16 Février 2017
Tank-girl de créée en 1988 par Alan Martin (scénario) et Jamie Hewlett (dessin)
Il existe deux obédiences en France qui permettent aux femmes de travailler ensemble – et entre elles : la Grande Loge Féminine de Memphis-Misraïm avec un peu plus de 1000 sœurs et la Grande Loge Féminine de France avec un peu moins de 14000 sœurs. Cette dernière obédience est la plus importante obédience féminine au monde. Connaissant des difficultés internes - du fait de son mode de gouvernance - elle est actuellement face à sa première scission. Il y aura ainsi d'ici peu une troisième obédience qui initiera des femmes "entre elles".
Si un « entre hommes » ne pose aucun problème pour les francs-maçons, voir même est revendiqué comme étant la seule maçonnerie véritable, en opposition avec la mixité, cela n'est pas le cas pour un « entre femmes ».
Une maçonnerie féminine entend, bien sûr, l'initiation des femmes mais aussi de leur donner la possibilité et les moyens d’un travail authentique, en « féminité », entre elles, c’est-à-dire sans que l’obédience soit soumise ou subisse les pressions d’une ou plusieurs obédiences masculines.
Les obédiences mixtes et féminines ont été reconnues par les obédiences masculines qu'à partir des années 1970, soit presque 80 ans après la fondation du Droit Humain (mixte) et 25 ans après la fondation de la GLFF.
Il a fallu attendre que toute une jeunesse aille dans les rues pour faire évoluer un GODF censé être un « laboratoire d'idées nouvelles ». Quant à la GLDF, elle n'a signé aucun traité d'amité avec aucune des obédiences françaises. Elle refuse la visite des soeurs, au même titre que, d'ailleurs, d'autres obédiences masculines (GLTSO, LNF, etc).
Un petit tour des lieux communs pour vous servir.
L'avenir des femmes est "décidé" par les hommes. Ainsi, il est courant d'entendre dire que les femmes préfèrent la mixité. Que là est leur avenir – leur seul avenir. Or, les effectifs féminins en franc-maçonnerie, pour la France, démentent furieusement, cette thèse. Elles sont à égalité en mixité et « entre femmes », ce qui n'est pas le cas des hommes, préférant un « entre hommes » majoritairement (à 90%).
Personne n'explique d'ailleurs comment cette mixité, choix idéal pour les femmes, peut exister si les hommes majoritairement préfèrent rester entre eux et le disent sans user spécialement de délicatesse. Faut-il estimer qu'il n'est pas envisagé, dans l'avenir, que les effectifs féminins en maçonnerie puissent devenir aussi importants que ceux des hommes ?
30 000 femmes en France pour 160 000 membres. Est-il question, au travers cette « mixité obligatoire », « mieux pour elles ou la société », de laisser aux hommes la possibilité d’avoir des choix d’initiation que les femmes n’auront pas et de définir le chemin initiatique des femmes selon eux et non pas selon ce qu’elles veulent ? Ne pas laisser cette « deuxième moitié de l’humanité », les femmes donc, seules – et surtout « entre elles » ?
Etre une soeur dans une obédience féminine est, avant tout, être une "femme seule".
La femme seule (ou célibataire) fut longtemps - et ceci dans toutes les sociétés et à toute époque - remisée au statut de "vieille fille", obligée de travailler (le travail des femmes est d'ailleurs un mal dont elles souffrent), contrainte à vivre sous la tutelle familiale lorsqu'elle ne sont pas à la charge de leur famille. Or, les femmes célibataires avaient les mêmes avantages qu'un homme au 19ème siècle. Certes, elles n'avaient pas le droit de vote, leur rémunération (pour celles qui ne faisaient pas d'études et n'avaient pas de diplômes) ne suffisait pas pour les faire vivre et encore moins si elles avaient des enfants, leur travail n'était pas valorisé ... Mais elles pouvaient être propriétaires, ouvrir un commerce, ... Ce qu'une femme mariée "sous tutelle" ne pouvait pas faire.
Aujourd'hui, les femmes "seules" sont toujours un sujet controversé. Les magazines féminins distillent une image négative et méprisante de ces dernières. Les sociologues se battent entre eux sur la question (comme le montre d'ailleurs mes sources). Les journaux titrent sans l'ombre d'un doute : " les femmes sur- diplômées sont plus souvent célibataires" - A croire qu'être non seulement intelligente mais instruite condamne les femmes à un célibat forcé. Mesdames, restez sottes et ne faites pas d'études!
Bref la femme "seule" inquiète non pas sur le genre de vie qu'elle peut mener, mais sur le genre de vie que les autres mènent. Sait-on jamais peut-être a-t-elle trouvé le secret du bonheur. "Seule" est synonyme d'indépendance. Etre intelligente, instruite et indépendante, c'est un peu trop. Si en plus, elle est franc-maçonne !
Les Indestructibles (Disney)
Dans l'article sur "la place des jeunes", on constate que pour les filles, un des moyens d'éviter qu'elles ne fomentent une révolution sociale, était de ne pas les instruire d'une part en dehors de leur rôle de mère et de bonne ménagère-cuisinière-bonniche et surtout de les maintenir isolées au sein d'un foyer. "Isoler" les femmes est une technique patriarcale - et on pourrait même dire, de nos jours, d'une autre nature - Cela est "normale" dans le sens que c'est entrer dans les us et coutumes. Les ouvrages d'éducation de jeunes filles du 19ème siècle vont jusqu'à expliquer quelques moyens pour éviter, que même lorsque les femmes se trouvent réunies ensemble, qu'elles se parlent (de trop). C'est donc de les savoir réunies, ensemble, en association et "entre elles" qui ne l'est pas "normal".
En 1793, les femmes étaient interdites de se réunir à plus de cinq dans la rue. En 1804, le Code Napoléon instaure l'incapacité juridique de la femme mariée. En 1848, la 2ème république ne donne pas plus de privilège aux femmes et leur interdit même d'assister aux réunions politiques. C'est seulement en 1924, que les programmes scolaires sont identiques pour les filles et les garçons et à partir de 1966 que les écoles sont mixtes obligeant que les programmes scolaires soient identiques pour les filles comme pour les garçons.
Pierre-Gaspard Chaumette, procureur sous la révolution, qui est à l'origine de la loi de 1793, s'est félicité de la condamnation à mort de Olympe de Gouges et de Manon Roland, déclarant : " Et vous voudriez les imiter ? Non, vous ne serez vraiment dignes d'estime qu'en vous efforçant d'être ce que la Nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c'est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes"
Elles étaient "contre-nature" ... une nature féminine. Cette Dame Nature bien encombrante a finalement limité les libertés d'association et de rassemblement des femmes "entre elles" durant de nombreuses années.
Le « entre femmes » dérange. Il devient insaisissable, donc méprisé autant par les femmes elles-mêmes que par les hommes. Les loges d'adoption du 18ème siècle offrent un intérêt tout particulier. Il s'agit d'une "maçonnerie de Dames" dans laquelle se trouvaient des hommes et suivant les époques à des fonctions plus ou moins dirigeantes. Cette mixité par les faits est considérée comme un "entre femmes" qui ne portent pas son nom. On trouve le même fonctionnement dans les associations para-maçonniques américaines. Destinées aux femmes, elles n'en sont pas moins dirigées par un homme - plus exactement par un couple - Du 18ème siècle à 2017, le "entre femmes" est si insupportable que leurs assemblées doivent supporter une présence masculine.
C'est très certainement la mutation du féminisme - excluant les hommes - qui permettra l'éclosion des assemblées de femmes. Ce n'est, finalement, pas un hasard. Le désir d'être "entre femmes" est associée à une revendication émancipatrice. La présence d'hommes apparaît être un frein aux libertés des femmes, du moins à poser les bases de cette liberté. "L'entre femmes" les construit répondant à une quête d'identité.
Si aujourd'hui, l'avenir des femmes en franc-maçonnerie est de travailler en mixité sans que la non-mixité, le "entre hommes" ne soit remis en cause étant une "tradition maçonnique" (on appréciera toute la rhétorique), c'est aussi, fort probablement, pour répéter une maçonnerie d'adoption. L'expérience des frères adeptes de la maçonnerie "mono-genre" leur font découvrir une indépendance dans une quête de soi, qu'ils n'aimeraient pas voir les femmes expérimenter.
Les moralisateurs du 19ème siècle l'avaient bien compris, si la lecture des évangiles lors des réunions des jeunes filles tandis qu'elles tricotent de la layette est conseillé, si les instruire au minima, faire d'elles des humbles muettes isolées leur niant le droit à la parole, il y a un autre moyen considéré comme efficace : leur attribuer des qualités exclusivement féminines et des activités en corrélation.
Marvel (héroïnes)
Cet état des lieux, fort triste, ne masque pas une demande de frères qui pensent plus avec leurs hormones et leurs peurs qu'avec leur cerveau (je dis ça, mais finalement, je n'en ai lobotomisé aucun) : un rite pour les femmes afin qu'elles développent leur féminité naturelle. En gros, cela consisterait à les faire étudier une symbolique sur les travaux d'aiguilles, le don de soi derrière un aspirateur et le métal du fer à repasser ... Bien entendu, ces "rituels" tout plein rempli de choses exclusivement féminines seraient destinés à des femmes qui se réunissent "entre elles".
Mais que fait-on de celles qui travaillent en mixité, qui au demeurant représentent la moitié des effectifs des femmes en France et sont en Belgique plus nombreuses encore? A quel rite pensent-ils qu'elles vont travailler puisque, n'oubliez pas, l'avenir des femmes est la mixité?
Or, ces rituels féminins ne sont pas ceux qu'ils croient comme le montrent différents articles sur la franc-maçonnerie d'adoption comme le (fabuleux) "rit des Amazonnes". Ultra-féminin et tout autant revendicateur de libertés comme de droits. Ces fameux rituels sont un mythes - ils n'ont pas existé. La maçonnerie d'adoption, si le rituel différait de ceux pratiqués par les hommes, n'étaient pas, pour autant, genrés.
Il existe, néanmoins, "l'Ordre des tisserandes" en France. On peut lire sur leur site :
Ce système apparaît - finalement - en France qu'en 2002. Leur implantation n'est pas mentionnée. On peut imaginer que leurs effectifs n'est pas fameux. La maison-mère ne compte que 500 "tisserandes", alors qu'elle n'a pas à subir la concurrence de la franc-maçonnerie mixte et féminine comme en France, du fait d'une faible implantation de cette dernière.
On peut se demander à quoi pensaient ces "francs-maçons" qui ont vu dans le tissage qu'une symbolique "féminine" (encore des travaux d'aiguilles) ... Les Parques n'étaient-elles pas - disons-le - inquiétantes? Sans être critique pour la symbolique maçonnique, décider la destinée humaine est, quand même, plus intéressant que de construire un temple à un dieu qui, d'après ce que l'on m'a dit, ne participe plus à grand chose.
Peu importe comment définissaient ces francs-maçons la "nature féminine", ils ont juste oublié un principe essentiel : un symbole ne fait pas la prison. Celle ou celui en quête d'indépendance la trouvera toujours même avec des aiguilles à tricoter.
Cet engouement pour un rite pour les femmes (qui n'existent pas) confine à l'absurdité. A lire, d'ailleurs, l'excellent livre de Marie-Dominique Massoni, "du féminin et de sa quête en franc-maçonnerie"
C’est en 1999 qu’est développé la « Théorie de la Dominance Sociale » (sociologie de groupe), qui détermine pourquoi et comment les hiérarchies sociales se mettent en place et sont acceptées. Selon cette théorie, dans toute société, il y aurait un groupe qui détiendrait une hégémonie et des groupes dominés.
Pour Sidanius et Pratto : « chaque société développe des idéologies ou mythes légitimateurs qui accentuent ou au contraire atténuent la hiérarchie sociale ».
Les mythes légitimateur sont les attitudes, croyances et valeurs qui justifient intellectuellement et moralement la hiérarchie sociale. Il existe selon cette théorie, deux types d’idéologies, celles qui maintiennent ou augmentent la hiérarchie sociale ; ce sont les croyances comme le sexisme, conservatisme politique, préjugés … et celles qui l’atténuent comme le féminisme, socialisme, multiculturalisme…. Plus les individus sont en accord avec la hiérarchie sociale, plus ils développent des comportements ou propos conservateurs, sexistes, racistes, homophobies… c’est-à-dire ils adhèrent à des idéologies de légitimation. Dans un environnement ou la norme est l’évolution sociale, la tendance est opposée.
En somme, pour traduire tout cela, imposer une "mixité" comme seul salut pour les femmes, fantasmer sur des rites destinés aux "femmes", sont des mythes de légitimation du groupe dominant qui craint de perdre leurs avantages.
Bon, puisque c'est une bonne nouvelle, il ne me reste plus qu'à aller exalter la part de féminité qui est en moi ...
Sources :
Erika Flahault. Controverses autour du livre de J.C. Kaufmann ” La femme seule et le prince charmant ”. Travail, genre et soci´et´es, L’Harmattan/La d´ecouverte, 1999, pp.161-166.
« Autour du livre de Jean-Claude Kaufmann. La femme seule et le Prince charmant », Travail, genre et sociétés, 2/1999 (N° 2), p. 153-177. URL : http://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-1999-2-page-153.htm - DOI : 10.3917/tgs.002.0153
Raymonde Monnier, « 1789-1799 : combats de femmes. La Révolution exclut les citoyennes, », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 338 | octobre-décembre 2004, mis en ligne le 22 mars 2006, consulté le 13 février 2017. URL : http://ahrf.revues.org/1863
A lire par exemple : cet article sur "le Figaro" sur la femme célibataire et diplômée ou encore cet article de "le Temps" où les femmes sont à la conquête du célibat (si, si).
Lire ici une critique sur le travail d'une historienne sur un club de femmes
(Article publié une première fois en 2013 - complètement revu)