29 Septembre 2016
La rentrée est passée. Vous êtes nombreuses et nombreux à préparer avec minutie vos sujets et à vous interroger : symboliques ou sociétaux?
Dans le fond, vous faites ce que vous voulez. Oui, c'est cela la franc-maçonnerie : faire ce que l'on veut, être libre et donc de choisir toute seule et tout seul, comme des grandes filles et des grands garçons, (mais pour eux, on y reviendra), vos sujets de réflexion et donc vos planches . Pas d'obligation, donc. Sauf dans les obédiences et les loges qui refusent – quitte à s'arracher un bras et autre chose– tous les sujets sur des faits de société. Sauf pour les frères et les sœurs qui hurlent au scandale lorsqu'ils voient l'un d'entre eux se pointer, mine de rien, derrière un titre ambigue.
Les obédiences libérales, en général, ne posent aucun interdit.
Droit Humain, Grande Loge Mixte de France, Grande Loge Mixte Universeille : les unes et les autres se sont fondées au cœur de mouvements contestataires et féministes. La Grande Loge Féminine de France, dès sa première seconde d'existence, alors qu'elle s'appelait Union Maçonnique Féminine de France, posait lses jalons après la 2nde Guerre Mondiale. Ses deux questions à l'étude des loges, dès 1945, étaient sur l'un sur la paix et le rôle des femmes, et l'autre sur la réforme de l'école laïque (à croire que l'école est une entité éternellement à réformer).
Le Droit Humain, pour ce qui le concerne, est une obédience qui trouve son origine autant dans la Grande Loge Symbolique Ecossaise qui, comme dans sa forme et son fond, s'opposait à toute forme de symbolisme. Des loges ont même envoyé une pétition pour que des symboles maçonniques soient installées dans leurs temples ! On n'imagine même pas cela à notre époque ! Parmi les signataires se trouvaient : Papus, Oswald Wirth, … Les ennuis ont, alors, commencé. Mais revenons à notre sujet principal : pourquoi cet interdit ?
Le seul moyen, afin de ne pas se mettre à dos toute l'aristocratie et plus tard la grande bourgeoisie, était d'interdire – sinon de contrôler – ces loges. Ce fut, donc, un certain Joseph Bonaparte qui fut nommé par Napoléon comme Grand Maître du GODF.
C'est aussi grâce à Roëttiers de Montaleau que l'épuration des antibonapartistes fut possible. On peut aussi constater que les nombreux « hommes » de Napoléon (Cambacérès, Louis Napoléon, Joachim Murat, Amable, ..) ont pris les fonctions clefs au sein de l'obédience. La police secrète s'est infiltrée grâce à Fouché, les délations tombent comme des guillotines ou des serrures que l'on ferme. Des loges militaires fleurissent, et d'autres portent des noms évocateurs comme « Saint-Napoléon », « la Française de Saint-Napoléon » … C'est ce même Roëttiers de Montaleau qui, quelques années plus tard, présida la cérémonie funèbre organisée par le GODF de Louis XVIII, qualifié « d'auguste protecteur de l'ordre ». Les républicains n'avaient qu'à se faire oublier. Pour être contestataire, il ne fallait pas être franc-maçon, si l'on tenait à sa vie.
Ceci signifie, tout simplement, que c'est le pouvoir politique qui a infiltré la franc-maçonnerie, bien plus sûrement que le contraire. Les potentats ont un point commun : tous détestent la contestation sous toutes ses formes, les idées qui les mettent en cause … qu'elles soient politiques ou religieuses. Le « ni politique, ni religieux » a été maintenue, préservée avec la diligence maniaque des obédiences.
Si vous voulez mon avis – mais vous êtes là pour l'avoir même si vous ne le voulez pas – maintenir cet interdit de sujets n'est pas à mes yeux le symbole d'une grande évolution des obédiences. Il n'y a pas de quoi non plus d'être fier d'une telle tradition.
C'est assez malheureux d'ailleurs de savoir que de nos jours plusieurs millions d'hommes se réunissent pour ne rien contester, pour ne réfléchir à rien sur leur société, ni même une guerre, ni même une injustice, ni même la misère ne les tourmentent. Il y a tant de crimes qui n'ont jamais été dénoncés ces trois derniers siècles par les francs-maçons. Devons-nous continuer ainsi?
Si je dis que les obédiences libérales et adogmatiques, que j'ai présenté cet été dans un article, n'interdisent aucun sujet de planches. C'est, bien sûr, sur le papier ou du moins l'écran de votre ordinateur. La crise de la GLDF, depuis la Déclaration de Bâle de juin 2012, a fait ressortir une autre réalité, une argumentation sortie de l'obscurité. Travailler sur des sujets qui nous touchent n'est pas de la franc-maçonnerie. En effet, au sein même des obédiences libérales et adogmatiques, il existe soit des loges entières soit des frères ou des sœurs qui souhaiteraient voir interdire cette fâcheuse manie qui est de réfléchir. Pour la GLDF, c'est purement politique : ressembler aux obédiences dites « régulières », se faire reconnaître ou entrer en concurrence avec elles. La GLDF a cependant acquis, dans son histoire, ayant la même origine que le Droit Humain : la Grande Loge Symbolique Ecossaise, la contestation.
Mis à part les gros sabots de la GLDF, d'autres arguments plus subtils existent et méritent d'être signalé. Des francs-maçons et des francs-maçonnes ne savent plus rien de leur rituel, se contentant d'en faire une sorte de cérémonie ennuyeuse. Vous vous êtes bien amusée de «Chiboulette » ou du « Chiffre 5 » de la loge Dionysos. Ce ne sont pas les incapacités de la secrétaire qui sont mis en cause, mas le m'enfoutisme de toute une loge qui est pointée du doigt. Cette secrétaire est aujourd'hui 2nde surveillante. Autant dire qu'elle est la meilleure symboliste que cette loge de la GLFF compte.
Ces sœurs et ces frères qui militent contre les sujets dits sociétaux déplorent que les bases, la méthode maçonnique ne sont pas acquises pour de nombreux maçons. La loge Dionysos de la Grande Loge Féminine de France en est un exemple vivant. Devant un tel exemple, on peut effectivement parler d'échec initiatique, de club-service ou de temple de la médiocrité.
Malheureusement, on ne peut que donner raison aux détracteurs des « sujets sociétaux » devant un tel exemple. Pourtant, la loge Dionysos ne traite aucun sujets sociétaux. Elle est une de ces loges de la GLFF qui se dit « symboliste », méprisant les sœurs du Rite Français qu'elles jugent « trop sociétales ». En étant une, cela m'a été reprochée 10 000 fois !
Si une sœur qui souhaite une authenticité dans sa démarche ne peut rester dans une telle loge, (de toute manière, toutes ont été poussées à la démission ou sont virées), quand elle ne quitte pas la GLFF, c'est l'ostracisme et l'obscurantisme, autre revers de la médaille, qui est à souligner.
Traiter de sujets sociétaux n'est nullement synonyme de sombrer dans la médiocrité, dans l'ignorance, ou encore maltraités les symboles jusque dans leurs orthographes. Traiter ou faire croire qu'être uniquement dans « l'initiatique », le « symbolique » peut conduire à une insignifiance bien pire encore. La loge Dionysos en est le parfait exemple. Pour le coup, on a presque envie de traiter d'un sujet social pour l'expliquer.
C'est l'ignorance et l'inculture qui est à combattre, quoique l'on préfère faire comme sujets de planche. C'est le dogmatisme qui doit être détruit en franc-maçonnerie. C'est ce que signifie au sein de nos obédiences et loges, ce débat entre les sujets "sociétaux" et "symbolique".
La question quant à la nécessité ou l'intérêt de nos sujets n'est pas aussi brûlante pour nous, pour nos obédiences, que pour d'autres. Il s'agit d'appliquer concrètement ce que la méthode symbolique nous apprends : c'est-à-dire une pensée qui s'ouvre sur notre créativité, intuition, logique, et nos savoirs …
Tout ce que nous avons – là endormi quelque part – que le symbolisme éveille, tout en ayant un regard sans cesse rajeuni sur le monde qui nous entoure. La franc-maçonnerie n'est pas le lieu pour faire un article de journal grand public, un pamphlet sur la misère qui s'abat sur le monde, ou un programme digne d'un parti politique. Nous savons le faire ailleurs – et d'autres le feraient mieux que nous - mais bien d'examiner toute la symbolique de l'article, du pamphlet ou du programme politique … et bien plus encore.
Tout l'art est là - et je ne vous ferais pas l'affront de l'appeler "royal". Chaque mot devient un symbole vivant, une poètique qui résonne & raisonne, une liberté à troquer contre une autre. Les sujets sur notre société, sur celles d'autres continents, sur celles encore passées, sur celles encore que nous imaginons, sont autant d'exercices qui nous permettent d'évoluer, de grandir, d'être neuves.
Nous nous offrons le droit de revendiquer, de manifester, de combattre la barbarie, l'injustice et toutes les horreurs que nous réservent notre monde … sans nous plier aux réchauffés, dictats que l'on nous ressert sur ce qu'est l'authentique, la véritable maçonnerie et nos devoirs. Sans nous plier, voir la remettant en cause, à une opinion, figée et prisonnière de ces propres préjugés. Le but n'est pas de faire "la leçon", expliquer "aux politiques" (qui s'en fichent), mais aux autres, aux passants, aux curieux et parfois, à nous même lorsque nous nous trouvons devant notre page blanche, ce qu'est l'humanité.
Là, au milieu de tout cela – parce que c'est la loi des nombres – et nous en connaissons aussi le symbole – surgira quelque chose. Nous ne savons pas exactement quoi … mais est-ce cela l'important ?
Ce petit plus musical de dernière minute est une proposition de Joël Jacques, auteur de l'excellent livre "les pas des francs-maçons". Un livre qui selon moi réussit avec brio d'être à la fois symbolique et parler de l'humanité. Une lecture que je vous conseille. (article "les pas des francs-maçons de Joël Jacques)
Publié la première fois en septembre 2015.