gaulois, barbares hirsutes, vaincus par la grande Rome ». 

Il s'agit d'une dérive du concept de l'universalisme, du fait d'une part par les réponses des opposants à l'identité nationale, d'autre part parce que les défenseurs de l'identité nationale faisant des notions d'histoire ou de culture une abstraction. 

  • Les opposants à « l'identité nationale » estiment, et pour moi c'est avec raison, que la culture et, par là même, sa perception de son identité, est un particularisme et doit rester dans le champ du « particulier ». Le citoyen réel, dans sa vraie vie, se forge lui-même sa propre culture, ses propres vérités et acquiert de lui-même les éléments nécessaires à son propre progrès. Les francs-maçons sont assez bien placé (ou devrait l'être) pour savoir – sinon ressentir – que leur construction personnelle passe autant par leur expérience, leur vécu et leur connaissance.
  •  L'abstraction de l'Histoire nationale oblige à idéaliser cette histoire, à donc la limiter dans le champ de la recherche de la véracité historique. Un Bonaparte utopiste est aussi fantaisiste que des Gaulois, barbares aux grosses moustaches de vikings, de nos livres d'histoires.  Cette abstraction fait appel aux sentiments les plus nobles : fierté d'être, supériorité de la Nation dans l'histoire dont on est les héritiers, une France « des origines » supplantant le « brassage de ces deux derniers siècles », lignée. Or, le brassage des siècles précédents est oublié - et oui, cela s'apparente à l'ethnie ou à la race – qui se veut ancienne et donc méritant reconnaissance et des droits supplémentaires, etc. 

Le paradoxe de cet "universalisme" et - ce qui en fait d'ailleurs la critique - est qu'autour d'une définition du citoyen abstrait républicain "universel", il est fait deux catégories. Ceux qui entrent dans le cadre (une famille implantée en France depuis deux siècles au moins, une compréhension sur-naturelle de l'Histoire, des croyances et une culture communes reposant sur une interprétation de l'Histoire, etc) et ceux qui n'entrent pas dans le cadre. On appelle cela du racisme si on est normal. De cette définition du citoyen républicain découle des politiques d'assimilation (et non pas d'intégration, bien que les français confondent bien volontiers les deux termes), permettant de supprimer les particularités de l'autre partie de la population (culturelle et religieuse, dans ce cas). 

On comprend pourquoi "cela plait" au delà de l'extrême-droite. Cette identité "nationale" fait appel aux peurs des différences, mais aussi à un besoin de reconnaissance de ce que certains considèrent être "une culture". Elle plait surtout à des individus qui ne possèdent pas de bases culturelles suffisantes donc incapables d'une réflexion critique. Cette "identité nationale" reflète bien plus un appauvrissement culturel général qu'un retour aux bibliothèques faisant de l'histoire non pas une succession de faits mais un émotionnel. 

 

Masque carnaval italie

La dérive laïcarde de l'Universalisme. 

L'autre dérive à l'opposé de celle présentée est, quant à elle, « laïque ». Une laïcité qui, au final, n'est pas plus tolérante que cette notion "d'identité nationale". Pour l'illustrer, j'ai fait appel à un texte de la Commission Laïcité de la Grande Loge Féminine de France qui est publié dans le numéro « Voix d'Initiées » « La Laïcité, aujourd'hui – points de vue d'initiées ». A souligner que ce numéro est présenté comme un "best seller" de la maison d'édition Confrom Edition. 
La GLFF a inscrit dans sa déclaration le principe « la Laïcité » comme étant son « indéfectible attachement » depuis plus de 10 ans. Il était donc, naturel, qu'elle publie un livre traitant ce thème. 

Alors que la laïcité est quand même un travail que de nombreuses loges et sœurs de la GLFF  mènent avec rigueur, les lectrices et lecteurs pourraient être déçus par cette publication qui est, dans l'ensemble, médiocre. . 

Le texte. 

Le texte qui a attiré toute mon intention s'intitule « Peut-il avoir plusieurs laïcités ? ». La réponse est donnée immédiatement dès la première ligne « c'est non ».

Ajoutant « A moins d'oublier de quoi l'on parle, à savoir d'une valeur et pas seulement d'un principe constitutionnel pour « faire société », comme le dit laidement la novlangue. Que dirait-on de valeurs telles que la justice et la compassion, dont on souhaiterait qu'elles soient ouvertes ou fermées, strictes ou inclusives. On dirait que ce ne sont plus des valeurs ! ». 

Malheureusement pour les auteures de ce texte, si la justice ou la compassion sont entendues comme valeurs, celles-ci acceptent autant de définitions qu'il est possible d'en donner et, si c'était si simple, bien des philosophes n'auraient pas tenté de les définir. De plus, autant que je sache, la Laïcité est bien aussi et surtout « un principe constitutionnel » parfaitement inscrit dans la Constitution de la Vème République. Je vais surprendre : j'y tiens quitte à « faire société ». 

Le préambule continue par « Que dirait-on d'une égalité à plusieurs vitesses, sinon que ce n'est pas plus l'égalité !  Une valeur ne se divise pas, ne s'abjective pas, ou elle n'est plus.». 
Sûrement. Notre société et République se voulant égalitaire, n'empêche nullement les inégalités – que cette égalité soit à une ou plusieurs vitesses, que cette valeur se divise ou non. 

On va dire que c'est plutôt mal parti. Dans ce texte comme dans tout le livre, il est assez difficile, d'ailleurs, de savoir de quoi, "justement l'on parle". 
Dans ce préambule, on a plutôt le sentiment que les auteures parlent plutôt de la loi – qui elle ne se divise pas – que de valeurs qui,  somme toute, sont laissées à la libre appréciation de n'importe quel citoyen en fonction de ses propres références. En même temps, une loi se discute – c'est d'ailleurs le rôle du Parlement. Mon côté libertaire me perdra ! Bref, l'absence d'argumentation ne permet pas vraiment de comprendre ces vérités assénées à coups de points d'exclamation. Le préambule continue, pourtant ainsi : 

« Ce que nous voulons dire , c'est qu'il importe de ne pas jouer – frauder?- avec les mots, mais de revenir aux fondamentaux. Et le fondamental de la Laïcité tient en un seul mot, celui de la séparation : 

  • Séparation de l'Eglise et de l'Etat
  • Séparation de la sphère publique et de la sphère privée, 
  • Séparation de l'individu et du citoyen , tant il est vrai que pour devenir citoyen il faut se « déraciner », se séparer. » 
Masque chinois

Le reste du texte explique « Qu'est-ce que la Laïcité ? » citant Régis Debray et Catherine Jeannin-Naltet. Les auteures conclut que « La Laïcité, donc, ne parle pas des croyances, mais du vivre ensemble au delà de la croyance ou de l'incroyance. »

" La Laïcité , à la GLFF, nous connaissons", qui rappelle les attentats de janvier 2015, appelant aux sœurs de se réveiller face aux menaces. Elles affirment à la question « que font les franc-maçonnes pour la Laïcité ? - Réponse : elles travaillent. ».

Puis suivent les propositions faites au Sénat en 2016 par la GLFF (j'espère que ce texte ne leur pas été remis!) qui sont classiques : instruction à la Laïcité dans les écoles, « Expliquer de façon solennelle les règles de fonctionnement et les valeurs de la société française », chartes de la Laïcité dans les entreprises, interpeller les religions sur leurs dogmes, et donner un sens à la journée du 9 décembre dédiée à la Laïcité. 

« La Laïcité, aujourd'hui : une cause et un combat. » est le chapitre concluant ce texte qui appelle à « résister à la montée des obscurantismes et des intégrismes ». « La Laïcité est un idéal » alors qu'au début il s'agissait d'une valeur qui ne se discutait pas. Elle devient même pour les auteures de ce texte, reprenant les propos d'une loge, «notre colonne vertébrale et notre Delta ». 

Ainsi, quant à la question du départ, titre du texte : "Peut-il avoir plusieurs laïcités ?" , il faut se contenter du "non" catégorique et du préambule. Il est omis, bien sûr, de préciser que plusieurs pays ont accepté ce principe et qu'il n'est pas tout à fait comme celui français. D'ailleurs ce livre ne parle que de la France. 

Ce qui m'interpelle – et qui interpellera mes lectrices et lecteurs – est le passage : « Séparation de l'individu et du citoyen , tant il est vrai que pour devenir citoyen il faut se « déraciner », se séparer. » 

Déracinement et séparation de soi? 

C'est assez amusant quand on sait que la GLFF a, actuellement, une grande maîtresse qui a des difficultés pour se séparer de son crucifix et qui a préfacé ce volume de la collection « Voix d'Initiées » et qui veut en faire une "colonne vertébrale et un delta". Je parle de laïcité, pas de ses adorables crucifix. 

Le citoyen français est, donc, un déraciné. Voilà de quoi combler le vide de l'abstraction. Bien sûr, nos auteures ne développent, ni n'expliquent en quoi c'est "tant il est vrai" (ni dans le texte, ni dans le livre), ni encore de quoi l'individu doit se séparer pour être citoyen.

Un individu déraciné est celui qui a perdu sa patrie, sa famille, sa langue, sa culture, et même ses droits .... Nos auteures ne le savent pas, pour certainement ne pas en côtoyer , mais c'est ce qui distingue dans le fond le migrant, l'apatride, celui qui fuit les guerres, qui vit dans des camps de réfugiés de celui qui est au chaud chez lui, mange à sa faim, a un emploi, peut espérer donner à ses enfants un avenir. Le déracinement, cause de souffrance, est aussi une des causes de la radicalisation des enfants et jeunes adultes de nos cités

Il n'est pas plus expliqué, alors que cela aurait au moins le mérite de servir de guide à toutes et à tous, comment on peut "se déraciner", "se séparer de soi-même". Y-a-t-il une méthode, une recette, une formule magique ? Sous hypnose peut-être? Doit-on quitter son pays, ses amis, sa famille, etc? Rien n'en est dit. 

 

Masque Venise

Cette notion de "séparation de l'individu", définit deux catégories de citoyens : ceux qui le sont naturellement et l'autre qui doivent « se déraciner » pour en mériter le titre. Il y a les "bons citoyens" et les "mauvais". C'est un point commun avec le concept de "l'identité nationale". Il y existerait une définition du citoyen "parfait" et des autres.

Mais se "déraciner de quoi"?  

S'il s'agit d'un déracinement culturel - d'une séparation d'avec son propre savoir - les lettrés, savants, chercheurs, érudits, artistes, ... seraient en première ligne des "mauvais" citoyens dont il faudrait se méfier.

Vient ensuite l'enjeu des "régionalistes" - qui du cassoulet à la choucroute - ne peuvent se targuer d'être "déraciné" et encore moins de faire l'effort de l'être. Il y a bien sûr des professions qui empêcheraient l'exercice de la séparation de soi et de la citoyenneté abstraite : les soignants, le personnel des services sociaux, la police, l'armée, les juges et les femmes et hommes de justice, ... qui ne peuvent qu'être influencés par leurs métiers et ne peuvent exercer pleinement des missions citoyennes.  

Si le déracinement est physique, ce sont les français qui ne vivent plus en France qui sont nos meilleurs citoyens. Y-a-t-il une durée d'immigration obligatoire?

Puis viennent en second plan, les immigrés - qui déracinés de fait - certes pas de la France - mais allons-nous pinailler pour ce genre de détails? - font les meilleurs citoyens français. Encore faut-il que nous nous entendions sur le mot "immigrés". Celle et celui qui, dès l'enfance a fréquenté nos écoles, a perdu cette ultime qualité se devant lui-aussi se séparer de la culture apprise. D'ailleurs, je me demande pourquoi nos auteures ne demandent pas la fermeture des écoles. L'illettrisme est une bonne solution pour faire des français, le citoyen idéal. 

Je sais qu'elles affirment que "La Laïcité, donc, ne parle pas des croyances, mais du vivre ensemble au delà de la croyance ou de l'incroyance.". Cependant, je suis aussi contrainte d'envisager que l'exercice d'un culte interdit l'exercice de la citoyenneté. Prêtres, pasteurs, nones , moines, rabbins, ... sont donc sommés de se séparer d'eux-mêmes sans distinction de sexe, de couleurs de peau, d'origine et de croyances. 

Les associations philosophiques et ésotériques sont tout aussi néfastes à la citoyenneté que les religions. Histoire de ne pas créer une inégalité, nos auteures estiment sûrement que tous les francs-maçons font des citoyens médiocres et qu'ils sont invités à se déraciner, à se séparer d'eux-mêmes. 

Cette notion de citoyen déraciné et séparé de lui-même fusionne avec la notion du citoyen abstrait. En effet, comme aucune culture et aucune religion ne peut être considérée comme "universelle", le problème de l'Universalisme est de faire des citoyens les plus proches possibles de la définition abstraite qui est donnée afin que leur jugement ne soit pas pollué par leur cadre culturel. Ce fut, d'ailleurs, un débat datant de la "Révolution de 1789" - l'école était une "fabrique de citoyens", imaginant ainsi de sortir les enfants de l'influence familiale et religieuse et leur inculper le goût de la citoyenneté. 

L'école a échoué dans sa mission de formatage du citoyen. Les citoyens sont non seulement des mauvais élèves mais aussi ont pris la fâcheuse habitude de penser par eux-mêmes. Il faut donc trouver une solution "acceptable" : la séparation de soi, le déracinement est celle-là.

Je ne sais pas dire qui est à l'origine de cette idée - qui n'est pas une invention des auteures de ce texte (sinon, elles auraient au moins pris la peine de la développer !) - mais je la situe dans l'histoire de la pensée aux alentours du 19ème siècle voir début du 20ème siècle. Les spécialistes que je sais avoir parmi mes lecteurs et lectrices sauront le préciser. 

Elle reflète un état paternaliste, se devant de guider le citoyen égaré, influencé par son milieu social et économique. Enfin, cette idée n'est pas nouvelle bien qu'elle soit, à notre époque choquante et absurde. Elle prône, en effet, une citoyenneté à deux vitesses ; les méritants dégagés de toute influence négative (culturelle, religieuse, familiale ...) et les autres. Les autres coupables par naissance.

On peut rapprocher cette approche de la première "identitaire" - si dans le fond le résultat est à l'opposé, l'origine de la question est la même : la peur des différences entre citoyens, avec la tentative de limiter leurs différences soit en définissant un socle culturel, soit en faisant des citoyens des décérébrés sans culture. Les deux visions sont aussi intolérante l'une que l'autre. 

La notion de l'état et de son rôle a, fort heureusement, évoluée. Il n'est plus le père et le guide du bon citoyen. 

Depuis les années 80, la Laïcité – concept qui semble-t-il ne se discute pas – fait appel à la neutralité de l'état plus qu'à une notion de séparation de celui-ci avec les églises. Il ne se positionne plus et ne juge plus le citoyen en fonction de leur culture, croyance ou origine. Tous les citoyens sont bons. 

Depuis les années 2000, la Laïcité intègre les notions tel que le pluralisme, le cosmopolitisme, le multiculturalisme faisant du citoyen, un être libre, pluriel, homme et femme de plusieurs cultures – et non pas de culte - reconnaissant ainsi la diversité - mot devenu même à la mode - non plus contrainte nationale que l'on s'atèle à ne plus juger dans un effort de neutralité, mais une richesse que l'on souhaite protéger. Le citoyen abstrait  n'existe plus. Il n'est plus sans culture, sans foi, ni loi mais un être vivant, pensant, aimant et égal.  Car il n'est pas vrai que pour devenir citoyen il faut se déraciner. 

Quelques mots de plus sur ce volume "La Laïcité aujourd'hui" de la GLFF. 

Lorsque je disais que ce volume de « Voix d'Initiées », collection qui fait ma joie et mon admiration, est médiocre, il ne s'agit pas d'un moment de mauvaise humeur. Ce texte comme d'autres endure un défaut de construction et de rigueur. Les idées sont accolées les unes derrière les autres sans être argumentées ou approfondies. Ce texte propose, par exemple,  un sujet par son titre, et ne le traite (surtout) pas ... Entre affirmations gratuites et platitudes, ce livre ne conduit pas loin.  

La GLFF et ce groupe de conceptrices a prétendu pouvoir monter un livre sur un sujet complexe sans avoir - en fond - une culture suffisante pour développer et argumenter certaines idées. 

Comme la Commission de la Laïcité ne s'est nullement inquiétée de la neutralité religieuse de leur grande maîtresse, arborant une croix en diverses occasions publiques, il faut croire que si elles affirment qu'il n'existe pas de double vitesse en ce qui concerne le principe, voir la valeur, de laïcité, au moins au sein de la GLFF, elles se gardent bien de le mettre en pratique. Pour les paraphraser, il n'existe plus de laïcité à la GLFF. Celle-ci est corrompue, "la notion se dilue, devient confuse, s'avarie". 

Il n'y a qu'un pas à franchir, aussi, pour estimer, qu'entre ce texte et la réalité de la GLFF, il n'y aurait finalement qu'une seule religion - et donc qu'un seul groupe de citoyens - à qui ils seraient demandé de se "séparer d'eux-mêmes" , de se "déraciner".

Ce livre dans différents articles dénoncent le communautarisme, sans d'ailleurs le définir, comme il dénonce les débats publiques sur la Laïcité, les accusant de diluer la notion, mais aussi affirme que "Il nous semble en effet que nous, franc-maçonnes de la Grande Loge Féminine de France, ne devons faire "qu'une", et donc n'avoir "qu'un regard", quand il s'agit de Laïcité". Quelle arrogance ! Non seulement les citoyens n'auraient pas le droit de débattre mais aussi les soeurs de la GLFF !

Or, et c'est bien ce qui me chagrine, il existe au sein de la GLFF des tonnes de textes sur la Laïcité, écrit par des soeurs, des loges, qui sont d'une autre tenue que ce qui est présenté dans ce volume. Des travaux novateurs, exigeants, rigoureux, bien écrits, ... et passionnants, donnant effectivement à la Laïcité une dimension nouvelle. C'est si vrai, que jusqu'alors, j'évitais de traiter ce sujet sur ce blog sachant que des soeurs de la GLFF étaient largement au-dessus de mon petit niveau. 

Où sont-ils passés? Pourquoi n'ont-ils pas été sélectionnés? Très certainement que ces travaux ne correspondaient pas aux idées étriquées des conceptrices de ce livre et qu'elles ne les comprenaient pas.

Conclusion. 

Entre le premier extrême qui veut donner des racines culturelles et religieuses à ce citoyen qui souffre de son abstraction et celles (ceux) qui préconisent un déracinement afin que l'individu soit conforme à cette abstraction du citoyen donnée par l'universalisme, j'espère qu'il existe un juste milieu que j'aurais souhaité lire sous les plumes des sœurs de la GLFF. 


Le rôle d'un franc-maçon – d'autant plus d'une franc-maçonne de la GLFF – n'est pas de tomber dans les pièges faciles de l'extrême, de la peur de l'autre et de l'angoisse pour l'avenir. Il est de construire cet avenir dans la paix et la tolérance. 

Ces deux exemples montrent bien que, dès que l'on pose la question du "citoyen abstrait", il ouvre à des dérives d'un extrême à l'autre dont l'erreur est de juger les citoyens et d'évaluer leurs qualités citoyennes. 


 

Sources et pour aller plus loin : 

Universalisme chrétien, religions du monde et structures séculières  G. Thils - Revue théologique de Louvain  Année 1981  Volume 12  Numéro 2  pp. 147-165 - 
http://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1981_num_12_2_1833
 

Le modèle culturel français de l'universalisme au narcissisme? Brito, António Ferreira de, 1938-2011 Porto : Universidade do Porto. Faculdade de Letras. Instituto de Estudos Franceses,  1995 - http://hdl.handle.net/10216/9289

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P
Cette longue réflexion pourrait être divisée en deux articles : un sur les inégalités de la société française, l'autre constitué par la critique acerbe de la publication de la GLFF sur la laïcité.<br /> <br /> Malgré sa devise "Liberté, égalité, fraternité", la France est inégalitaire. Il utile de le rappeler, cela peut encourager à agir pour faire descendre dans la rue cette devise des frontons des mairies.<br /> <br /> A propos, d'après le dernier rapport de l'OXFAM l'inégalité entre le 1% des plus riches de la planète et les 99% restant n'arrête pas de se creuser. La France n'est pas seule...<br /> <br /> Cela ne me semble pas remettre en cause l'idéal maçonnique de l'universalisme. L'universalisme maçonnique n’implique pas l'uniformisation. Il considère tous humains comme frères et sœurs, donc liés par un puissant lien. Aujourd’hui, suite à tout ce que nous apprenons sur l'interdépendance écologique, économique et politique de l’ensemble de l'humanité, ce lien viscéral devient de plus en plus évident. <br /> <br /> "Il nous faut apprendre vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons périr ensemble comme des imbéciles". Martin Luther King<br /> <br /> J'aimerais ajouter que pour répondre aux défis de notre époque, il faut l'apport de toute la richesse de chaque individu et de chaque groupe humain, ce qui implique le respect de la diversité.<br /> <br /> Je ne commentai pas la seconde partie concernant "La Laïcité, aujourd'hui – points de vue d'initiées" que je n'ai pas lu. Il semble souffrir de la même tare que la plupart des rapports sur les questions à l'étude des loges. <br /> <br /> Pour dire ce qu'il pensait des commissions, ou de la démocratie, Clemenceau a utilisée une image: "Savez-vous ce qu'est un dromadaire? Un cheval, dessiné par un comité."
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