19 Juin 2015
J’avais dit, un jour, à un ami et frère, que tout le monde a besoin d’un ami athée. C’est un peu comme avoir un chat, lorsque l’on croise un rongeur qu’il soit des villes ou des champs à la sortie de sa douche. Il se peut que ce soit le chat qui a ramené ledit rongeur, profitant que vous soyez occupé ailleurs. Mais cela est une autre affaire. Ce sera, cependant, toujours le chat qui attrapera plus facilement l'indésirable.
S’il y a un point commun entre une sœur athée à l’aise dans une obédience libérale et un frère croyant à l’aise dans une obédience régulière, est que ni l’un ni l’autre ne souhaite voir en la franc-maçonnerie un substitut de religion. L’athée n’en a pas besoin. Le croyant en a déjà une. La franc-maçonnerie ne l’est évidemment pas. La Kabbale n’est pas un substitut au judaïsme, le martinisme n’est pas celui du christianisme. C’est « autre chose ». La franc-maçonnerie appartient à ce groupe au contour mal défini. On peut dire que c’est un ésotérisme qui a réussi.
En ce qui concerne la liberté de conscience, en dehors de toutes définitions polémiques, un athée sait que ce qui l’exclut n’est pas de la liberté de conscience, ne peut prétendre à répondre aux principes de la laïcité et a une valeur humaniste et universelle relativement peu crédible.
En même temps que des déistes et des théistes aiment à se retrouver ensemble pour faire de la franc-maçonnerie ne me dérange pas. Je trouve cela juste curieux, d’autant plus que les athées ne cherchent pas à constituer une obédience pour eux seuls.
Depuis quelques temps, comme vous l’avez certainement remarqué, j’ai lu, analysé et décrypté bons nombres de documents s'agissant de la CMF, cette fameuse confédération émanant de la GLDF. Je me suis prononcée sur la forme, la politique obédientielle, mais jamais – ou épisodiquement – sur le fond de ce qui semble être une démarche proposée.
Cette fameuse « 3ème voie » - machin-chose qui devrait nous inquiéter tant c’est une géniale idée – ne m’a jamais semblé en rien être de la franc-maçonnerie. Il s’agit d’une conception que nous connaissons déjà – malheureusement – une lecture littérale du rituel et d’en faire une pseudo-vérité « spirituelle, traditionnelle et initiatique ».
La définition de ces trois mots sont déjà fixée – Ils deviennent une doctrine, alors qu'ils devraient être simplement symbole, concept à travailler, idéal à atteindre, longue quête à mener, bibliothèque à remplir et autant de pages blanches à noircir.
Pour nous, il n’y a rien de figer dans le temps, de graver dans le marbre … même si nous avons tous une idée de ce que cela peut être – rien ne nous oblige (et c’est même le but) à être assurer que notre idée est la bonne, la seule et l’unique. Aujourd’hui, là – maintenant – la spiritualité est pour moi une quête de sens. Pour d’autres, elle est liée avec une force invisible, supérieure et créatrice. Si la mienne me permet de construire ma propre démarche, ce n’est pas pour autant que je nie aux autres la possibilité d'en avoir une autre définition. Cela s’appelle tout simplement : la tolérance, le respect de l’opinion d’autrui et de sa démarche.
Voilà à quoi sert d’avoir un athée – et même une athée - dans ses relations : à le rappeler.
Le « new age » a été une période ubuesque où des individus, déçus par les religions traditionnelles, se sont réfugiés dans des religions parallèles. Mère-nature – les théories Gaia - où chaque arbre avait un rôle, néo paganisme, néo druidisme, orientalisme, occultisme, magie, ... Il ne suffisait pas de croire en dieu mais d’en faire l’expérience. Vu comme une force de vie, un tout indéfini – non dogmatique - principe primordial, infini et créateur – il colle parfaitement à ce que l’on veut nous faire croire (sans jeu de mot) comme étant une découverte maçonnique de première importance et un retour aux sources de la franc-maçonnerie. C’est avoir la mémoire courte – ou une lecture de la pensée humaine quelque peu altérée.
Bien sûr, on peut faire tourner des guéridons et être franc-maçon. Ce n’est pas pour autant que tous les francs-maçons le font et souhaitent acquérir un guéridon. Définir le GADLU suivant le convent de Lausanne, une force créatrice, c’est obliger tous les maçons à planquer un autel dédié à Zeus dans son salon. Si certaines et certains trouvent le parallèle ridicule ou choquant, je trouve quant à moi qu’obliger des hommes ayant toutes leurs capacités mentales à voir dans un GADLU une « force créatrice » et comme la base d’une nécessaire quête spirituelle est tout aussi ridicule et choquant. C’est soit une crise spirituelle mal assumée, soit une manière de baigner en plein new age sans substance illicite – ce qui en enlève d’ailleurs tout son attrait –
Nous en connaissons les dangers. Si cette période fleurie avait son charme, elle en avait aussi un revers : la secte. Nous-mêmes, francs-maçons, sommes sensibles – disons-même – sensibilisés par ce qui nous différencie de la secte. « Difficile d’y entrer, facile d’en sortir ». Or, ce n’est pas tout à fait vrai. Les sectes ne supportent pas les membres qui contredisent le gourou. Elles ne gardent pas ceux qui risquent de fomenter une révolution ou remettent en cause la parole du messie. La secte sait exclure les brebis galeuses, après avoir fait pression sur elles pour les remettre sur le droit chemin.
En franc-maçonnerie, le danger est de voir des maçons imposer à d’autres une démarche – c’est-à-dire l’expérience, la part de vécu non-intellectualisé comme la part intellectuelle de celle-ci – la mesurant à l’aune de quantitatif absurde : du sujets de la planche à nos nombres de visites dans d’autres loges. Comme il s’agira de ne pas recevoir ce qui ne partage pas « les valeurs spirituelles ». Comme il s’agira d’exclure tel ou telle de ne pas croire en « une force supérieure créatrice » -de considérer qu’il/elle n’a pas sa place dans tel ou tel rite, telle ou telle loge, telle ou telle obédience… Bref, transformer la franc-maçonnerie libérale et adogmatique (comprenez l’importance du mot adogmatique) en un beau gâchis. N’est-ce pas ce qu’ont vécu les frères de la GLDF ?
Le débat ne devrait pas être autour de la croyance ou non, dans la définition donc du GADLU, mais dans le but de cette franc-maçonnerie. Que pensons-nous y faire?
Si les français s’interrogent sur la réalité du laboratoire d’idées censé représenter leurs combats, nos chers 90% de francs-maçons dans le monde n’en ont même pas l’ombre. Ils n’ont pas levé un seul petit doigt contre quoique ce soit depuis deux siècles : ni contre une guerre de trop, la misère, la maladie, une injustice,… Rien. Silence total. « ni politique, ni religion ».
Ils seraient 4 à 5 millions d’hommes dans le monde qui réussiraient à se réunir malgré leurs différences (qui ne sont pas insurmontables). Certes, ils travaillent à des rituels et à des études symboliques, voir à l’histoire de la franc-maçonnerie. Mais, ils ne font rien d’autre. Ils ne transmettent rien, n’utilisent pas ce qu’ils apprennent (la méthode symbolique) pour penser à des problématiques plus concrets, à regarder ce qu’ils sont, à imaginer un autre monde, meilleur, plus juste.
Je ne peux que regarder ces 4 à 5 millions d'hommes, instruits, qui se contentent d'une maçonnerie concentrée sur une voie spiritualiste (et encore!). Je me demande que s'ils avaient ouverts, pour quelques injustices, leurs coeurs - ne serait-ce qu'essayer pour voir - peut-être - je dis bien peut-être - quelque chose aurait changé dans le monde.
Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas morts que nous sommes vivants. La vie est bien d’être, de faire, d’agir, de penser, de transmettre, d'apprendre .... Je ne connais pourtant pas de sociétés ou de mouvements ésotériques qui n’ont pas cherché d’une manière ou d’une autre à transmettre au monde et à le transformer par des connaissances nouvelles ou tout au moins à participer à l'amélioration et au progrès de sa société.
Ainsi, l'objectif de fond diverge et, finalement, sépare - quoiqu'en soit les bases - Ce n'est pas rêvé d'un monde meilleur pour dans 1000 ans ... ce qui nous parait assez inutile - ni croire à une évolution miraculeuse de l'espèce humaine - hommes et femmes meilleurs - meilleurs que quoi? - mais d'être présents pour les nôtres - ici et maintenant.
Dans le débat « sociétaux » contre « symbolistes », c'est demander aux premiers de se couper un bras, d'abandonner leurs rêves d'un monde meilleur – et de leur reprocher d'en faire – Dans les faits, à moins que ce soient des frères ou des sœurs qui considèrent qu'un rituel est juste un moment choisi pour une sieste, aucuns « sociétaux » ne nient l'importance de la méthode symbolique.
Il y a en franc-maçonnerie ce petit quelque chose de contemplatif, qui la différencie de partis politiques. Bien sûr, c'est bien plus affaire de vécu que de vérité. C'est néanmoins la méthode symbolique qui le permet. On n'a pas besoin de croire en une force créatrice supérieure à un dieu révélé pour le ressentir. Cette méthode apporte pourtant cette façon de pensée, cette tournure d'esprit assez unique qui nous permet d'envisager n'importe quoi en passant par tout ce que nous sommes – tout ce qui nous appartient – tout le potentiel que la méthode a permis de révéler. L'important, c'est justement « n'importe quoi » …
Le symbolisme est un préalable – obligatoire, d'ailleurs – une étape essentielle de notre démarche. Il n'est pas une finalité, le but ..Sa finalité est de dévoiler peu à peu ses potentialités, ses valeurs, se déconstruire et se construire …
Avant la légende d'Hiram, il y avait celle des fils de Noé. Ces derniers déplorant la perte de Noé et de n'avoir pas reçu tout son enseignement partirent à la recherche de ses restes. Ils se mirent d'accord sur le fait que ce qu'ils trouveront leur suffira. Voilà, en quelque sorte, ce que je suis : ce que je trouve me suffit. Si c'est un simple paysage, je n'ai pas besoin de connaître son hypothétique créateur. C'est le paysage que j'ai trouvé – pas la force supérieure créatrice qui l'a conçu – Lorsque l'on visite un jardin, on ne cherche pas le jardinier pour lui demander son nom.
Avoir un athée à ses côtés, c'est avoir quelqu'un qui vous demande à quoi vous servira-t-il d'avoir le nom du jardinier? Le jardin n'en sera pas moins beau. Si le jardinier voulait laisser un message à la postérité, il est sous vos yeux. C'est la méthode symbolique qui vous permettra de le décoder. Un athée sait faire ... Comme il n'est pas obsédé par un dieu imaginé, il trouve forcément autre chose. Du coup, un GADLU "symbole-dans-lequel-on-met-ce-que-l'on-veut" parait un peu bidon. En même temps, ce n'est pas moi qui empêchera qui que ce soit à tous les essais de définition possible. Mais je n'en croirais jamais un seul mot.
Cette voie new-age qui propose une vision déiste d’un GADLU, excluant de facto l’être humain comme centre de ses préoccupations, perdra bien plus encore sur la ligne traditionnelle à laquelle elle veut se référer. Elle sens l'encens et le dogme. Elle repose sur des interdits. C'est chercher le jardinier, plutôt que de se contenter d'admirer le jardin et de le comprendre. C'est se contenter de connaître le nom d'artistes peintres, sans avoir jamais vu une seule oeuvre. C'est être sourd et aveugle.
La franc-maçonnerie a été politique, mixte, féminine, sociale, philosophique, spiritualiste, révolutionnaire, .... Elle a été infiltrée par des polices secrètes, interdite, soumise à des gouvernements et malgré cela toujours critiquée. Elle a fait peur, elle a été moquée, elle a été ridiculisée comme elle a été bouffonne. Elle a tout été déjà. Elle continue à être. Parce qu'elle est vivante et parce que nous le sommes.
Lilithement vôtre,