1 Avril 2015
L’année dernière pour le 1er avril, date où sont fêtés tous les poissons, j’avais produit un texte, compilation des lieux communs qu’une catégorie de frères distille jusqu'à l'enivrement. Il me fut demandé un « vrai » texte, un texte écrit par un frère, qui serait de la même veine.
Je suis heureuse de vous informer qu’en fouillant dans ma bibliothèque, j’ai trouvé cette petite merveille qui vous réjouira toutes et tous. Il est tiré du livre « les francs-maçons architectes de l’avenir sur la voie du XXIème siècle » signé par Alain Pozarnik, écrit en 1999, c’est-à-dire bien avant sa grande maîtrise.
Alain Pozarnik a un style littéraire certain, dont la concision n’est pas la qualité. Il répéte souvent la même idée plusieurs fois, ses développements peuvent paraître longs et chargés. Il se classe – et se définit- parmi les « spiritualistes », considérant que la Tradition (de la GLDF, bien sûr) remonte aux Templiers (ou à la préhistoire, ce qui revient au même). Il fut un des rares Grands Maîtres à avoir théorisé sur l'exclusion des sœurs et la non réciprocité des inter-visites avec la GLDF. Les autres ont évité ce douloureux exercice – douloureux pour eux, bien sûr. Néanmoins, les idées développées par Alain Pozarnik sont, pour le moins, éclairantes…
Allez, on s’amuse ?
Dans le dernier chapitre « Francs-maçons du futur », Alain Posarnik disserte longuement sur la « crise » de notre siècle :
« Sans aucune contestation possible, la crise de notre civilisation d’aujourd’hui est une crise de l’intelligence connectée au sentiment d’une réalité transcendantale, une crise de l’Etre, une crise de la perception du sens de la vie humaine, de la valeur l’humaine nature. La franc-maçonnerie ne remédie pas aux perturbations inévitables de cette altération dramatique mais s’attaque à la cause profonde, l’altération elle-même. Elle revient à la source perdue et à la racine de la chute, à la racine d’un mal qui désenchante la condition humaine et qui est inacceptable pour les temps à venir. »
…/…
L’organisation initiatique est à la dimension de son éternité, sa structure répond à des forces invisibles et subtiles qu’il appartient à chacun de découvrir, alors que l’organisation administrative est à la dimension du relatif et de l’intelligence limitée, si affûtée soit-elle.
…./….
Les idées d’un renouveau maçonnique se situent trop souvent au niveau, soit de la peur du monde, soit de la vanité d’un homme, soit d’une politique hégémonique, soit d’un désir de confort.
…/…
Une des préoccupations concernant les règles de la vie maçonnique prise dans l’ambiguité de l’existence ordinaire contemporaine se réfère à la mixité. Ce sujet fait couler beaucoup d’encre et mérité que nous l’examinions sans parti pris. »
Ces passages permettent de situer le discours : des hommes perdus dans un monde matérialiste, une société initiatique qui cherche un « renouveau » mais dont il faut se méfier, … La description d’une maçonnerie imbue d’elle-même qui va (presque) en crever ….Bref, rien de joyeux.
Là-dessus, il enchaîne sur une question fondamentale : la mixité en loge et surtout la question des « inter-visites » avec les sœurs des obédiences mixtes et féminines. Les frères des obédiences mixtes son, quant à eux, reçus par la GLDF. C'est utile de le préciser (à nouveau).
« La Constitution d’Anderson de 1723 excluait de la franc-maçonnerie « les esclaves, les femmes, les athées stupides ». Par la force des traditions opératives qui exigent des hommes vigoureux, peut-être aussi déjà par son goût pour les cercles de réunion réservés à la gent masculine, … /…
Pourtant parce qu’elle engendre et qu’elle a une intuition sensible, dès les premiers âges de l’humanité, la femme personnifie la Grande Mère Cosmique, la Déesse-Mère et représente l’Initiation, le secret initiatique. »
Deux arguments : historique (Ah ! Anderson, si tu n'avais pas existé!) et plus personnel : les femmes sont l'incarnation sur terre de déesses. Autrement dit, le « féminin sacré » nous est ressorti. Elles pourraient être simplement humaines, mais ce sera pour le siècle prochain... heu ! Le millénaire prochain. C'est, néanmoins, tenter la thèse connue de la non-initiation des femmes : elles n'en ont pas besoin, car incarnation de l'initiation.
Alain Pozarnik continue en évoquant Isis, Déméter, etc. Puis tout un paragraphe concerne l’initiation des femmes dans une corporation de métier « les Charpentiers de Norwich » (1375) et celle de 1747 des « Bucheronnes », suit bien sûr l’histoire des loges d’adoption du 18ème siècle, celle de Maria Deraismes et de la Grande Loge Féminine de France. Bref, la franc-maçonnerie se trouve face à un problème de taille : les femmes ont trouvé non seulement le moyen d'être initiées, mais aussi de fonder des obédiences mixtes et féminines.
« En 1969, le Grand Orient, obédience masculine, décide que les femmes …./… pourront désormais assister à leurs réunions solennelles avec la possibilité pour chaque président de Loge de refuser l’accès au temple aux femmes. »
On notera l’usage de « femmes » plutôt que « sœurs ». La suite se complique quelque peu. Rappelons encore la date : 1999. Ce n’est pas si vieux que cela et je ne pense pas que nous avons assisté à une révolution sociale et féministe à ce point durant ces 15 dernières années.
« Joannis Corneloup, Grand Commandeur d’Honneur du Grand Collège des Rites, considérait déjà en 1962, dans son ouvrage « la chair quitte les os … mais l’accacia refleurira » , que les femmes sont régulièrement et légitimement initiables, ce que la Grande Loge avec reconnu en 1936. Corneloup explique qu’Anderson a récusé les femmes …. /…
Corneloup propose un rapprochement prudent en plusieurs étapes avec les obédiences féminines. Il suggère d’entreprendre des études identiques menées en parallèle dans des loges féminines et masculines, puis il envisage que des réunions de travail communes dans un premier temps et, dans un second temps, des droits de visite exceptionnelles entre Maître et Maîtresses. Dans une troisième étape il propose de réaliser des réunions avec les Compagnons, mais jamais en présence d’Apprentis qui, par manque de sagesse initiatique, pourraient manifester spontanément un plaisir de plaire ou une volonté de séduire, nuisible à la sérénité des travaux.
Parce que nous sommes les héritiers d’une société chrétienne qui pendant des siècles a soutenu la perversité d’Eve, réputée avoir perdue son âme, les Ordres initiatiques de notre civilisation occidentale ont toujours été réticents, voire opposés à leur acceptation dans le cénacle des sages. »
C’est la faute à Eve, comme le dit la chanson. En retirant le jargon mystico-gélatineux de ce passage, nous pouvons distinguer plusieurs idées, qui vont être directrices tout au long de l’analyse de Alain Pozarnik :
Il ne semble s'intéresser qu'aux sœurs des obédiences féminines, plus exactement de la GLFF. On pourrait se demander si le « traitement » spécial, qui sera repris par Alain Pozarnik dans la suite de son développement (oui, je sais, je vous raconte la fin de l'histoire!), ce qu'il compte faire avec les sœurs travaillant dans des obédiences mixtes. Estime-t-il que ces sœurs ont une « initiation » inférieure à celle de la GLDF … Ou alors les frères aussi ? Alors, pourquoi recevoir les frères de ces obédiences mixtes à la GLDF ?
Sans s'émouvoir de la contradiction, il continue en présentant les arguments contre la mixité – qu’il définit bien comme soit une obédience mixte (initiation des femmes et des hommes dans la même loge) ou une situation d’inter-visite réciproque.
Les arguments contre la mixité, nous les connaissons – ou devrions les connaître : les landmarks et la Constitution d’Anderson. Alain Pozarnik se permet de nous faire un portrait-type des caractères des femmes :
intuitives, « une grande sensibilité aux vibrations d’énergie émise par les autres et leurs pulsions d’attirance ou de répulsion immédiate constitueraient une manifestation spontanée dérisoire, d’un ordre horizontal, inadéquate à l’expansion d’une rencontre de cœur à cœur et d’une meilleure compréhension mutuelle. …/… Autrement dit, les femmes seraient trop sensibles à la réalité matérielle et pragmatique et n’auraient pas les qualités d’ouverture des hommes pour la spiritualité. …/….
Le troisième type de veto, plutôt sympathique, est constitué d’hommes sensibles à leur attraction pour le sexe opposé et qui craignent de perdre la simplicité et la pureté de leur regard intérieur pour se laisser distraire par un regard extérieur et une attitude de séduction. …/… Ils sont conscients de n’être pas encore libres ni de leur souffrances affectives ni de leurs pulsions hormonales, et leur libération des rapports sexuels passe par la fuite .../….
Et enfin, il y a ceux qui veulent préserver leur îlot de non-mixité pour ne pas séduire ou être séduits. Ils garantissent la sérénité de leur vie de couple, …. »
Que fichent les frères de la GLDF en visite dans les loges d’obédiences féminines et mixtes ? Y perdent-ils la « pureté de leur regard intérieur » ? Sont-ils libérés de leurs « souffrances affectives » ou de leurs « pulsions hormonales » ?
Ce laïus montre une première chose : le stéréotype féminin/masculin est essentiel dans la pensée de Alain Pozarnik.
Les femmes, pour des motifs biologiques, seraient incapables d'avoir une relation à l'autre saine et réfléchie. Les hommes, quant à eux, avec leurs « souffrances affectives » - très certainement liées à la mère (quitte à faire de la psychologie de cuisine, on se demande pourquoi Alain Pozarnik n'en parle pas) et « leurs pulsions hormonales » sont incapables de travailler avec des femmes. Comme notre société ne prévoit pas d'enfermer les hommes une fois arrivée à l'âge de la puberté , comment les frères de la GLDF font pour survivre sans traitement spécifique dans une société irrémédiablement « mixte »?.
Il apparaît que Alain Pozarnik et d'autres estiment que la franc-maçonnerie est supérieure à tout (études, travail, etc). Ils appartiennent à une "élite" - spirituelle, d'ailleurs - le "cénacle des sages". Indirectement, il montre aussi qu'il estime que les femmes, dans la société, ne sont pas ses égales, alors qu'en les acceptant en loge, elles le deviennent de fait.
Le refus des inter-visites de la GLDF est motivé par un raisonnement fondamentalement sexiste. Les "théories" de Alain Pozarnik sont celles qui perdurent.
Il cite Michel Barat, ancien Grand Maître de la GLDF, en 1998, qui n’envisageait pas faire perdurer une « ségrégation ». :
« Il (Michel Barat) ajoute fort malicieusement que si les femmes nous manifestaient quelques marques d’intérêt non initiatique, quelques soins délicats, il nous appartiendrait d’en appeler à notre raison et à notre humour. La fidélité se mérite, ... »
Vous avez compris, mes sœurs ? Si vous croisez un frère de la GLDF, frappez-le ! Si vous avez (malheureuses!) l'un d'entre eux comme conjoint, quittez-le ! Il en va de préserver la qualité de sa démarche initiatique et de sa place dans le « cénacle des sages ».
« De toute façon, disent les tenants de la mixité, ce n’est pas un problème de mixité ou de non-mixité, mais un problème de maturation du chercheur. De là, la proposition de Corneloup de toujours éviter la mixité aux Apprentis. …/… Le silence intérieur exige un apprentissage, la mixité aussi, sous peine d’être difficilement tolérée. »
Ces longs passages pour introduire, si je puis dire, ce qui va suivre. Déjà, Alain Pozarnik nous a présenté l’essentiel des arguments contre et n’évoque finalement qu’en argument pour : la société et ce qu’il appelle la maturité sexuelle nécessaire pour l’exercice d’un travail en loge.
Je ne ferais aucun commentaire, pour cette fois, désagréable à l’attention des frères de la GLDF, passant déjà dans les écrits de Alain Pozarnik pour des adolescents immatures et perturbés par des flux hormonaux, dans le meilleur des cas. Leurs « souffrances affectives » les conduisent sur le divan d'un psy. Dans le pire des cas, ils sont des pervers sexuels, bon pour la castration chimique. C'est bon de souligner que l'argument des « pulsions » sont aussi utilisées pour défendre des viols, les violences conjugales et la prostitution. Alain Pozarnik n'est pas un féministe (cela n'est pas un scoop) mais un minimum de culture aurait été nécessaire pour qu'il évite ce type de justifications. La moyenne d’âge des frères de la GLDF, en 1999, était peu ou prou identique à celle actuelle : 60 ans, l’âge de leurs prostates.
Alain Pozarnik discute longuement s’il est nécessaire de faire évoluer les choses au sein de son obédience et en particulier d’accepter les inter-visites entre hommes et femmes, mais prévient-il :
« La raison d’opter pour le droit d’inter-visite des hommes et des femmes ne peut donc être une raison politique d’un Grand Maître cherchant à augmenter par la mixité la quantité des adhérents à son obédience, ni celle d’une obédience visant à étendre son hégémonie sur les autres obédiences. »
En résumé, s’il advint qu’il fut Grand Maitre, un jour, il ne serait pas celui-là. Nous avons appris que les Apprentis, du fait d’une carence de sagesse et des problèmes hormonaux inhérents à leur condition de mâles, ne pouvaient pas assister à des tenues en mixité. Nous parlons des apprentis de la GLDF, pas des autres, bien sûr, qui sont faits d’un autre bois (ou se sont soignés). Alain Pozarnik s’interroge :
« Alors faut-il raisonnablement envisager la mixité pour tous, uniquement la réserver aux grades supérieurs, surtout pas aux hauts grades dévolus au spirituel et à l’alliance, ou tout simplement conserver la situation actuelle ? »
Rappelant quand même, que la mixité est tout de même du domaine temporel et profane, c’est-à-dire notre société. Il précise, en outre,
« Ce n’est pas par la mixité que les problèmes des francs-maçons seront résolus parce que le problème sexuel qui torture et divise les actes de tant de personnes …/… Pour l’initié accompli, la question sexuelle n’est plus un problème, un tracas, … elle a trouvé sa place. …/…
En admettant que la mixité devienne, pour les lointaines générations à venir, une réalité, que pourrait-il se passer dans cette lente évolution ? ».
Bon. OK, là, cela fait peur.
Il explique, ensuite, dans son style tout particulier que cette évolution sera affaire de temps. Il faut donc, mes sœurs, attendre, car forcément cela viendra, nous assure-t-il. Mais quand ? C’est là, la surprise de ce passage succulent de son livre, il sait non seulement quand mais comment.
Voici le programme :
« Dans notre hypothèse, la mixité reconnue et acceptée demandera probablement une cinquantaine d’année …/… avant que la nécessité profane ne devienne si impérieuse qu’elle influence la forme extérieure de la Tradition. »
En résumé, pour Alain Pozarnik, la mixité n’est pas reconnue et acceptée. Le Droit Humain semble être, tout juste, toléré, bien que dans les faits, cette obédience fut reconnue par la GLDF vers 1920 et que de nombreux frères, dès la fondation du Droit Humain , l'ont soutenu, ayant une double appartenance (le plus célèbre n’est ni plus, ni moins Georges Martin). Nous savons que c'est une partie de l'histoire de la GLDF que la GLDF nie (ou ne veut pas reconnaître).
De 1999, cela nous fait arriver à 2049 pour que la pression sociale se fasse trop sentir. Nous allons en vivre des 1er avril !
« Cet aboutissement engendrera probablement les étapes suivantes : études communes dans des temples séparés pour les hommes et les femmes avec confrontation des résultats une fois l’an au cours d’une cérémonie officielle, puis une ou deux tenues exceptionnelles en commun en cours de l’année, puis droit de visite sur accord de la loge, puis inter visite libre et enfin, peut-être initiation commune. »
Le sous-entendu est criant : ce sont aux femmes et donc aux sœurs de prouver leur qualité initiatique et non pas aux frères.
Suivant son calcul, il prévoit les inter visites entre 50 et 100 ans, (2049 à 2099) et 50 ans plus tard, des obédiences mixtes, les « sociales » d’un côté, les « spirituelles » de l’autre. Pour finalement, aboutir dans 200 ans, à une maçonnerie universelle, dans laquelle les obédiences « sociales » seront liquidées, puisque n’aboutissant à rien. Les hommes ne changent pas, dit-il.
Il y a, dans le raisonnement de Alain Pozarnik, un problème de fond : la réciprocité des visites ne conduisent pas à la mixité des obédiences. La GLFF en est la preuve. Cette finale, dans le raisonnement, est l’épouvantail qu’il agite sous le nez de frères apeurés : « si nous recevons des femmes dans nos loges, elles vont nous demander qu’on les initie ! »
Un autre aspect est, bien sûr, son jugement de valeur sur la franc-maçonnerie « sociétale », amenée à disparaître. On trouve, ici, une trace du problème de la GLDF, qui l'a conduit au ridicule de la Confédération (CMF) ces trois dernières années.
C'est toujours bon de préciser que les obédiences féminines et mixtes traitent de tous les sujets dans leurs loges, sans discrimination. C'est, finalement, peut-être cela qui dérange Alain Pozarnik.
Néanmoins, en le prenant au mot, j’arrive à cette conclusion, calculatrice en main, que les sœurs (et les frères travaillant en mixité) ont 150 ans d’avance sur les frères de la GLDF … Là, ce n'est même pas une blague.
Lilithement vôtre,
A lire sur ce même thème, cet article publié sur le blog Critica Masonica.
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