6 Novembre 2017
Deux initiatives, datant de cette année, ont attiré mon intention. L'une s'appelle « Académie de la connaissance maçonnique » et l'autre « Campus maçonnique ».
La première émane (émanait?) de la LNF (ajout : appelée aujourd'hui LNFU Loges Nationales Françaises Unies et dirigée par Roger Dachez) . Après une publicité sur différents blogs dont 3,5,7 et plus ou encore Critica Masonica, elle semble avoir disparue des radars. Elle proposait un cursus de « connaissances » avec, il me semble, des études personnelles à faire à partir de lectures obligatoires pour obtenir un « diplôme » créé pour l'occasion.
L'autre émane de la GLDF (on me dira que c'est l'initiative de frères de GLDF … mais bon). Elle propose des conférences par des universitaires possédant des diplômes universitaires sur des sujets divers et variés mais universitaires. Bref, c'est universitaire.
Dans les deux cas, le motif est d'améliorer le niveau des francs-maçons et francs-maçonnes. Niveau culturel que l'on peut constater assez bas, même au plus haut niveau de nos obédiences et de sortir les obédiences de la médiocrité.
Dans les deux cas, une première critique s'annonce déjà. Les cursus présentés sont plutôt « orientés ». L'Académie de la LNF proposait presque exclusivement les livres d'un seul auteur : Roger Dachez, qui comme on le sait (ou devrait savoir) ne traite que d'histoire maçonnique. Dans l'autre cas, les thèmes abordés sont furieusement théistes, pour ne pas dire religieux. Quant au cursus "histoire", c'est Jean-Laurent Turbet, "un historien à eux", qui s'y colle. De plus, l'aspect « tout universitaire » est, par ailleurs, une offense à la franc-maçonnerie elle-même.
Ce qui me choque est la confusion entre le « savoir », savoir encyclopédique et la « connaissance », connaissance au sens maçonnique et ésotérique du terme. Ce n'est pas le diplôme universitaire qui fait le franc-maçon ou la franc-maçonne. Ce n'est pas la qualité culturelle qui fait la qualité humaine.
Si c'était vrai, si c'était la recette pour un monde meilleur, la franc-maçonnerie n'existerait pas. L'école et l'université suffiraient. Les états travailleraient, sans relâche, à améliorer les niveaux des études, les méthodes d'apprentissage, n'hésiteraient pas à innover …. Bref, si c'était un diplôme universitaire qui rendait l'homme meilleur, on ne connaîtrait, depuis longtemps, ni guerres, ni intégrisme religieux, ni extrême-droite, ni même aucune violence.
Le progrès et l'amélioration de l'humanité et de soi ne passent pas par l'université et le savoir encyclopédique. Du moins lorsque l'on est initié.
« Les musiciens sont incultes et bêtes. Ils n'ont fait que de la musique » me disait un ami et frère, musicien lui-même.
Mettez un enfant dès l'âge de trois ans, deux heures par jour, derrière un piano, il y a de fortes chances qu'il devienne à sa majorité un bon musicien, voir même un musicien professionnel, hantant quelques orchestres de son auguste présence. Or, en dehors de savoir lire une partition, de jouer d'un instrument à la perfection, de copier des notes et des sons du fait de son long apprentissage, il n'en sera pas meilleur pour autant qu'un autre, plus sensible ou plus créatif ou, pas même, un grand penseur ou un érudit. D'ailleurs, il n'aura pas appris à penser.. Il sera un bon technicien au même titre qu'un chaudronnier-zingueur. Or, à la différence du chaudronnier-zingueur, il bénéficiera d'une reconnaissance sociale supérieure à ce dernier mais ne sera pas nécessairement plus agréable à inviter à dîner.
Les francs-maçons sont atteints, en majorité, du même syndrome que les musiciens. Ils ne savent, de la franc-maçonnerie, que lire une partition, la traduire en cérémonie et expliquer grosso-modo sa symbolique. Certains seront plus doués que d'autres, « vivront » le rituel, mais seront, dans le fond, incapable de créer une idée comme bon nombre de musiciens sont incapables de créer une symphonie.
Ce qui est malheureux est que l'on rencontre des loges Chiboulette, loge dont les membres sont incapables de lire la partition au bout de 20 ans de franc-maçonnerie. Là, on se trouve dans un cas extrême et plutôt rare, mais parfaitement admis par les obédiences. Dans ce cas connu, il s'agit de la GLFF. En dehors de ces cas extrêmes, répéter un rituel est, néanmoins, à la portée de n'importe qui au même titre que faire des planches « catalogues ».
Ce que nous propose, finalement, ces campus et autres académies est que ces planches ne soient plus du niveau brevet des collèges mais licence. On s'ennuiera moins en tenue. En aucun cas, et d'ailleurs ces académies et autres campus ne le proposent pas, les frères et les sœurs ne connaîtront la méthode maçonnique (ou une de ses variantes). Là, je viens de vous faire peur … Qu'elle est cette fameuse « méthode » ?
Dans certaines plaquettes (publicitaires?), les obédiences mentionnent que les maçons et maçonnes apprennent une méthode de pensée, une méthode dite maçonnique, basée sur l'étude des symboles – censée être apprise lors des instructions –
Inutile de vous morfondre dans un soi-disant «campus » et de passer des « diplômes », il existe sur le marché du livre tout ce qu'il faut. Or, vous n'y apprendrez pas la « méthode de pensée ». Il n'est d'ailleurs pas assuré que vous l'appreniez en loge, d'ailleurs.
Pourtant, il n'y a rien de plus simple.
Ce qui est important dans la grande affaire de la « madeleine de Proust », ce n'est pas que Proust aime la madeleine, mais le raisonnement et le récit qu'il en fait. Il a fait d'un sujet aussi inintéressant que les madeleines une œuvre d'art. Il serait parfaitement incongru de répondre à Proust « Ben moi, j'aime pas les madeleines ». Ce qui serait, non seulement à côté du sujet, mais aussi montrerait que l'on a rien compris. Ce n'est pas l'opinion de Proust qui compte (sur les madeleines) mais ce qu'il en fait et jusqu'où il va avec.
« Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. »
Il a touché l'indicible. Il le raconte en utilisant la madeleine, symbole de celui-ci. La franc-maçonnerie se résume à cela (ou presque). Ce n'est pas le symbole qui est important, pas même d'ailleurs l'opinion, mais le récit que l'on en fait et l'indicible – ou une infime parcelle – que l'on découvre grâce à lui. Le symbole devient support, prétexte de la construction de la pensée. Il n'est absolument pas le sujet – pas plus que la madeleine ne l'est vraiment pour Proust.
Au lieu de cela, la plupart des maçons et maçonnes confondent prétexte et sujet. L'étude du symbole devient le sujet – et au lieu de permettre à chacun de l'utiliser comme prétexte à une réflexion qui partirait du symbole pour aboutir à autre chose. Les loges et les instructions contraignent (et c'est bien le mot) à demeurer figer sur le symbole. Certaines obligent même à des études symboliques en moins de 10 mn. Inutile de vous dire que l'on risque pas d'y retrouver Proust !
Un exemple, le maillet. Il y a différentes manières de traiter le maillet en tant que symbole. Celle « catalogue » qui va vous faire la liste de tous les maillets que l'on peut trouver dans le monde profane et ce pourquoi on les trouve. Il y a aussi de trouver dans le maillet, le symbole du pouvoir puisqu'entre les mains du vénérable et des surveillants. Il s'agira ainsi de ne plus traiter du maillet en lui-même, mais du pouvoir. Il deviendra par conséquent « prétexte » à la réflexion.
D'autres traiteront du pouvoir et de l'autorité que confère le maillet, tentant tant bien que mal de distinguer les deux concepts de manière-là, philosophique. Or, personne (ou ils seront rares à le faire) n'osera dire que le maillet n'est pas le symbole du pouvoir et de l'autorité, mais le signe de la faiblesse de ceux et celles qui le tiennent en main. En effet, s'ils détenaient réellement pouvoir et autorité sur la masse, ils n'auraient pas besoin de maillet au même titre qu'un état n'aurait pas besoin d'armées, d'armes et de police pour assurer son autorité et son pouvoir dans un « maintien de l'ordre ».
L'humanité sera réellement améliorée uniquement lorsqu'il n'y aura plus besoin d'armées et d'armes, de police et de prison. C'est-à-dire lorsque la force d'un état ne sera pas mesurée en fonction de la taille de son armée et des armes qu'il possède.
La loge sera, quant à elle, un lieu sacré, lorsqu'elle n'armera plus son vénérable et ses surveillants de maillets, et avec eux, son couvreur et son expert d'une épée. C'est-à-dire lorsque l'autorité ne sera pas mesurée en fonction de la capacité d'un vénérable à utiliser un maillet mais en fonction d'autres valeurs. Le maillet n'est que le rappel constant de l'échec. La loge demeure un lieu imparfait à l'image de l'humain. Autrement dit, la loge sera parfaite et sacrée lorsqu'elle utilisera un rituel qui lui interdira autant l'usage des maillets mais aussi supprimera les plateaux correspondants, au même titre que le monde sera meilleur lorsque les armées et la police intérieure seront inutiles. Le maillet n'est qu'un rappel constant que l'humanité n'est pas arrivée au terme de son amélioration comme d'ailleurs, le sont tous les symboles qu'ils soient issus des « bâtisseurs » ou pas.
Ce n'est donc pas le maillet - et les différentes occurrences que l'on peut trouver sur le maillet qui importe – mais bien le récit que l'on peut en faire et les idées qu'il permet de construire qui concerne – de fait – l'humanité et le but poursuivi par la franc-maçonnerie : son amélioration.
En dehors des principes que l'on répète de temps à autre tel un mauvais mantra, il est assez curieux que l'on oublie dans les études symboliques que le but de la franc-maçonnerie est l'amélioration de l'humanité qui n'est ni une amélioration sociale, ni humanitaire, mais le pourtour symbolique d'une réflexion.
La méthode maçonnique, si elle se veut être une méthode de pensée à part, est contraire – voir même opposée à la méthode froide et impersonnelle universitaire. Elle fait appelle aussi bien à des aspects personnels comme pour la madeleine de Proust, que ce soit son affect, ses souvenirs, ses intuitions, mais aussi des éléments contradictoires (ce n'est pas parce que tout le monde dit qu'un état est fort parce qu'il possède la bombe atomique que c'est vrai), le contresens, et d'aller jusqu'au bout de la pensée comme le dit Proust « de poser la tasse et se tourner vers son esprit. C’est à lui de trouver la vérité. » Il faut aussi créer. Proust était un créatif et, comme tel, en souffrait.
"Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière." écrivait-il en parlant de sa pensée.
Si on ne voit que du maillet que le symbole d'une autorité nécessaire pour un maintien de l'ordre sur les colonnes, cela en dit plus long sur vous – sur soi – sur votre manière d'envisager le monde comme d'ailleurs la loge, au même titre que de prendre le symbole à contre-pied. C'est ici que l'on peut parler de la « connaissance de soi ».
C'est dans votre esprit que se trouve la vérité. Or, il faut accepter que dans l'esprit des autres, il s'en trouve une autre. Comme pour Proust, le problème n'est pas de savoir s'il aime ou non les madeleines mais pourquoi, il les aime. C'est la même chose pour n'importe quelle étude symbolique.
Votre opinion sur le maillet (ou tout autre chose), tout le monde s'en fiche. Votre opinion est sans intérêt. Au même titre que la mienne. C'est la manière d'aboutir à cette opinion qui importe. Le cheminement de la pensée. En effet, c'est ce raisonnement, l'argumentation utilisée, qui permettra à d'autres de continuer le récit et l'étude, qui l'« éveillera » sur autre chose, dans une autre direction en utilisant un autre aspect d'eux mêmes qu'ils soient d'accord ou non.
C'est pourquoi, la franc-maçonnerie devient aussi une « école de tolérance ».
Celui ou celle qui ne fait qu'asséner des vérités absolues, des avis tranchés sans argumenter, qui ne développent pas ses idées, est l'idiot qui réponds à Proust « Ben moi, j'aime pas les madeleines ».
Si cela paraît simple, le hic est que cela nécessite un peu d'entraînement, mais aussi que toutes et tous comprennent la méthode et ce qu'elle implique comme renoncement.
En effet, l'opinion – puisque sans intérêt – fait naître bien des déceptions. Nous sommes dans une société où elle compte. Certains et certaines ne supportent pas, d'ailleurs, que l'on puisse oser être d'une opinion contraire à la leur. Je le sais aux multiples réactions qu'a fait naître ce blog. D'autres, encore, suant sangs et eau pour faire passer un message constate que l'on peut prendre un malin plaisir à démonter le message en deux secondes, faute d'avoir produit l'argumentation et la construction nécessaire.
La méthode est qu'elle remet tout en cause. Comme le principe n'est pas de défendre une opinion, mais d'utiliser une méthode de pensée – peu importe où elle commence et où elle termine – ce que l'on prouve aujourd'hui peut s'avérer être faux demain. Ce qui est déstabilisant au possible. C'est d'ailleurs tout l'intérêt d'utiliser des symboles comme support, il n'y a aucun enjeu (personnel) dans un maillet. Il y en a bien plus dans une pâtisserie. En effet, la méthode peut toucher des fondements liés à son cadre de référence comme ses croyances ou encore l'image que l'on a de soi.
La méthode de pensée implique aussi une grande part d'incertitude et de doute. A l'instar de Proust qui fait appel à son esprit face à son problème de madeleine trempée dans du thé, il doute aussi de la réalité du phénomène s'amenuisant avec les répétitions. Même Proust estimait que son esprit pouvait lui jouer quelque mauvais tour. Personne ne peut se dire infaillible et invulnérable, même avec un doctorat en philosophie … doctorat fort honorable qui n'en est pas moins, dans le monde particulier de la loge, un métal qu'il faut abandonner à la porte du temple.
Qui dit argumenter et raisonner, dit aussi aller le plus loin possible dans son argumentation et, donc, accepter un lâcher-prise qui veut dire aussi une mise en danger, comme de ne pas savoir d'avance où une idée peut conduire.
A retenir, cette vérité :
Il y a des moments où je suis tellement sûr de détenir la vérité que je voudrais la clamer au monde entier. Malheureusement, je crois qu'il s'en fout.